Depuis les révélations initiales sur le programme américain de surveillance Prism, la scène internationale réagit de manière plurielle. Dans une véritable partie de ping-pong politique, les pays se renvoient la balle et rivalisent dans les prises de position. Jérémie Zimmermann, porte-parole de la Quadrature du Net, revient sur l’infrastructure française de la DGSE et l’importance d’une reprise de contrôle démocratique.
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La chronologie étrange des révélations du Monde
Les révélations sur Prism par Edward Snowden ont provoqué de très nombreuses réactions, notamment en Europe. Ces dernières sont devenues épidermiques quand de nouvelles informations ont montré que les États-Unis avaient espionné plusieurs de leurs alliés, dont la France, en posant des micros dans les ambassades notamment. Alors qu’on attendait une réaction forte de la France, le Monde a révélé à son tour que l’Hexagone possédait le même type de mécanisme de surveillance.
Jérémie Zimmermann, porte-parole de la Quadrature du Net, n’a pas manqué de souligner la chronologie particulièrement troublante des révélations faites par le Monde : « On peut se poser des questions sur cette chronologie, le fait que ça sorte maintenant, en pleine affaire Prism, juste avant le début des négociations de l’accord transatlantique ». Il est vrai que les détails du mécanisme français tombent à point-nommé : les informations ont-elles été découvertes récemment, ont-elles été gardées en réserve ou ont-elles été livrées sciemment par une source américaine ?
Prism et infrastructure française : d'importantes différences
Le porte-parole indique également qu’à la différence de l’affaire Prism, le Monde est la seule source d’informations concernant la machinerie de la DGSE. Mais les différences ne s’arrêtent pas là : « On nous dit que cela concerne avant tout les citoyens français et leurs correspondants internationaux, là où Prism cible l’ensemble des communications du monde entier. L’ampleur, même si elle reste massive, semble moindre ».
Deuxième point important : le type d’informations visées par le programme de surveillance. « On nous dit que ça ne cible que les métadonnées et pas le contenu des communications, ce sur quoi il faut les croire sur parole. Ce qui pose la question fondamentale de l’importance de ces métadonnées » indique Jérémie Zimmermann, qui met également en garde contre les risques inhérents à ces informations : « On se souvient de l’histoire des fadettes : ce n’était que des métadonnées. Et pourtant, c’est grâce à ces métadonnées que l’on a pu compromettre les sources d’un journaliste ».
Pas de liberté d'expression sans respect de la vie privée
Un exemple qui illustre parfaitement le lien étroit entre le respect de la vie privée et la liberté d’expression. Zimmermann a d’ailleurs tenu à rappeler les conclusions du rapport publié en mai 2011 par Franck La Rue, rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression pour le compte de l’ONU, selon lesquelles la protection des communications privées était une condition sine qua non à une information libre, elle-même l’un des piliers de la démocratie.
L’article du Monde soulignait cependant qu’en-dehors de toute cadre légal, il était très délicat de certifier que cette « infrastructure de mutualisation » ne servait que pour la lutte antiterroriste. Un élément que Jérémie Zimmermann pointe également, affirmant que cette lutte a « bon dos » et que rien n’empêche cette surveillance de se faire sur des plans « économique et politique », notamment à cause de l’implication de la DCRI (Direction Centrale du Renseignement Intérieur).
Relancer le contrôle démocratique
Mais ces révélations pourraient offrir également une occasion de « reprendre le contrôle » de ce mécanisme de cette surveillance. « Un peu plus » en tout cas « qu’aux États-Unis avec la NSA qui s’est fait sans cesse étendre son pouvoir de façon quasi-illimité en-dehors de tout contrôle et où des pans entiers de politique publique sont classés top-secret ». De fait, cela pourrait être le bon moment pour réfléchir à un cadre législatif plus solide pour ce type d’opération car ces affaires « démontrent la valeur phénoménale de nos données personnelles et de nos métadonnées comme moyens de contrôler les individus ».
Le porte-parole rappelle également l’urgence maintenant « d’inverser la tendance » en ce qui concerne l’influence de sociétés telles que Microsoft, Yahoo et Google, qui ont largement pesé en Europe sur les débats des données personnelles. Ceci d’autant que lundi commencent les négociations portant sur l’accord transatlantique TAFTA, qui suppose « une vision globale de nos données, où les flux seraient considérés comme une marchandise qui se vend ou qui s’échange ». Il appuie sur le caractère « inacceptable » de « personnes non-élues mais qui sont pourtant autorisées à débattre de ce type d’échanges ».
En conclusion, pour rétablir une « situation saine », il faudrait d’abord « reprendre le contrôle de ces instances de surveillance et instaurer un rétrocontrôle citoyen ». Des mécanismes qui devraient être complétés par des « politiques de protection des données personnelles qui replacent leur contrôle dans les mains des utilisateurs », ainsi qu’une nécessaire « transparence entre tous les acteurs impliqués dans ces mécanismes de surveillance ».
Notons que le débat sur le respect de la vie privée ne fait que commencer et que les prochaines semaines, voire les prochains mois, seront déterminantes. Rappelons également qu’Edward Snowden n’en a certainement pas terminé avec ses révélations, le lanceur d’alertes étant encore en possession de nombreux documents sans doute aptes à provoquer de nouveaux scandales.