Le tribunal a différé sa décision dans l’attente de l’examen par le Conseil d’État des recours contre le décret imposant une vérification de l’âge des visiteurs. Or, et cinq mois après avoir été annoncé par le gouvernement, le projet d'expérimentation d’outils de vérification d’âge en « double anonymat » semble avoir peu avancé.
Le tribunal judiciaire de Paris a décidé, vendredi 7 juillet, de reporter sa décision sur le blocage des sites web pornographiques dans l’attente de l’examen par le Conseil d’État des recours contre le décret qui impose une vérification de l’âge des visiteurs, rapporte l'AFP :
« Il est notamment reproché au gouvernement de ne pas avoir directement défini les contours techniques des mesures à mettre en œuvre pour vérifier l’âge des internautes, et d’avoir laissé cette tâche à l’Arcom. »
La demande de blocage de Pornhub, XVideos, XHamster, TuKif et Xnxx, avait été lancée en 2021 par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom).
« C’est d’abord une victoire du droit. Nous n’avons cessé de dire depuis dix-huit mois que le gouvernement et l’Arcom ont manqué à leurs obligations légales les plus élémentaires, que la loi était mal faite, imprécise et lacunaire », a réagi Kami Haeri, avocat des sociétés éditrices des sites Xvideos et Xnxx.
Prenant acte de la décision du tribunal, l’Arcom a estimé, dans un communiqué, qu’il y avait « consensus sur la nécessité d’agir rapidement pour protéger les mineurs », tout en rappelant qu’elle « continuera d’œuvrer au respect par les éditeurs de sites pour adultes de leurs obligations légales ».
Au moins trois solutions ont été ou sont en cours de test
« Le tribunal va rendre son verdict, je souhaite qu’il soit exemplaire [et] qu’il bloque ces cinq sites, pour que, désormais, les sites pornographiques vérifient l’âge de leurs visiteurs », a déclaré le ministre chargé de la transition numérique, Jean-Noël Barrot, vendredi en début de matinée sur la radio RMC. « Sans contrainte, l’industrie de la pornographie n’aura jamais intérêt à se conformer à la loi », a ajouté plus tard le ministre dans un communiqué.
Le Monde relève par ailleurs que, pour ce qui est de l’expérimentation d’outils de vérification d’âge en « double anonymat », « au moins trois solutions ont été ou sont en cours de test sur des sites du groupe Dorcel », que « l’entreprise estime encore lointaine une adoption par le grand public », et que « près de cinq mois plus tard, le projet semble avoir peu avancé ».
Trois entreprises conduiraient des tests sur les plates-formes Dorcel
« Les tests montrent qu’il y a encore beaucoup de chemin pour que ces solutions soient efficaces et adoptées par le grand public, avec une expérience utilisateur qui soit satisfaisante », juge M. Dorcel. Ce dernier estime qu’il reste un double travail à accomplir : à la fois « du côté des administrations, avec une réflexion sur le cahier des charges technique, et du côté des start-up et des industriels, pour optimiser les solutions ».
Selon le ministère de la Transition numérique, rapporte Le Monde, trois entreprises conduiraient des tests sur les plates-formes Dorcel : la start-up marseillaise Greenbadg, la société IN Groupe (Imprimerie nationale) en partenariat avec Orange, et Docaposte propriété du groupe La Poste (qui édite également l’application L’Identité Numérique, partenaire de FranceConnect+).
Leurs solutions, qui s’appuient sur des applications pour smartphone, demandent à l’utilisateur de s’authentifier auprès d’un tiers pour prouver sa majorité. Accès réservé, l’application d’IN Groupe et d’Orange, propose par exemple d’utiliser un numéro de téléphone associé à un compte client Orange quand Greenbadg, de son côté, demande de créer un compte sur l’application, puis de prouver son identité en passant par un prestataire.
Or, si le ministère a bien lancé un appel à projet, il ne va pas plus loin en suivant par exemple leur évolution, explique Le Monde. Selon le gouvernement, ce ne serait pas à lui de privilégier une solution ou d’en développer une :
« Depuis la loi de lutte contre les violences conjugales de 2020, qui interdit aux sites pornographiques de se contenter d’une simple déclaration de majorité sur l’honneur, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a la possibilité de donner des lignes directrices pour les solutions de vérification d’âge.
Jamais publié, ce référentiel est devenu un épouvantail brandi par les éditeurs de sites pornographiques, qui ont répété pendant des mois devant les tribunaux que la responsabilité incombait à l’Arcom, arguant à demi-mot que trouver une solution technique satisfaisante est une tâche impossible.
En face, l’Arcom comme le gouvernement répondent que des solutions existent déjà – empreinte bancaire, analyse faciale – et que la CNIL les juge acceptables en attendant l’arrivée d’une méthode optimale. »
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L'enjeu est gigantesque : il ne peut y avoir que très peu de vainqueurs
La publication de ce « référentiel technique » qui fixerait le cadre des obligations des sites pornographiques, annoncée comme imminente en février, en accord avec l’Arcom et la CNIL, « semble aujourd’hui inéluctable » avance Le Monde : le projet de loi pour « sécuriser et réguler l’espace numérique », voté par le Sénat mercredi 5 juillet, oblige en effet l’Arcom à le faire dans un délai de six mois après la promulgation de la loi.
Or, ce référentiel technique achoppe sur des désaccords politiques, la sénatrice (PS) et ex-secrétaire d’État à la famille Laurence Rossignol, ainsi que l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique, regrettant que le texte, « en forçant l’Arcom à publier ce référentiel technique, rejette la responsabilité sur le régulateur alors que c’est aux plates-formes de se conformer à la loi », résume Le Monde.
Il faut également prendre en question le coût purement technique des solutions mises en place. « Prise individuellement, une vérification est peu onéreuse – de l’ordre de 10 centimes d’euros ou moins » selon nos confrères. L’addition peut rapidement grimper pour des sites avec des millions de visiteurs mensuels. Les enjeux financiers sont d’autant plus importants que, comme le rappelle Le Monde, « il ne peut y avoir que très peu de vainqueurs ». « Qu’on le veuille ou non, dans les cinq prochaines années, l’ensemble des pays occidentaux vont mettre des règles d’accès et de vérification d’âge », estime de son côté Grégory Dorcel. « Le train est en marche, il faudrait être aveugle pour ne pas le comprendre ».