Diablo IV : un bien bel écrin

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Diablo IV : un bien bel écrin

Diablo IV est un immense succès. Il y a quelques jours, Blizzard s’amusait d’ailleurs à vanter les 666 millions de dollars accumulés grâce aux ventes et préventes. Toutefois, si le titre a d’indéniables qualités, il comporte de sérieux défauts, qui s’accentuent en fin de jeu. Analyse.

« Attendu » serait un euphémisme. Diablo IV a été officiellement lancé le 6 juin, 12 ans après un Diablo III qui avait créé une petite polémique sur sa partie « endgame », surtout à cause d’une difficulté dantesque dans son mode Armageddon et un hôtel des ventes qui permettait aux joueurs de revendre leurs objets contre de l’argent réel.

Cette attente a été largement renforcée par l’annonce de Diablo Immortal. Un jeu mobile dont la présentation a été suivie d’un tollé, y compris pendant la conférence Blizzcon qui l’intronisait. Non seulement ce n’était pas la suite attendue, mais le jeu était clairement pensé pour les microtransactions, avec un évident aspect « pay to win » (P2W). En clair, plus on investissait, plus on était puissant.

Diablo IV devait en quelque sorte laver l’affront et prouver une nouvelle fois que Blizzard pouvait encore être Blizzard, en faisant un peu oublier Activision au passage, le rachat du premier par le second ayant pour une partie des joueurs marqué le « début de la fin ».

La mission est-elle réussie ? Loin s'en faut, mais tout n'est pas perdu.

Quelle ambiance !

Commençons par le gros point fort du jeu : l’ambiance, réussie. L’équipe de développement a repris ce qui faisait la force de Diablo II, et même du premier, avec cet environnement dark fantasy, sombre, lugubre et sale. Oui, tout est sale dans Diablo IV, à l’extérieur comme à l’intérieur : chemins boueux, couleurs délavées, peu de lumière, couloirs gluants ou grouillants, prisons plus ou moins abandonnées, masses de chair… Bienvenue dans le monde de Sanctuaire.

L’environnement est d’autant mieux réussi que la qualité graphique générale est excellente. Les décors sont précis, les animations fluides, les personnages et créatures détaillés. On note bien sûr quelques problèmes de jeunesse, comme une trombe du barbare assez lente ou des éléments pouvant disparaître sans animation (comme les portails de brume dans certains donjons), mais ce sont des défauts somme toute mineurs et pouvant facilement être corrigés.

Diablo 4

La musique est également un gros point fort du jeu. Les partitions composées par Leo Kaliski n’ont rien à envier au travail de Matt Uelmen sur les précédents opus : il y a presque toujours un fond angoissant (pas autant que dans le premier Diablo, mais quand même), servi par des cordes inspirées et presque toujours teinté de désespoir. La musique se veut parfois héroïque, mais le ton est donné : elle n’est pas là pour relaxer.

L’ensemble de ces points se ressent nettement à travers la campagne, bien écrite et disposant d’un très beau final. Le personnage de Lilith a été particulièrement travaillé. Il valait mieux, puisque le jeu, dans sa forme actuelle, tourne autour de la Fille de la Haine. Au point que certains s’amusent à appeler le jeu Lilith 1.0 plutôt que Diablo IV, mais nous reviendrons sur ce point.

Diablo 4

La campagne est assez rythmée pour ne jamais s’ennuyer et les rebondissements sont présents. On ressent parfois un malaise devant le parcours de Lilith, qui semble vouloir sauver le monde de Sanctuaire… avec des méthodes assez spéciales, qui rappellent parfois le Chemin d’Or de l’Empereur-Dieu de Dune. Ses motivations sont clairement exposées et son inévitable confrontation contre son ancien amant Inarius ne déçoit pas.

Puis on arrive à la fin de la campagne, on a passé un bon moment. Alors que reste-t-il à dire ? À peu près tout.

Diablo IV rompt avec la tradition

Dans tous les autres Diablo, il fallait recommencer la campagne dans un degré de difficulté supérieur pour progresser avec son personnage. Les monstres étaient plus forts, plus longs à tuer, mais récompensaient leur massacre par une quantité supérieure d’expérience et surtout – surtout – de l’équipement de meilleure qualité.

Ce n’est pas le cas dans Diablo IV. On ne peut pas recommencer la campagne, car elle débouche dans un open world où s’ébattent plus ou moins joyeusement d’autres joueurs sur PC, Xbox et PlayStation. Ce choix d’un open world a d’énormes conséquences, souvent à l’origine des reproches que l’on peut faire aujourd’hui au jeu. Le principal est la somme des activités endgame, autrement dit ce que l’on fait quand la campagne est terminée et que l’on atteint un certain degré de puissance. Et, sur la route, on croise d’étranges choix de conception.

Par exemple, Diablo IV intègre un scaling des ennemis, qui ont donc toujours le même niveau que le personnage. Toujours ? En fait non, car lors de la partie finale de la campagne, dans une sympathique visites des enfers, le niveau des monstres devient arbitrairement 45, sans tenir compte de celui du personnage. Si l’on n’a pas pris son temps pour explorer la carte et accompli un certain nombre de quêtes secondaires et évènements aléatoires, on peut se retrouver avec plusieurs niveaux de moins, ce qui change nettement le défi, surtout si l’on a commencé en difficulté 2.

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Ce problème s’accentue par la suite. Pour débloquer la difficulté 3, le mode Cauchemar, il faut valider un donjon de niveau 50 en difficulté 2. Puisque l’on peut y accéder dès la fin de la campagne, on aura encore plus de mal à y aller, surtout avec certaines classes, l’équilibrage étant loin d’être parfait. Après quoi, le mode Cauchemar est disponible… avec un niveau minimum de 53 pour les monstres. Encore un palier.

Mais revenons-en au principal problème de Diablo IV : on s’y ennuie assez rapidement. La faute aux activités endgame qui ne sont tout simplement pas assez nombreuses. Certes les donjons sont nombreux, mais ils ne sont pas générés procéduralement, du moins pas complètement. Leur conception et la faible variété des objectifs (tuer trois ennemis spéciaux, trouver deux pierres pour déverrouiller une porte, cliquer sur deux leviers, etc…) les rendent répétitifs et artificiels.

Les donjons, dans leur forme actuelle, sont l’un des points noirs du jeu. Ils manquent d'identité et fonctionnent tous sur le même principe : ils sont faits pour « occuper » le joueur pendant 15 à 30 min.

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En difficulté Cauchemar, on débloque les emblèmes, qui fonctionnent comme les clés Mythique+ de World of Warcraft, elles-mêmes inspirées des failles Nephalem de Diablo III. Ces emblèmes ont un niveau, déterminant le degré de renforcement des monstres pour le donjon ainsi que des affixes qui viennent modifier l’expérience de jeu, via des éléments perturbant les combats (comme une pierre rouge qui vous suit partout et crée une zone d’impact si l’on reste à côté). Un principe efficace et qui a fait ses preuves, mais que l’on a déjà vu et donc sans innovation particulière.

En dehors des emblèmes, seules les vagues de cauchemar viennent rompre la monotonie. Régulièrement, des régions de la carte apparaissent en rouge. Elles signalent que des hordes infernales ont envahi ces terres. Leur densité est plus importante et les monstres lâchent au passage une monnaie spéciale servant à ouvrir des coffres présents dans ces zones. Là encore, le mécanisme est efficace et sympathique, du moins les premières fois. Mais en quelques jours, on se rend vite compte que l’on alterne toujours entre donjons et vagues infernales.

Itemisation : on ne rêve pas

L’itemisation est le nom que l’on donne au processus d’équipements avec de nouveaux objets. C’est un élément capital du genre hack’n’slash, puisque dans ces jeux, on ne fait que tuer des hordes de monstres, toujours poussé par l’appât du gain.

Or, le gain, dans Diablo IV, ne fait pas spécialement rêver. Les Diablo ont toujours été caractérisés par la recherche d’objets uniques ou légendaires ayant des statistiques beaucoup plus poussées que les autres et proposant surtout des pouvoirs significatifs.

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Dans le nouvel opus, on retrouve le classement habituel blanc/bleu/jaune pour les objets normaux, magiques et rares, puis les objets légendaires, affichés en orange. Leurs statistiques sont souvent meilleures (mais pas toujours) et ils intègrent un effet particulier. Seulement voilà, ces effets sont « mous », ce qui cadre d'ailleurs avec un manque général de nervosité. Il est en effet rare que l'on puisse lancer plus de trois fois un sort coûtant de la ressource, la plupart des autres capacités ayant des temps d'attente.

Ces effets ne ciblent le plus souvent qu’un sort ou une capacité, avec un bonus parfois de quelques pourcents. Certains sont si spécifiques que l’on se demande même comment ils fonctionnent, ni même – et c’est un gros problème – s’ils ont un intérêt quelconque. Pour des objets se voulant « légendaires », on est loin de l’enthousiasme. Une situation que le célèbre dessinateur de Carbot a très bien résumé dans sa première animation consacrée à Diablo IV.

Une fois que l’on joue au moins en mode Cauchemar, les objets uniques entrent en piste. Ce sont cette fois des objets pouvant inciter à changer complètement de style de jeu et un cran nettement au-dessus des légendaires classiques. Ils sont aussi beaucoup plus rares et actuellement les plus recherchés, particulièrement en « sacré », un modificateur aléatoire augmentant le niveau d’objet et donc les plages de statistiques : les dégâts, l’armure, les résistances et ainsi de suite.

Il y a également un problème avec le niveau d'objet. En mode Cauchemar par exemple, on doit faire évoluer notre personnage entre les niveaux 50 et 70. Mais dès que l'on atteint environ 700 de niveau d'objet, on peut être certain de ne pratiquement plus progresser avant d'arriver en mode Enfer. Dès lors, quand des légendaires ou uniques tombent sur le sol sans être sacrés, on sait qu'ils ne serviront pas dans l'immense majorité des cas.

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Bof...

Pourtant, même ces objets ont un problème : si leur acquisition est plus motivante, elle ne déclenche pas l’enthousiasme des précédents opus. On a souvent l’impression que Blizzard n’a pas souhaité donner trop de puissance, et une partie de l’explication à ce choix tient dans la conception même de Diablo IV.

Le nivellement par le bas

Le jeu est conçu en open world avec d’évidentes recettes récupérées de l’univers MMORPG. Pour qui a déjà joué à World of Warcraft, on sait bien que l’on ne trouvera jamais d’objet pouvant d’un seul coup doubler les dégâts ou varier intensément le style de jeu. Pourquoi ? Parce que tout le monde est dans le même panier et que l’aspect MMO implique une comparaison immédiate avec les autres. Pour que le système de jeu reste « sain », il faut que l’intégralité des joueurs et joueuses soient dans une même fourchette.

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Ciel, des gens

C’est le cas aussi dans Diablo IV. Sans atteindre la densité de WoW (loin de là), on peut avoir plusieurs dizaines de personnes au sein de la même carte. Pas questions de voir débarquer un barbare qui d’un coup de trombe écraserait un pack de monstres et plusieurs élites (ce qui peut quand même se produire, particulièrement si l’on joue dans une difficulté moindre).

Les trois précédents Diablo étaient des jeux prévus avant tout pour le solo, ce qui offrait toute latitude aux développeurs pour faire ressentir cette sensation de puissance potentielle cachée derrière chaque objet tombant au sol. La courbe de puissance pouvait ainsi grimper brutalement. C’est impossible dans un MMO ou dans un jeu qui en reprend les mécaniques, car l’écart entre les joueurs d’une même phase ne doit pas être trop important, du moins pas sans un gros investissement.

Outre des objets ne faisant que rarement rêver, ce nivellement par le bas se retrouve dans la manière dont Blizzard gère l’équilibrage dans les classes. En dépit de nombreux tests et de plusieurs phases bêta, il est apparu des écarts significatifs dès le départ, notamment chez le voleur. Classe rapide et dynamique par sa conception, elle a reçu plusieurs « nerfs » radicaux, divisant certaines valeurs par 10. Certains builds trop efficaces avec des effets légendaires spécifiques ? On supprime ces effets légendaires, sans avertir les joueurs ni aucun message explicatif sur cette disparition.

Des décisions successives qui, au lieu de mettre les autres classes à niveau, consistent à casser ce qui dépasse une certaine ligne. Là encore, le problème n’aurait pas cette ampleur dans un jeu pensé avant tout pour le solo, mais dans un monde multijoueur, il ne faut pas faire de vague. On l’a d’ailleurs vu pendant la bêta : la sorcière et le nécromancien ressortaient comme très forts, ils ont donc été sabrés.

Il manque un ingrédient

Comme si Blizzard avait égaré la recette d’un bon Diablo, il semble constamment manquer un ingrédient dans Diablo IV : on s’amuse pendant un temps, puis on s’occupe. La progression vers le dernier mode de difficulté (Enfer) devient vite rébarbative, et il n’y a pas d’espoir pour que cela change ensuite. Le jeu, en l’état, manque de fun.

C’est d’autant plus regrettable que ce manque d’amusement finit par casser l’envie de refaire d’autres personnages, puisque l’on sait déjà que l’on va refaire une fois la campagne, puis retomber dans le cycle donjons-vagues que l’on a déjà fait avec les autres. D’ailleurs, une fois la campagne terminée, les autres personnages créés peuvent partir dès le début en exploration libre. C’est encore pire, car on se retrouve à errer sur la carte en cherchant des quêtes et des donjons.

Le comble pour un hack’n’slash dont c’est justement le fonds de commerce : avancer en tuant tout sur son passage. Et le phénomène est accentué par les décisions de Blizzard, qui réagit très vivement dès qu’une petite bosse est détectée dans une expérience qui semble avoir été voulue la plus lisse possible. On le voit encore dans les changements successifs sur la densité des monstres élites dans les donjons, diminuée à plusieurs reprises.

Diablo IV semble vouloir s’assoir sur deux chaises à la fois : convenir aux fans de la saga et être le plus abordable possible. Dans sa forme actuelle, la formule ne fonctionne pas, pour deux raisons principalement. D’une part, l’absence générale d’activités (surtout en endgame), qui fait du titre un très bel écrin, mais seulement un écrin. D’autre part, une absence totale d’innovation, Diablo IV ne faisant que reprendre des recettes existantes.

C’est d’ailleurs sur ce point que l’inspiration de World of Warcraft se fait sentir : quand Diablo va chercher dans la fin de certaines extensions comme Shadowlands, qui ressemblaient plus à une liste de choses à faire qu’à un jeu, quand on se sent poussé par l’envie de progresser.

Avec les jours qui passent, l’écart grandit d’ailleurs sur certains sites comme Metacritic, entre d’un côté les scores dithyrambiques de la presse, et de l’autre la note globale des joueurs, qui descend progressivement. Dans les mauvaises notes (le review bombing est à prendre en compte), l’ennui et le manque d’innovation reviennent souvent dans les arguments. « Sans âme », également, prisonnier d’un modèle – Diablo II – dont il ne s’éloigne que peu.

Même si l'on met de côté ces considérations spirituelles, la boucle de gameplay ne fonctionne pas comme elle le devrait. Un leveling très long passé le niveau 50, des objets ne faisant pas rêver et un système de talents qui dévoile trop vite son jeu font que l'on s'établit rapidement sur un certain rythme qui, dans les grandes lignes, n'évolue plus tellement. Le sentiment de progression manque clairement de force, là où chaque Diablo précédent pouvait vous faire sauter plusieurs marches d'un coup.

Affaire pliée ? Pas si vite

Diablo IV, dans sa forme actuelle, n’est pas à la hauteur du reste de la licence ni des attentes d’une partie des joueurs. Mais la situation pourrait évoluer rapidement, car Blizzard a de grandes ambitions pour son titre, pensé comme un jeu-service.

Le studio a confirmé que deux extensions étaient déjà en travaux. Le jeu aura régulièrement des saisons, la première devant arriver durant la deuxième moitié de juillet. Chacune apportera une thématique spécifique et, normalement, des mécaniques propres ainsi que de nouveaux objets. Ces derniers resteront dans le jeu à la fin de chaque saison. On peut donc espérer que le jeu s’enrichisse progressivement, au fur et à mesure des mises à jour.

Il faudra entretemps que le studio retrouve la recette d’un véritable jeu pour redonner un sentiment d’amusement capable de résister au-delà de quelques jours.

En matière d’expérience utilisateur, des efforts sont également à faire. Permettre par exemple à la carte de s’afficher en surimpression (diantre, c’est quand même le premier Diablo qui a créé ce mécanisme !), revoir la place prise par les gemmes dans l’inventaire, afficher au-dessus de la quête active des informations pertinentes comme le temps avant apparition d’un boss mondial ou d’une vague infernale, l’absence de recherche de groupe, l’interface lourde pour inviter quelqu’un, etc.

Un gros travail attend Blizzard, mais le jeu pourrait en valoir la chandelle, car le potentiel est là. Le studio devra également vite faire avancer l’histoire, car en dehors de quelques courtes mentions vers la fin de la campagne, Diablo n’est pas présent. On retrouve bien Andariel et Duriel, mais ces retours ne sont pas aussi marquants qu’ils devraient l’être.

La question est de savoir si les joueurs seront toujours là pour les saisons et les mises à jour de contenu. Elle se posera encore plus quand Blizzard demandera de remettre la main au portefeuille pour les extensions, car les 70 euros demandés pour Diablo IV paraissent pour l’instant peu mérités. C’est d’ailleurs tout le modèle du jeu qui pourrait être en danger, car les microtransactions – même si elles ne sont que cosmétiques – réclament que les joueurs et joueuses soient motivés et aient des raisons de s’investir (et d’investir).

La base est là, avec un très beau jeu et une réalisation technique presque impeccable. Il faut « simplement » remonter la pente sur le reste. Si l'on en croit les développeurs qui se sont exprimés vendredi dernier, des améliorations sont prévues, comme le rapatriement des gemmes dans la liste des composants, dont la quantité maximale augmentera d'ailleurs. Cependant, une partie de ces apports ne se verra qu'à partir de saison 2, sans que l'on sache vraiment pourquoi.

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