Les établissements de l’enseignement supérieur français devront-ils bientôt utiliser prioritairement des logiciels libres ? C’est effectivement ce qui pourrait se passer si les parlementaires adoptaient définitivement le texte du projet de loi sur l'enseignement supérieur tel que retenu la semaine dernière en commission mixte paritaire. Sauf si le gouvernement ou certains élus décidaient toutefois de faire adopter un amendement allant dans un sens contraire, notamment sous les sirènes des puissants lobbys du secteur.
C’est en mars dernier qu’a été déposé devant l’Assemblée nationale le projet de loi de la ministre Fioraso s’agissant de l'enseignement supérieur et de la recherche. À l’époque, aucune mention quant aux logiciels libres ainsi qu’à leur utilisation au sein des universités françaises. Mais depuis l’adoption du texte par le Sénat, le 21 juin, le libre est désormais de la partie.
Priorité aux logiciels libres de droit
En effet, un amendement déposé par trois sénateurs membres du groupe communiste, républicain et citoyen a été adopté. Il prévoyait que l’article L. 123-4-1 du Code de l’éducation indique dorénavant qu’au sein du « service public de l'enseignement supérieur », lequel « met à disposition de ses usagers des services et des ressources pédagogiques numériques », « les logiciels libres de droit sont utilisés en priorité ».
Le gouvernement avait tenté de faire adopter un autre amendement portant sur le libre, mais celui-ci est tombé. Il précisait que le service public numérique de l’enseignement supérieur devait « [tenir] compte de l’offre de logiciels libres et de documents au format ouvert, si elle existe ». Une version bien plus édulcorée : l’option du libre est possible, mais en rien prioritaire, contrairement à ce que prévoit l’amendement finalement approuvé, au cas où le logiciel est libre de droit.
Commission mixte paritaire élargi à tous les logiciels libres
Depuis son adoption en première lecture dans des termes différents par les deux assemblées, le fameux projet de loi a fait l’objet de discussions dans le cadre d’une commission mixte paritaire (CMP). Dans le texte retenu la semaine dernière par les sept députés et sept sénateurs ainsi réunis, on remarquera que c’est finalement l’utilisation de tous les « logiciels libres » qui doit être opérée prioritairement, et non plus celle des seuls « logiciels libres de droit ». Dominique Gillot, sénatrice socialiste et rapporteur pour le Sénat, a ainsi défendu cette modification : « Les logiciels libres ne sont pas nécessairement libres de droit. Les seuls qui le soient sont ceux relevant du domaine public, les autres sont diffusés sous licence par leurs auteurs ». Autrement dit, « logiciels libres de droit » correspondait à un ensemble trop restreint. Un ensemble qui doit donc être élargi selon les parlementaires.
La sénatrice Marie-Christine Blandin, présidente de la CMP, a au passage écarté les critiques portant sur l’incompatibilité de l’usage prioritaire du libre avec la législation relative à la concurrence. L’élue écologiste a ainsi évoqué « une décision du 30 décembre 2011 du Conseil d’État à propos de la région Picardie et distinguant marché de service et marché de fournitures, confirmant l’idée selon laquelle la priorité donnée aux logiciels libres serait compatible avec le droit de la concurrence » (l'arrêt évoqué dans nos colonnes).
À noter enfin que le texte retenu par la CMP prévoit que l'article L. 613-2 du Code de l'éducation soit complété par un alinéa en vertu duquel « Les présidents et directeurs d'établissements publics d'enseignement supérieur rendent publique sur leur site internet la liste des diplômes qui leur sont propres et des enseignants intervenant dans ces formations ».
Les mauvais souvenirs du projet de loi Peillon sur l'école de la République
Il conviendra désormais de suivre les dernières étapes de la procédure législative de ce projet de loi, afin de voir ce qu’il advient de ces dispositions. Quoi qu’il en soit, cet élan est applaudi par l’APRIL, l’association pour la promotion du libre, qui veut néanmoins garder la tête froide. « Les députés et sénateurs de la CMP reconnaissent l'importance des logiciels libres pour un service public. Nous espérons que le gouvernement ne tentera pas une nouvelle fois de revenir sur l'incitation préférentielle au logiciel libre pour l'éducation, qui était l'un des engagements du candidat François Hollande » a ainsi souligné Frédéric Couchet, délégué général de l’organisation.
Et pour cause : après l’adoption au Sénat d’un amendement en faveur de l’utilisation prioritaire du libre dans l’éducation nationale (écoles, collèges, lycées...), le gouvernement a fait supprimer une telle disposition par les députés. L’amendement en question avait provoqué l’ire du Syntec Numérique (syndicat professionnel représentant 1 200 entreprises du numérique) et de l'AFINEF (groupe représentant une cinquantaine d’entreprises de l'e-education), qui estimaient que la petite phrase était contraire aux règles de la commande publique, le droit européen et même la Constitution.