Trop rarement abordé dans la presse, le chômage dans l'informatique existe pourtant bel et bien. Il faut dire que le secteur bénéficie d'une image d'un marché vivant, qui sait s'adapter, avec une demande forte constante, où l'autodidactisme est roi, où les salaires sont très élevés quel que soit le poste, et où les missions données sont enrichissantes. Un tableau idyllique évidemment faux.
Une vidéo parodique qui n'est pas de notre fait, mais qui correspond assez bien à cet édito
Des problèmes multiples
Avec la montée du chômage dans bon nombre de secteurs d'activités en France, l'informatique (au sens large) n'est pas épargnée, avec près de 8 % de chômeurs de catégorie A, et même près de 10 % en rajoutant les catégories B et C. Il faut dire que certaines grosses sociétés continuent de licencier tandis que d'autres ont freiné leur recrutement. Mais à cette situation se mêlent de nombreux problèmes : l'externalisation vers les pays aux salaires bien plus faibles, les formations pas toujours adaptées aux réalités du marché ou le manque de formation au sein des entreprises, la trop grande importance des commerciaux, certains types d'emplois sous-valorisés par les clients, des pressions psychologiques pour faire du chiffre, des conditions de travail déplorables, des missions sans intérêt, des heures à n'en plus compter, etc.
Bien qu'elles ne représentent en aucun cas tout le secteur informatique, les sociétés de services en ingénierie informatique (SSII ou SS2I) attirent tous les regards. Il faut dire qu'elles représentent un très grand nombre d'emplois en France et qu'elles recrutent massivement des jeunes diplômés du fait d'un renouvellement de l'effectif extrêmement élevé. Elles sont ainsi incontournables pour de très nombreux ingénieurs informaticiens. Mais s'il convient évidemment de ne pas faire de généralité de certains cas extrêmes rencontrés au sein des SSII, il n'empêche que les retours négatifs sont particulièrement fréquents.
« J’ai vu des employés en intercontrat qui n’avaient plus d’électricité ! »
En 2009, Rue 89 décrivait déjà très durement ces sociétés. Un employé, dont le patron souhaitait le voir partir à tout prix, expliquait ainsi sa situation de l'époque : « Je suis au placard. J’ai eu trop de clients et maintenant on me reproche d’être en intercontrat. (...) On dit clairement au salarié “tu me coûtes trop cher”. J’ai vu des employés en intercontrat qui n’avaient plus d’électricité ! Vous entrez dans votre bureau, vous n’avez plus d’ordinateur ni de lumière. »
L'intercontrat, cette période entre deux placements, deux contrats, deux missions, peut être très courte voire inexistante lors des bonnes périodes ou si l'employé est compétent. Si cela dure, cette période peut servir à se former. Tout du moins en théorie. Comme le notait Le Monde il y a deux ans, de nombreux employés se plaignent que pour obtenir une formation, il faut réclamer avec insistance. Un constat déjà relevé en 2005 par 01Business, qui consacrait un article complet au parcours du combattant pour la formation en SSII.
Mais la formation est loin d'être le principal problème des SSII. Ces dernières sont par exemple souvent critiquées pour « louer » leurs employés, comme si elles étaient des sociétés d'intérim, sans pour autant l'être officiellement. Une ambiguïté qui implique des conditions de travail médiocres et des gestions du personnel catastrophiques. Une situation problématique telle que le journaliste Nicolas Séné a sorti en 2010 un livre nommé « Derrière l'écran de la Révolution Sociale », avec comme sous-titre : « Quand le monde de l'informatique et des SSII sert de laboratoire social et induit une précarisation par le haut ».
« Dans les faits, certaines grosses SSII sont devenues de géantes boîtes d’intérim »
Dans un papier publié dans l'Humanité il y a trois ans, ce même journaliste expliquait que le secteur de l’informatique est « passé maître dans le moins-disant social », et en particulier les SSII. Et de préciser que ces dernières basent toute leur économie sur l'illégalité de la mise en régie. « Quand une SSII décroche un contrat, ses salariés sont le plus souvent placés chez le client pour développer un projet précis. Cela s’appelle du prêt de main-d’œuvre et est rigoureusement encadré par la loi. Un seul secteur peut prêter légalement son personnel : l’intérim. Dans les faits, certaines grosses SSII sont devenues de géantes boîtes d’intérim. »
Une affirmation évidemment niée par le Syntec Numérique, qui représente les entreprises high-tech présentes en France. Néanmoins, cette situation conduit inévitablement à séparer régulièrement l'employé de son entreprise, ce qui l'éloigne de son évolution et induit une pression importante afin de remplir les objectifs. En 2007, le MUNCI, l'association professionnelle des informaticiens, décrivait d'ailleurs aussi cette problématique : « un grand nombre de SSII sont en réalité de simples sociétés de placement de main d’œuvre et non de vrais fournisseurs de services, c’est-à-dire de véritables sociétés d’expertise. Ce sont là de faux sous-traitants qui se rendent coupables avec leurs clients de prêts illicites de main-d’œuvre (généralement à titre exclusif) et délits de marchandage dans les prestations d’assistance technique (régie). »
« Quand votre supérieur hiérarchique est un commercial... »
Le journaliste Nicolas Séné a aussi abordé dans son livre la fameuse trop grande importance du volet commercial dans certaines entreprises. « Quand votre supérieur hiérarchique est un commercial, vous représentez alors une charge pour son portefeuille de salariés. (...) Le meilleur moyen pour lui de vous rentabiliser est donc de vous trouver à tout prix une nouvelle mission. Ou, plus radical, de vous pousser à partir. Et sur fond de crise, les arguments sont tout trouvés. »
Là encore, le MUNCI faisait le même constat il y a six ans, expliquant que la toute-puissance des commerciaux était catastrophique, du fait du « rattachement hiérarchique à des managers/commerciaux faisant office de responsables RH (visions de rentabilité court-termistes, manque de compétences en législation sociale, décalage entre les politiques RH et leur application sur le terrain par méconnaissance des accords signés avec les IRP…). »
Plus intéressant encore, toujours dans le cadre des conditions de travail et du niveau de l'emploi, le journaliste notait les rapports très ambigus entre le monde informatique et celui de l'automobile. Que l'on parle de l'externalisation et de la sous-traitance, ou encore des pressions imposées aux salariés, les points communs sont parfois troublants. Il faut dire que le patronat utilise ces deux secteurs pour réaliser des tests qui pourront être ensuite appliqués ailleurs. Le chômage partiel, appliqué aujourd'hui aux usines automobiles, pourrait arriver dans l'informatique (voire les jeux vidéo), ceci dans le but de s'adapter aux variations de la demande. Et dans le domaine, la SSII est un « véritable laboratoire social du patronat » note Séné, qui rappelle qu'Ernest-Antoine Seillière, ancien patron du MEDEF, a très tôt investi dans Capgemini.
Bien entendu, toutes les SSII ne sont pas des cauchemars et les salaires dans l'informatique sont parfois très élevés. Toutefois, nous aurions pu parler des administrateurs réseaux et systèmes, des développeurs, des infographistes, etc. qui ont eux aussi leurs problèmes spécifiques, notamment de considération, de salaires et de conditions de travail.