Numérique et environnement : les data centers comme leviers d’analyse ?

Numérique et environnement : les data centers comme leviers d’analyse ?

Oh un nuage

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Mathilde Saliou

Publié dans

Société numérique

20/04/2023 6 minutes
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Numérique et environnement : les data centers comme leviers d’analyse ?

Comment analyser de manière aussi fine les effets du numérique sur l’environnement et la société ? Pour la chercheuse canadienne Mél Hogan, une piste efficace consiste à décortiquer les effets des data centers sur leurs environnements. Next INpact lui a demandé de détailler son travail.

Derrière le cloud, les data centers peuvent-ils servir de pilier dans l’analyse des effets du numérique sur la planète et la société ? C’est l’idée que promeut Mél Hogan, directrice du Laboratoire de Média Environnemental et professeur en Communication, média et film à l’université de Calgary, au Canada.

Avec Dustin Edwards et Zane Griffin Tally Cooper, elle s’apprête à publier une analyse de la constitution du champ des Critical Data Center Studies, les études critiques des centres de données. Un domaine d’étude au croisement des sciences humaines, environnementales et informatiques dans lequel elle-même a commencé à se plonger il y a dix ans.

D’une interrogation sur les archives numériques…

À l’époque, la chercheuse s’intéresse aux conditions d’archivage et de stockage de données et leurs implications sociopolitiques et environnementales. « Je travaillais sur toutes sortes d’archives et toutes les personnes que j’interrogeais me racontaient comment ils avaient perdu tel type de données, des personnes installées au Canada m’expliquaient que telles vidéos étaient stockées sur un serveur inconnu, au Texas, donc impossible d’accès… » À l’université du Colorado, où elle entame un postdoc, les discussions sur les questions environnementales prennent de l’importance.

Elles mènent la jeune femme à s’intéresser aux data centers « presque sur un malentendu. Je crois qu’au tout début, j’envisageais ces espaces comme « les nouveaux espaces d’archives ». Cette naïveté m’a ouvert l’accès à un immense champ d’étude. » Pour Mél Hogan, même si le discours des grandes entreprises numériques s’applique à les faire disparaître derrière des concepts comme celui du cloud, la fabrication, la localisation et les spécifications des data centers sont le lieu où les choix idéologiques sont faits, les investissements pris, où les relations de pouvoir se jouent.

… à l’étude des effets des data centers sur leur écosystème

Elle part les étudier sur le terrain, observe comment, dans un pays comme la Suède, des endroits spécifiques attirent toute l’industrie. « C’est là que j’ai pris la mesure de l’ampleur de l’enjeu environnemental : au nord, il n’y a pas besoin de dépenser autant qu’aux États-Unis pour refroidir les serveurs ». La scientifique y reste donc, le temps d’étudier comment des espaces où l’eau est facilement accessible, où l’environnement est particulièrement « accueillant » pour le fonctionnement des data centers, se mettent à attirer les grands noms de la tech.

Mél Hogan se penche, aussi, sur l’intérêt que les villes et les pays eux-mêmes développent pour ce type d’activité, en particulier dans d’anciennes villes minières, proches du cercle polaire Arctique, « où il y a peu d’autres opportunités de relancer l’activité économique ». Elle étudie les activités de NodePole, qui aide les entreprises à s’installer en Suède, ou de Data centers by Iceland, qui propose le même type de services en Islande.

Elle travaille aussi sur les grands projets abandonnés, comme celui de Ballangen, en Norvège. En 2017, la société américano-norvégienne Kropos avait annoncé en grande pompe s’apprêter à construire le plus grand data center du monde. Six ans plus tard, pas de nouvelles… mais c’est au tour de TikTok de s’intéresser à la possibilité de construire des infrastructures dans le pays.

« Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tellement de regarder les data centers en termes d’ingénierie, de mesurer leur consommation, de détailler leur efficacité technique, explique Mél Hogan. J’essaie plutôt d’apporter un regard social, politique et culturel à la discussion. »

Ouvrir de nouveaux axes de réflexion

Dans des articles comme dans ces propos, Mél Hogan insiste sur la nécessité de chercher la complexité, de dépasser de simples oppositions entre la nature d’un côté, l’infrastructure de l’autre. « Beaucoup de chercheurs ont démontré que les médias que nous utilisions, y compris les médias numériques, n’existent que grâce à l’environnement, à la fois parce qu’il faut extraire des terres rares pour construire nos outils informatiques, mais aussi parce que lorsqu’on crée des déchets numériques, ceux-ci ont des impacts sur le paysage, sur l’environnement. »

C’est la raison pour laquelle, à l’université de Calgary, elle participe à développer l’étude des « médias environnementaux », une expression qui sert aussi bien à signifier le croisement entre des champs d’études habituellement éloignés. « Au début de ma carrière, les gens pensaient que je faisais beaucoup de bruit pour pas grand-chose, sourit Mél Hogan. Mais depuis cinq ans, les gens prennent beaucoup plus la mesure du lien entre médias numériques, infrastructures technologiques et environnement ».

L’idée de médias environnementaux lui plaît, aussi, parce qu’elle permet « d’envisager des éléments comme l’eau ou l’air comme des mediums », sur lesquels nos activités numériques, économiques, industrielles agissent. Pour approfondir le travail entrepris il y a une décennie, Mél Hogan creuse désormais le sillon de la collaboration avec de nouveaux champs de réflexions : l’art, les médias traditionnels et l’activisme.

« Artistes, journalistes, activistes, chacun de ces profils travaille dans une temporalité spécifique, différente de celle des scientifiques, mais nous avons tous un rôle à jouer dans la compréhension, l’analyse et l’appréhension des effets de nos usages numériques sur nos environnements sociaux et écologiques. » Les artistes, souligne-t-elle, sont peut-être ceux qui sont le plus en pointe, qui ont le plus de libertés en termes de travaux exploratoires, raison pour laquelle elle travaille à Critical Studies of the Cloud, une vaste somme d’œuvre et de projets artistiques se penchant sur les effets réels et matériels de « l’informatique en nuage ».

Et de citer en exemple Mario Santa Maria, qui a tenté de suivre le chemin emprunté par ses données lorsqu’elles circulent jusqu’aux data centers qui les stockent, ou Cyrus Clark, Monika Seyfried et Jeff Nivala, qui, dans Grow your own cloud, se demandent s’il est possible de faire pousser son propre nuage informatique.  

Écrit par Mathilde Saliou

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« Ce qui m’intéresse, ce n’est pas tellement de regarder les data centers en termes d’ingénierie, de mesurer leur consommation, de détailler leur efficacité technique, explique Mél Hogan. J’essaie plutôt d’apporter un regard social, politique et culturel à la discussion. »




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