L'ONG internationale Global Witness alerte sur le harcèlement en ligne contre les climatologues après avoir effectué un sondage auprès d'eux : beaucoup, notamment des femmes, sont harcelés jusqu'aux menaces de mort, ces messages engendrant insomnies et dépressions.
Global Witness est une ONG qui, au départ, traite de la corruption dans l'exploitation des ressources naturelles. Mais elle a élargi les sujets qu'elle couvre à l'environnement, publiant en 2018, par exemple, un rapport sur les morts des défenseurs de l'environnement.
Cette fois, l'ONG publie un rapport sur le harcèlement en ligne des chercheurs qui travaillent sur le climat, s'appuyant sur un sondage [PDF] qu'elle a commandé au sondeur YouGouv et quatre cas d'étude.
Le sondage a été effectué fin 2022 sur 468 climatologues, dont une bonne partie sont des hommes (309), en majorité européens (256) et ont publié plus de 10 articles scientifiques (223).
La moitié des climatologues expérimentés ont été harcelés
Si déjà 39 % des climatologues interrogés ont déjà été harcelés, non de façon générale mais en raison de leur travail sur le climat, ce chiffre monte à 49 % quand on demande à celles et ceux qui ont publié plus de 10 articles scientifiques.
« Les résultats suggèrent que les abus augmentent avec les résultats académiques et l'exposition aux médias », selon l'ONG. Elle souligne que les chercheurs et chercheuses qui participent au débat médiatique au moins une fois par mois reportent beaucoup plus d'abus (73 %). Mais ce n'est pas parce qu'ils ne médiatisent pas leurs travaux que les climatologues ne sont pas victimes de harcèlement en ligne : 12 % ne vont jamais dans les médias et se plaignent pourtant d'avoir déjà fait face à ce genre de comportements.
Les femmes subissent plus d'attaques personnelles
Pour la plupart d'entre eux (91 %), leur travail a été directement attaqué et de façon assez importante, ainsi que leur crédibilité (81 %) en tant que chercheurs. Mais les femmes ont dû subir plus d'attaques personnelles sur leur genre (34 %), alors que les hommes n'ont quasiment jamais eu ce genre d'attaques (3 %).
Elles ont aussi été plus attaquées à propos de leur âge (17 % contre 5 % pour les hommes). Quand le harcèlement passe aux menaces, si les menaces de mort sont aussi bien dirigées vers les femmes que les hommes (aux alentours de 8 à 9 %), les chercheuses font face à plus de menaces de violences sexuelles (13 % contre 2 % pour les hommes) et de menaces physiques (6 % contre 3 % chez leurs collègues masculins).
Dans l'un des cas d'étude cité par Global Witness, la chercheuse Helene Muri, de l'Université Norvégienne de science et technologie (NTNU), témoigne de harcèlements qui dépassent ensuite les réseaux sociaux, venant jusque sur les tableaux d'affichage, des emails, « mais aussi d'appels téléphoniques adressés à moi-même et à ma famille ou à mon employeur ». La chercheuse, qui passe souvent dans les médias pour parler des phénomènes météorologiques extrêmes, ajoute que « dans les cas les plus extrêmes, les commentaires vont jusqu'à la façon avec laquelle je devrais me suicider ».

Dépression, anxiété, peur pour leur réputation professionnelle et pour leur sécurité
Les conséquences existent bel et bien. 51 % des climatologues ayant subi du harcèlement en ligne ont eu peur pour leur réputation professionnelle, dans un monde académique très concurrentiel et dans lequel on juge le travail de l'autre en permanence. Aussi, dans 51 % des cas, ces comportements en ligne ont provoqué de l'anxiété chez les chercheurs et chercheuses. Un cinquième a connu des périodes de dépression suite à ce genre d'attaques en ligne et près de la moitié signalent une perte de productivité.
« Ces tendances sont préoccupantes pour la capacité mondiale à agir sur le changement climatique. Si les scientifiques sont incapables de faire leur travail en raison du stress et de la peur provoqués par le harcèlement, les preuves essentielles qui sous-tendent l'action et les solutions en matière de climat sont mises en péril », souligne l'ONG.
Ce constat survient alors que l'Institute for Strategic Dialogue (ISD) relève que les citations des sites climato-négationnistes ont augmenté pendant l'année 2022 sur Twitter. L'ISD observe que si la ligne directrice « a largement évolué vers des tactiques "retardatrices" [discours reconnaissant l'existence du changement climatique, mais justifiant l'inaction, ndlr], le négationnisme pur et simple est loin d'avoir disparu ».
En France, des chercheurs du CNRS ont repéré aussi qu'une communauté niant le réchauffement climatique s'était créée sur Twitter pendant l'été 2022.
Dans son étude, l'ISD a repéré que 70 % des contenus partagés par les comptes climato-négationnistes français étaient dans leur langue, mais les comptes francophones importants de cette communauté ont beaucoup relayé leurs équivalents anglophones, participant à leur diffusion encore plus massive.