La semaine dernière, l'ANFR organisait une conférence Spectre & Innovation, la première depuis la pandémie de Covid-19. Une des deux tables rondes était centrée sur les communications spatiales, au sens large du terme. Il était évidemment question de constellations de satellites... et donc de leur lancement.
Lors de cette conférence, une personne se présentant comme appartenant au ministère des outremers est revenue sur la famille de lanceurs européens, avec Vega (le premier lancement commercial de Vega-C est parti en flamme), Soyouz (plus utilisé depuis la guerre en Ukraine) et « le très léger retard d'Ariane... pardon, je me permets de sourire ». Le vol inaugural d'Ariane 6 a en effet plusieurs années de retard. Si la pandémie a joué un rôle, ce n'est pas la seule responsable.
La participante souhaite donc savoir « comment pourra-t-on, dans les années à venir, lancer depuis l'Europe des mégaconstellations européennes sur un spectre européen sachant que l'Europe est sur les trois océans ? ». Après quelques secondes de blanc, les premières réponses à cette « question pas facile » arrivent par l'intermédiaire de Renaud Vogelsein, « le patron des fréquences » chez Airbus Defense & Space.
Comment lancer des mégaconstellations depuis l'Europe ?
Réponse courte et directe : « Il faut vraiment souhaiter tous ensemble qu'Ariane 6 décolle pour qu'on retrouve une compétition dans le domaine du lancement et un lanceur européen ». Le carnet de commandes – aussi bien pour l'Europe que le compte d'entreprises étrangères comme Amazon qui a signé pour 18 lancements Kuiper – est déjà bien rempli alors que la fusée n'a même pas encore décollé une seule fois.
Renaud Vogelsein ajoute que « IRIS² [Infrastructure de Résilience et d’Interconnexion Sécurisée par Satellites, ndlr] sans Ariane, ça va être compliqué ». Il s'agit pour rappel d'une infrastructure de connectivité souveraine, autonome et sécurisée, qui sera déployée dans l'espace via une constellation de satellites.
Même son de cloche du côté de Jean-Hubert Lenotte, directeur de la stratégie et des ressources chez Eutelsat : « Ariane a été un succès extraordinaire, il faut espérer qu'Ariane continue d'être un succès extraordinaire, mais pour l'instant la passe actuelle est compliquée ».

« On ne va pas attendre que tel ou tel lanceur soit prêt »
Eutelsat nous livre ensuite sa vision d'opérateur : « quand vous êtes obligés de lancer des satellites, vous allez juste utiliser ce qui existe. Le temps est absolument critique. On ne va pas attendre que tel ou tel lanceur soit prêt, notamment pour la future génération de OneWeb [...] On a besoin de lanceurs et on utilisera ce qui est disponible et l'accès à l'espace sera compliqué dans quelques années ».
Nous avons demandé à Jean-Hubert Lenotte si, faute de disponibilités de lanceurs européens, passer par une société américaine comme SpaceX représenterait un risque au niveau de la sécurité ? Pour Eutelsat, « ça ne changerait rien [...] Le satellite, c'est très normé et surveillé ». En ces temps difficiles pour les lanceurs européens, on n'entend plus trop parler du « Buy european act » qui était dans de nombreuses bouches il y a quelques années.
Jeux d'espions et de menaces de destructions
Nous en profitons pour poser une question sur les jeux d'espion dans l'espace, avec des satellites qui s'approchent d'autres satellites... mais on ne sait pas trop dans quel but. Sur ce sujet, notre interlocuteur nous affirme que, « sur le satellite lui-même, il n'y a pas de risque [...] Il n'y a pas d'interception possible des communications, on ne peut pas pirater dans l'espace. Le seul risque, il est plutôt sur les terminaux au sol ».
Il existe néanmoins des risques physiques : « Il ne faut pas qu'il soit pris en otage. La seule chose qui peut être faite, c'est détourner un satellite ou le détruire comme certains l'ont fait ». C'est pour rappel le cas des États-Unis, de la Chine, de la Russie et de l’Inde, avec un de leur propre satellite à chaque fois.
Le but est à chaque fois de montrer au reste du monde que le pays dispose de cette capacité offensive et sait s'en servir. « C'est aussi un jeu où tout le monde se tient par la barbichette, c'est presque un peu l'arme nucléaire dans le principe, car tout le monde a cette capacité aujourd'hui », ajoute Jean-Hubert Lenotte.
Une explosion de projets de lanceurs, qui restera ?
Renaud Vogelsein (Airbus Defense & Space) élargit le sujet : « On voit beaucoup d'initiatives dans le domaine des lanceurs. Lesquelles vont survire, lesquelles vont se développer... c'est une vraie question. Je crois qu'il faut laisser un peu les choses maturer, le marché prendre ses marques et on verra d'ici à quelques années si cette explosion des projets lanceur se concrétise ou pas. Ce n'est pas si facile de tenir sur la durée et de trouver un modèle économique dans le lancement de satellites qui soit pérenne ».
Il est rejoint par Damien Garot, cofondateur et directeur général de la startup Stellar Telecommunications, qui parle des différents projets de lanceurs légers : « l'Europe tente de récupérer son retard par rapport aux américains de Rocket Lab par exemple, ce qui est une bonne nouvelle. Là-dessus, on voit aussi des projets de pas de tirs, notamment à Kourou qui sont mis en place pour permettre à ses microlanceurs européens de pouvoir exister ». Qu'en sortira-t-il ? Impossible à dire pour le moment.
Il rappelle enfin que plusieurs types de lanceurs sont nécessaires pour déployer une constellation de satellites. Les lanceurs lourds comme Ariane 5/6 peuvent amener le gros des troupes (c'est ce que fait SpaceX avec Falcon 9), mais des lanceurs plus petits sont également utilisés pour placer des satellites sur d'autres plans orbitaux en fonction des besoins.