Même si sa mission Crew-6 a dû être reportée de quelques jours, le Crew Dragon de SpaceX reste à peu près seul à pouvoir assurer des vols habités sans rencontrer de réels problèmes, contrairement à ses concurrents, qu'ils soient américains ou russes.
Vendredi 3 mars, l’équipage Crew-6 est entré dans la Station spatiale internationale (ISS) après le lancement la veille de la fusée Falcon 9, portant le vaisseau Crew Dragon. Si ce vol a été retardé à la dernière minute le 27 février dernier à cause d'un filtre obstrué, c'est la neuvième fois que SpaceX envoie sans encombre des humains dans l'espace (en comptant le vol de démonstration). L’équipage, composé des Américains Stephen Bowen et Warren Hoburg, de l'Émirati Sultan Al Neyadi et du Russe Andrey Fedyaev, devrait passer six mois à réaliser plus de 200 expériences scientifiques.
Et ce week-end, l'équipage du vaisseau Crew-5, composé de deux astronautes américains, une cosmonaute russe et un astronaute japonais, est revenu sur Terre sans difficulté après être resté 157 jours dans l'ISS. Si SpaceX enchaine les succès, ce n'est pas le cas de ses concurrents.
Un vol test pour Starliner de Boeing en avril prochain
Pendant que SpaceX enchaine les vols, Boeing prévoit son premier vol test habité pour avril. Sa capsule, Starliner, a connu plusieurs déboires : fin 2019, l'entreprise la lançait pour la première fois, à vide. Mais Starliner a essuyé un premier échec en ne rejoignant pas l'ISS.
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Après plusieurs années d'attente, en mai 2022, Boeing a finalement retenté un essai, toujours à vide. La capsule a réussi à s'arrimer au prix de quelques couacs. Elle a pu quand même, quelques jours plus tard, ramener sur Terre avec succès le mannequin bourré de capteurs qu'elle avait embarqué.
La prochaine étape devrait donc se passer en avril prochain. Un vol avec un équipage composé des astronautes américain Butch Wilmore et Suni Williams doit les amener jusqu'à l'ISS, en décollant « pas plus tôt que mi-avril 2023 » selon la NASA. Il a déjà été retardé à cause d'un problème d'humidité et de corrosion de valves détecté en 2021. Pour atténuer ce problème, la Nasa et Boeing ont expliqué lors d'une conférence avoir prévu un chargement du propergol dans le module de service du véhicule le plus tard possible, celui-ci leur ouvrant, selon eux, une fenêtre de 60 jours pour lancer la mission de test.
« Nous sommes beaucoup plus confiants aujourd'hui grâce aux mesures d'atténuation que nous avons mises en place avec les systèmes de purge et l'étanchéité des connecteurs afin d'éviter ce type d'intrusion d'humidité dans la valve, mais nous avons toujours cette ligne directrice de 60 jours » a déclaré le vice-président de Boeing, Mark Nappi.
Une difficulté côté russe
Si le programme Soyouz de vols habités existe depuis les années 1960 et a réussi la plupart de ses missions, il connait lui aussi des difficultés. La mission MS-22 a bien été lancée en septembre dernier avec, à bord, l'astronaute américain Francisco Rubio, ce qui n'était pas gagné, après l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Mais elle n'a pas pu ramener son équipage. Une microfuite (un trou de 0,8 mm dans un de ses compartiments) a eu raison de la cabine et l'agence spatiale russe Roscosmos a dû se résigner à la faire revenir vers la Terre à vide. MS-23 a été lancée à vide pour la remplacer et assurer leur retour. Elle est d'ailleurs maintenant bien arrimée à l'ISS. Mais ce choix annonce un décalage dans le calendrier des Soyouz, puisqu'à l'origine MS-23 ne devait pas décoller à vide, mais amener les Russes Oleg Kononenko et Nikolai Chub ainsi que l'États-unien Loral O'Hara à bord de l'ISS.
Cette difficulté est une pierre de plus dans le jardin russe alors qu'en 2020 et l'arrivée de SpaceX, le programme Soyouz a perdu son quasi-monopole des vols habités, même si les vaisseaux étaient vieillissants.
En juillet dernier, la Russie a annoncé qu'elle allait se retirer de l'ISS « après 2024 ». Le nouveau patron de Roscosmos, Iouri Borissov a expliqué en parallèle que la Russie allait créer une « station orbitale russe » en la présentant comme une future priorité pour son agence spatiale. Le spatial russe pâtit aussi des sanctions occidentales suite à l'invasion de l'Ukraine qui pourraient avoir des conséquences sur ce nouvel objectif.
La Chine a augmenté la cadence
Alors que la Chine lance des vols habités depuis 2003, elle a augmenté la cadence d'envoi de ses vaisseaux Shenzhou depuis 2021. À un rythme de deux lancements par an, le pays commence à assurer une certaine régularité. Lancée en novembre dernier en direction de la Station spatiale chinoise (SSC), Shenzhou 15 devrait revenir sur Terre en juin, vient d'annoncer l'Agence chinoise des vols spatiaux habités.
L'arlésienne européenne
On a gardé l'acteur européen du spatial pour la fin. Depuis 1975 et les ébauches du projet Hermès, l'Europe affiche de temps en temps des ambitions pour les vols habités. En septembre dernier, ArianeGroup présentait Susie, un dernier étage d'Ariane 6 réutilisable et habitable. Cette présentation devait pousser l'habitable dans l'agenda européen, qui a été fixé en novembre par la conférence ministérielle de l'ESA. Si celle-ci a décidé d'une augmentation du budget de l'agence spatiale, elle a évité, expliquait la Tribune, de se positionner sur le sujet de l'habité et a préféré suspendre la question à la remise d'un rapport de l'ESA et repousser la décision de son éventuel financement à la prochaine réunion ministérielle de 2025.
Vu les difficultés et retard de lancements, que ce soit pour Ariane ou pour Vega-C, il est bien possible que le vol habité pâtisse de l'ambiance morose qui touche actuellement le spatial européen.