L'Allemagne a ratifié le 17 février dernier l' « accord relatif à une juridiction unifiée du brevet » signé il y a 10 ans par 25 États européens. Cette ratification permet l'entrée en vigueur du texte le 1er juin 2023.
Le brevet unitaire européen va être mis en place, dix ans après la signature de l'accord qui fixe le fonctionnement de la nouvelle Juridiction unifiée du brevet (JUB). Le texte avait fait l'objet d'un vote en décembre 2012 au parlement européen.
L'idée est de créer un document juridique protégeant de manière uniforme une invention dans les pays qui reconnaissent la juridiction mise en place comme un guichet unique. Elle doit permettre aussi des économies et d'alléger les procédures administratives.
C'est la ratification de l'accord par l'Allemagne le 17 février dernier qui déclenche automatiquement le compte-à-rebours de l'entrée en vigueur du texte. En effet, celle-ci devait intervenir une fois que les trois États dans lesquels le plus de brevets européens sont signés et au moins 13 des pays signataires l'avaient ratifié. L'Allemagne est donc le dix-septième membre de l'accord à le ratifier. Toutes les conditions sont réunies pour que cette nouvelle juridiction en charge d'accorder le brevet unitaire européen ouvre ses portes le 1er juin prochain.
L'accord a été signé par 24 des 27 membres actuels de l'Union européenne, la Croatie, la Pologne et l'Espagne étant les trois exceptions. Mais dans ces 24, 7 ne l'ont pas encore ratifié : Chypre, la République tchèque, la Grèce, la Hongrie, l'Irlande, la Roumanie et la Slovaquie.

L'OEB en force
Pour l'instant, pour déposer un brevet en Europe, il existe deux possibilités. Soit vous déposez des demandes auprès de brevets nationaux devant chaque office national – comme l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) en France –, soit vous déposez un brevet auprès de l'Office européen des brevets (OEB), l'organe exécutif de l'Organisation européenne des brevets. Si le brevet européen est délivré par l'OEB seule, il doit être validé et maintenu en vigueur dans chaque pays choisi, ce qui implique des obligations de traductions et le paiement de taxes annuelles tout en ayant la même valeur qu'un brevet national.
La mise en place du brevet unitaire européen va permettre aux demandeurs de passer par un guichet vraiment unique et de ne le déposer que dans l'une des trois langues officielles de l'Union (anglais, français ou allemand) avec une traduction en anglais si ce n'est pas la langue de départ, et une traduction en français ou en allemand si le texte d'origine est en anglais.
Il devrait aussi réduire considérablement les coûts de dépôt. Dans les faits, il faudra d'abord déposer un brevet européen auprès de l'OEB puis une demande d'effet unitaire auprès du même office. Enfin, l'OEB récoltera aussi les taxes de renouvellement du brevet. l'Office Européen des brevets va donc devenir une clé de voute du système.
La JUB s'occupera de juger les infractions aux brevets, leur éventuelle révocation. Elle aura une Cour de première instance et une Cour d'appel qui pourra être appelée contre une décision du tribunal de première instance. La Cour de première instance aura une division centrale située à Paris, mais aussi des divisions locales pour chaque pays qui le désire (voir la carte interactive des instances).
L'instance d'appel siégera, elle, au Luxembourg. Le règlement des litiges devrait aussi se retrouver simplifié puisque les détenteurs de brevets ne devront plus passer par chaque office national. La naissance de la JUB était prévue pour 2014, mais elle a rencontré quelques obstacles qui l'ont conduite à être reportée de près de 10 ans.
L’INPI a mis en ligne un dossier sur le brevet européen à effet unitaire, avec une interview maison d’Émilie Gallois (responsable du pôle prospection et prestations à la direction de l'action économique). Il y est notamment question des différences avec le brevet national et le brevet européen qui date de 1973.
Cour constitutionnelle allemande et Brexit en obstacles
Initialement, l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni étaient les trois pays dans lesquels le plus de brevets européens étaient signés. Leur ratification était donc nécessaire pour que l'accord entre en vigueur. La France l'a fait dès mars 2014.
Celle de l'Allemagne, le pays qui a de loin enregistré le plus de brevets européens, aurait dû se passer sans problème. Mais en mars 2017, des citoyens allemands ont attaqué le texte auprès de la Cour fédérale constitutionnelle de leur pays et le président fédéral allemand, Frank-Walter Steinmeier, devait attendre la décision de celle-ci pour signer définitivement la ratification.
Ce n'est qu'en juillet 2021 que la Cour constitutionnelle allemande a finalement rejeté leurs plaintes, considérant qu'ils n'ont pas démontré de façon adéquate que leurs droits fondamentaux pouvaient être violés. Le Bundestag, qui devait lui aussi ratifier le texte, l’a fait en 2020. La route était en conséquence dégagée pour Frank-Walter Steinmeier qui a ainsi pu signer le 17 février dernier le texte de ratification.
Un autre événement a aussi failli faire capoter le texte : le Brexit. En mars 2017, malgré l'imminence de la notification officielle du Brexit à l'Union européenne par Theresa May, l'Office européen des brevets était confiant quant à la participation du Royaume-Uni dans la mise en place du nouveau brevet. Et en avril 2018, le Royaume-Uni ratifiait même officiellement le texte avant l'Allemagne. Mais c'était sans compter sur la gestion du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne par Boris Johnson. Celui-ci a finalement décidé en avril 2020 de retirer la signature de son pays. Dans une note [PDF] qui envisageait ce retrait, publiée en mars 2020, la Commission des affaires juridiques du Parlement européen affirmait :
« En tout état de cause, sans le Royaume-Uni, l'ensemble du système du Brevet unitaire européen [European patent with unitary effect en anglais, EPUE, ndlr] sera moins intéressant à utiliser, conséquence inévitable du fait qu'une économie du G8, avec 330 000 brevets en vigueur, ne fait plus partie de l'Accord sur la JUB. Les avocats britanniques qui n'auront pas de droits d'audience dans un État membre de l'UE et ne pourront peut-être pas représenter leurs clients à la JUB et les juges britanniques ne siégeront pas sur les bancs de la JUB ».
Avec cet abandon, l'Italie est devenue le troisième pays dans lequel le plus de brevets européens étaient signés. À l'origine, ce pays n'avait pas voulu rejoindre l'accord parce qu'il n'incluait pas d'obligation de traduction des brevets en italien. Mais en 2015, le pays l'a finalement signé, puis a ratifié l'accord en février 2017.
Mais, comme indiqué dans la note, le départ du Royaume-Uni rend tout le projet de brevet unitaire moins attrayant. La juridiction pourra néanmoins, dès le 1er juin, trancher les litiges en matière de brevet pour 17 pays : l'Allemagne, la France, l'Italie, la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, l'Estonie, la Finlande, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, l'Autriche, le Portugal, la Suède et la Slovénie.
Peur des brevets logiciels et des patents trolls
En 2012, lors du vote du parlement européen, des acteurs comme l'April avaient signifié leurs doutes sur la mise en œuvre de ce brevet unitaire européen et notamment le fait que l'OEB gère l'acceptation des brevets. En effet, cet office a eu tendance à étendre le champ de la brevetabilité au secteur informatique.
Les géants du secteur avaient aussi signifié en 2014 leur crainte de l'ouverture de la boite de pandore du brevet logiciel en Europe et de l'émergence de « patents trolls », en publiant une lettre adressée aux membres de l'Union européenne et à la Commission. Presque dix ans plus tard, nous allons pouvoir vérifier si le système mis en place par les 24 signataires est assez robuste face à ce genre de démarches financières.
Si la juridiction ouvrira officiellement le 1er juin, à partir du 1er mars commencera une « sunrise period » pendant laquelle les personnes ayant déjà fait une demande de brevets ou celles titulaires d'un brevet européen pourront demander que leur dossier ne soit pas basculé directement vers elle (procédure en « opt-out »).