Nous nous sommes rendus dans la chaufferie d’un immeuble d’habitation d’Arcueil pour comprendre comment fonctionnent les « chaudières numériques » de Neutral-IT, qui proposera à partir de mars une nouvelle offre d’hébergement web dédiée aux particuliers.
Comment construire des serveurs écologiquement responsables ? Que faire de la chaleur que les machines dégagent lorsqu’elles tournent ? Voilà dix ans que Christophe Perron travaille sur la question. Après sa première entreprise, Stimergy, l’entrepreneur a fondé Neutral-IT, en 2019. Le principe : proposer, d’un côté, des « chaudières numériques » à des collectivités pour chauffer leur eau sanitaire, et, de l’autre, l’hébergement web et les machines virtuelles qui, en sollicitant les serveurs, émettront les calories de chaleur nécessaire.
Pour être précise, les serveurs de Neutral-IT servent à des fonctions de préchauffage. « La gestion de la partie production, c’est un autre métier, ce sont les chauffagistes qui s’en occupent » explique Christophe Perron. Cette répartition du travail permet aussi de pallier les nécessaires évolutions de production, qui font varier la chaleur produite en fonction du nombre de clients de la partie numérique, du type de sollicitations portées sur les processeurs, etc.
« En gros, on peut envisager le fonctionnement de notre système comme celui du solaire thermique, mais en version informatique » : selon les périodes, les serveurs dégageront plus ou moins de chauffage et les besoins restants seront complétés par les chaudières classiques dont est équipé chaque bâtiment. Cela permet aussi d’assurer les éventuelles opérations de maintenance sur les serveurs sans que cela ait d’impact sur l’eau chaude rendue disponible aux habitants.
Dans la chaufferie que nous visitons, dans un bâtiment d’Arcueil qui compte une trentaine de logements, « on assure un peu plus de la moitié du chauffage de l’eau, cet hiver. » Sur les six premières semaines de 2023, Neutral-IT a déjà fourni l’équivalent de 14 MWh de chaleur. En moyenne, précise son fondateur, « on produit entre 30 et 60 % du chauffage de l’eau », en fonction de la taille du bâtiment et de la saison.
Réemploi de la chaleur dégagée par les processeurs
Le système de Neutral-IT est relativement simple à comprendre : les serveurs sont plongés dans un bain d’huile, liquide caloporteur « quatre fois plus efficace que l’air », précise Christophe Perron. Ceci permet à l’entreprise de récupérer 96 % de la chaleur émise pour l’envoyer dans les tuyaux qui s’échappent de la baie, vers un ballon de préchauffage.
D’une quinzaine de degré à température ambiante, l’eau grimpe ainsi autour de 45 °C avant d’être transférée à la chaudière de production. L’intérêt, du système est double : cela sert aux usagers, et cela évite au fournisseur de services d’investir dans des systèmes de climatisation. Dans un data center classique, ce poste peut représenter jusqu’à 30 ou 40 % des dépenses énergétiques, rappelait Scaleway en 2020. « Pour nous, ça représente de grosses économies d’électricité », confirme Christophe Perron.
La question du refroidissement du matériel informatique impose tout de même quelques conditions supplémentaires, en particulier sur les lieux où les « chaudières numériques » de Neutral-IT peuvent être installés. Que le bâtiment soit neuf ou ancien, cela importe peu, tant qu’un espace est disponible pour disposer les serveurs, les raccorder au système de chauffage et pouvoir évacuer la chaleur en cas de surproduction.
« Dans ces cas-là, en général, on évacue vers les parkings, explique Christophe Perron. Il y a certains bâtiments avec lesquels on ne peut pas travailler, car ils nous obligeraient à évacuer vers l’extérieur », ce qui poserait des enjeux techniques supplémentaires, pour éviter que la tuyauterie ne souffre en cas d’épisodes de gel, notamment.
Réduction des coûts d’infrastructure pour des prix d’hébergement abordables
Il faut préciser, aussi, que les baies de Neutral-IT sont de taille relativement réduite - les salles serveurs s’échelonnent de 4 à 24 kW. « Par rapport à un data center classique, cela nous permet de ne nous reposer que sur de l’équipement standard, donc de réduire encore une fois nos coûts », indique Christophe Perron.
Par ailleurs, l’entreprise a fait le choix de s’équiper en matériel reconditionné, pour réduire l’impact écologique de ses produits (dans les centres informatiques, la fabrication est responsable de 83 % des émissions de gaz à effet de serre selon une étude de GreenIT.fr). Selon une analyse de cycle de vie conforme à la norme ISO 14044 et réalisée par ledit GreenIT.fr, cela permet à la société d’afficher 49 % moins d’épuisement des ressources naturelles qu’un hébergement standard et 62 % de consommation d’énergie primaire en moins.
Comparées à celles d’un hébergeur tiers / data center avec un indicateur d’efficacité énergétique de 2, les émissions de gaz à effets de serre (GES) sont aussi nettement moins élevées chez Neutral-IT, grâce aux économies réalisées sur la climatisation et le matériel reconditionné d’abord. Par ailleurs, remplacer une partie du chauffage de l’eau au gaz par du chauffage issu de serveurs branché sur l’électricité peu carbonée française fait aussi réduire la facture d’émission de gaz à effet de serre du bâtiment qui utilise une chaudière numérique. Cela permet à Neutral-IT d’afficher une économie de 113% d’émission de GES.
En bout de chaîne, le business model de Neutral-IT repose sur deux pieds. D’un côté, la vente de son installation (rack de serveurs, intégration au système de chauffage et garantie) aux collectivités. « La chaleur, elle, est gratuite. »
De l’autre, celle de services d’hébergements et de la location de machines virtuelles (basées sur KVM) au prix de 35 euros par mois (pour 4 cœurs, 12 Go de RAM et 40 Go de SSD) à 180 euros par mois (pour 24 cœurs, 72 Go de RAM et 200 Go de SSD), ainsi que de clusters de machines virtuelles. Neutral-IT propose aussi la mise en place de clouds on-premise, puisque sa technologie permet de « déployer un argumentaire de souveraineté à la fois technique et énergétique », détaille Christophe Perron.
Vers de nouveaux segments de clientèles
Actuellement, Neutral-IT dispose de quinze centres de données répartis entre la région parisienne, Lyon, Lille et Nantes. À la question de la sécurité des données – les salles de serveurs, après tout, sont installées dans des chaufferies, dans lesquels des personnels non spécifiquement IT peuvent circuler –, Christophe Perron répond : « nos services ne sont pas faits pour accueillir des données sensibles, mais ce n’est pas le type de clientèle que nous visons ».
Les données classiques qu’héberge l’entreprise restent sécurisées (ça fait partie du métier) : l’entreprise a mis en place les systèmes de cybersécurité classiques (isolation des services, firewall, chiffrement des disques) et suit les préconisations de l’ANSSI.
Pour ce qui est de la sécurité matérielle, non seulement la redondance est assurée, mais Christophe Perron souligne aussi que la distribution des infrastructures en plusieurs points géographiques assure une forme supplémentaire de sûreté : « s’il y a une fuite quelque part, c’est un rack installé dans une autre ville qui prendra le relais ».
À l’heure actuelle, Neutral-IT déclare travailler avec une trentaine de clients, dont une bonne partie d’agences web, ce qui lui permet d’héberger plusieurs milliers de sites. Certaines machines peuvent être utilisées pour miner des cryptoactifs, « mais c’est ponctuel ».
Le défi de l’entreprise reste d’augmenter sa clientèle sur la partie numérique, enjeu qu’elle compte notamment relever en lançant une nouvelle offre, début mars, pour les particuliers : « des free-lances ou des très petites entreprises nous contactent régulièrement parce qu’elles cherchent des solutions d’hébergement avec une préoccupation écologique ».
Dans quelques semaines, Neutral-IT proposera donc un hébergement qui permettra, en quelques clics, d’obtenir un nom de domaine et un hébergement pour créer un site sous WordPress, pour 10 euros par mois. Avec une ambition : concurrencer l'offre d'hébergement d'OVH par l’angle environnemental.