Exploration spatiale : la NASA et la DARPA veulent réessayer la propulsion nucléaire… comme les Russes

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Exploration spatiale : la NASA et la DARPA veulent réessayer la propulsion nucléaire… comme les Russes
Crédits : NASA

La NASA et le DARPA s'associent pour tester la propulsion nucléaire en prévision des futures missions vers la Lune et vers Mars. Quels avantages par rapport aux moyens de propulsion actuels ? Quels risques ? Pourquoi les Américains avaient abandonné l'idée il y a 50 ans ? Qu'en est-il chez les Russes ?

La NASA a annoncé la semaine dernière son partenariat avec la DARPA pour mettre en œuvre le projet de réacteur nucléaire pour fusées à travers le programme « Demonstration Rocket for Agile Cislunar Operations (DRACO) » de l'agence américaine de recherche militaire [PDF de l'accord]. Les deux agences se donnent la date butoir de 2027 pour « développer et démontrer une technologie avancée de propulsion nucléaire thermique ».

L'accord sépare le projet de tout lien commercial de la NASA avec d'autres partenaires et donne la responsabilité du développement technique du moteur nucléaire thermique à l’Agence spatiale américaine, qui sera intégré au vaisseau spatial expérimental (experimental nuclear thermal rocket vehicle, X-NTRV) de la DARPA. Cette dernière prend l'autorité sur le projet. Le document précise quand même qu'aucune activité de la NASA ne sera classifiée.

Enfin une concrétisation ?

Si cette coopération indique une accélération du projet américain de fusée nucléaire, l'idée d'utiliser cette énergie pour propulser des fusées n'est pas tout à fait neuve pour la NASA, même si aucune fusée de ce type n'a jamais volé. En 2019, le discours de Mike Pence, à l'époque vice-président de Donald Trump, et une enveloppe de 125 millions de dollars du congrès américain donnaient le « go » aux chercheurs et ingénieurs de l'agence :

« Alors que nous continuons à aller plus loin dans notre système solaire, nous allons avoir besoin de nouveaux systèmes de propulsion innovants pour nous y rendre, notamment l'énergie nucléaire ».

Un an après, Donald Trump présentait une directive de politique spatiale donnant la « stratégie nationale pour la propulsion et l'énergie nucléaire spatiale (SNPP) ».

Depuis, les deux agences communiquaient régulièrement, mais séparément sur leurs projets respectifs. La NASA vient même d'annoncer en début du mois un moteur alliant propulsion nucléaire thermique et propulsion nucléaire électrique. Mais ce partenariat pousse donc la NASA à rejoindre le projet DARCO de la DARPA. Si le nom de code du vaisseau, « X-NRTV », est donné dans le contrat publié, aucune information technique sur la mission de démonstration n'a été divulguée.

Si le projet a été relancé par la volonté politique de Donald Trump et Mike Pence de poursuivre la conquête spatiale américaine vers Mars, des chercheurs de la NASA y ont toujours été attachés. En 1991, certains planchaient déjà sur la faisabilité d'un vaisseau spatial à moteur nucléaire thermique pour les missions lunaires et martiennes et en 2016, l'un d'eux publiait tout un livre sur le sujet.

Mais en fait, les projets de propulsion nucléaire thermique ont commencé dans les années 50, lors de la guerre froide, pour envoyer des missiles. À sa création en 1958, la NASA a récupéré le sujet, regroupant les études et leur ajoutant un but d'exploration spatiale, sous le nom de projet NERVA.

La collaboration militaro-scientifique sur le sujet est donc une histoire ancienne. NERVA a même donné lieu à plusieurs tests de 1964 à 1969. Mais la baisse des financements de la NASA après le programme Apollo a eu raison de la suite du projet NERVA qui prévoyait déjà un séjour vers Mars pour 1978 et l'installation d'une base lunaire pour 1981. Reste à savoir si le congrès américain renouvellera les enveloppes nécessaires jusqu'à la réalisation du projet ou si, comme au début des années 1970, il verra d'autres priorités.

Des défis pas si inatteignables

L'idée est, en tout cas, de créer un moteur nucléaire permettant de libérer plusieurs gigawatts et propulser beaucoup plus rapidement la fusée que les moteurs classiques. Un document de la NASA de 1991 explique que « l'avantage d'une fusée nucléaire est qu'elle peut atteindre plus du double de l'impulsion spécifique des meilleures fusées chimiques. Pour une mission vers Mars, un moteur de 5 000 MW brûlerait moins d'une heure pour fournir la vitesse nécessaire à la mission. »

Si ce document parle d'un moteur de 5 GW, les moteurs du projet NERVA des années 60 n'avaient atteint « que » 1 GW et chauffant à plus de 2 000 °C. Un seul moteur nucléaire a réussi à monter jusqu'à 4 GW pendant 12 minutes, le moteur Pheobus 2A du laboratoire militaire de Los Alamos (Los Alamos Scientific Laboratory). Le but n'est donc pas inatteignable, mais les deux agences vont devoir aller au-delà de leurs réalisations passées, même si celles-ci sont une bonne base sur laquelle s'appuyer.

Pour le fonctionnement, c'est théoriquement assez simple. Comme dans les autres moteurs-fusées, un moteur nucléaire thermique chauffe à très haute température un fluide (souvent de l'hydrogène) pour se propulser, mais en le chauffant avec un réacteur nucléaire dont la densité énergétique est beaucoup plus importante. Dans les faits, le moteur est quand même trop lourd pour pouvoir être installé dans le premier étage de la fusée et ne peut être utilisé qu'une fois la fusée lancée.

Ce n'est finalement pas très grave, car utiliser ce genre de moteur au décollage impliquerait de lancer la fission nucléaire au sol et amènerait un risque de sécurité nucléaire très important en cas d'un éventuel problème. Si ce risque existe même en décollant avec un premier moteur classique, il est beaucoup plus réduit.

Les ingénieurs et chercheurs des deux agences doivent néanmoins prévoir de pouvoir bloquer la réaction en chaîne avec des matériaux absorbeurs. En dehors d'un possible accident, ils doivent aussi prévoir de protéger les astronautes et le matériel de la navette des radiations. Et sous des températures très importantes de plus de 2 000 °C, les matériaux composant le moteur ne peuvent pas être les mêmes que ceux utilisés dans les centrales nucléaires (aux alentours de 300 °C).

La NASA et la DARPA devront aussi prendre plus de précautions pour les différents tests du moteur que du temps du projet NERVA. Les connaissances sur l'atome ont évoluées et les deux agences ne peuvent plus faire comme s'il n'y avait aucun risque.

La gestion de l'hydrogène potentiellement contaminé et libéré lors des tests est, par exemple, un problème qui doit être pris en compte. Nul doute que des tests en simulation numérique pourront apporter des informations importantes en évitant ce genre de rejet, mais des tests en conditions réelles seront aussi évidemment nécessaires avant d'envoyer un éventuel équipage vers la Lune ou Mars avec un tel moteur.

Le projet russe au nom de « Zeus » pour atteindre Jupiter

Les Américains ne sont pas les seuls à vouloir voyager dans l'espace grâce à un moteur nucléaire thermique. Roscosmos, l'agence spatiale russe, a annoncé en 2021 sa volonté de construire un vaisseau spatial à propulsion nucléaire nommé « Zeus » en référence à son but ultime, atteindre Jupiter. La Lune puis Vénus sont indiquées comme des premières étapes du projet.

La Russie peut aussi compter sur son expérience acquise pendant la guerre froide. Entre les années 50 et 80, l'URSS a aussi expérimenté l'idée du moteur nucléaire thermique, notamment avec le projet IRGIT. « De 1961 à 1984 [...] environ 10 réacteurs nucléaires de différentes modifications (IGR, IVT, IRGIT, etc.) ont été conçus, fabriqués et testés », expliquent dans un article [PDF] des chercheurs russes de l'Institut de physique et d'ingénierie énergétique de Obninsk.

Mais le projet de réacteur nucléaire Zeus parait plus modeste que celui des Américains puisque sa puissance prévue ne devrait pas dépasser 500 kilowatts. À l'époque, Roscosmos prévoyait le premier lancement de Zeus pour 2030. Reste à savoir si la guerre d'occupation en Ukraine lancée par Vladimir Poutine n'a pas remis en question les financements alloués au projet.

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