Si l'accès ouvert aux articles scientifiques permet à tout un chacun de pouvoir les consulter sans payer, les éditeurs n'ont pas abandonné l'idée de faire payer leur publication en la facturant souvent aux auteurs. Ce coût représente 31 millions d'euros pour les institutions de recherche françaises en 2020.
Chaque année, la proportion d'articles scientifiques français officiellement en accès ouvert augmente. Même si elle n'atteint pas encore les 100 % fixés comme objectif par le ministère en 2018, 62% des articles publiés par les chercheurs français en 2021 sont accessibles sans payer quoi que ce soit. Enjeu important, l'ouverture de l'accès aux articles scientifiques permet une meilleure diffusion des connaissances.
- Le plan du gouvernement pour atteindre « 100 % de publications scientifiques en accès ouvert »
- Le plan du CNRS pour atteindre 100 % de publications en libre accès, « idéalement d’ici fin 2020 »
Mais si le lecteur n'ouvre pas sa bourse pour lire ces articles, ce n'est pas pour autant que leur publication n'a pas un coût pour la collectivité. Certains éditeurs scientifiques – et la plupart des plus gros, comme Springer-Nature, l'AAS ou l'ACS – font payer des frais de publication (Article processing charges, APC, en anglais) supplémentaires.
Et il n'est pas aussi facile que ce qu'on pourrait imaginer de se séparer de ces éditeurs. Ceux-ci possèdent beaucoup de revues très en vue dans le monde de la recherche. Dans beaucoup de disciplines, publier dans ces revues est important pour la carrière des chercheurs et pour la visibilité de leurs travaux.
Une augmentation significative des frais
La facture totale payée aux éditeurs pour « libérer » les articles scientifiques français s'élèverait à 31 millions d'euros en 2020 et devrait atteindre entre 50 millions d'euros en 2030 si la tendance se poursuit, voire 68 millions si elle s'accélère, selon une étude commandée par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
La facture n'augmente pas seulement en suivant la progression du nombre d'articles publiés en open access. Car les éditeurs augmentent aussi petit à petit les APC : pour la revue Nature Communications, ils sont, par exemple, passés de 4 380 euros en 2020 (lorsque nous les avions consultés) à 5190 euros actuellement (20 % d'augmentation en 1,5 an).
L'étude a essayé de reconstituer l'évolution du coût de ces frais de publication depuis 2013 en se basant sur les données (en open data) du baromètre de la science ouverte. En 7 ans, le total des APC pour les articles scientifiques français a triplé, passant de 11,3 millions à 30,1 millions d'euros.

Cette estimation des frais de publication est beaucoup plus élevée que celles faites par le milieu. Le consortium Couperin, qui négocie avec les éditeurs pour les institutions de recherche françaises, l’a estimé à 3,3 millions d’euros pour 2015 (au lieu de 13,9 millions ici) et 6,5 millions pour 2020 (au lieu de 30,1 millions).
Une facture de l'édition scientifique très salée
Et cette augmentation se fait alors que les institutions de recherche payent encore des abonnements aux revues scientifiques pour accéder aux articles qui ne sont pas encore accessibles gratuitement. Toujours selon cette étude, le coût cumulé de ces abonnements serait de 87,5 millions d'euros en 2020 et pourrait atteindre 97,5 millions en 2030.
Le total des deux factures, abonnements et APC, augmentent donc. Un comble puisque, les pionniers du mouvement de l'open access avaient pour but de permettre l'accès aux publications scientifiques, mais aussi d'engager le bras de fer face aux mastodontes de l'édition sur le terrain des coûts.
L’Initiative de Budapest pour l’Accès Ouvert, sur lequel s'est bâti le mouvement, proclamait qu'une « telle opportunité d’économiser des fonds et d’étendre, dans le même temps, le public visé par la diffusion de la recherche, a fait naître une forte motivation [...] pour adopter le libre accès ». Il semble que l'opportunité n'a pas été prise.
Médecine et biologie, budgets édition illimités ?
Si on regarde cette étude de l'évolution des budgets de frais de publication par discipline, on se rend compte d'une disparité énorme qui montre que le monde de l'édition scientifique est très hétérogène.

On peut voir, dans le graphique ci-dessus (figure 4 issue de l'étude), qu'en médecine et biologie, le nombre d'articles publiés par des chercheurs et chercheuses français dont l'éditeur demandait des frais de publication était déjà conséquent en 2013, mais qu'il a doublé depuis.
Cet autre graphique (figure 6 issue de l'étude) montre, par ailleurs, que ces deux disciplines sont aussi celles dont les frais de publication sont les plus élevés.
À l'inverse, les mathématiques, l'informatique et les sciences humaines publient beaucoup moins en payant des APC et ceux-ci sont, en même temps, beaucoup moins élevés.
D'autres formes d'accès ouvert
Cette polarisation coïncide avec des pratiques différentes de publication scientifique et de politique d'open access. La médecine et la biologie ont l'habitude de publier énormément et de travailler avec les géants de la publication scientifique comme Elsevier ou Nature et le géant de l'open access PLOS.
Les chercheurs et chercheuses en sciences humaines travaillent plus avec des petits éditeurs francophones, soit privés (la plupart rassemblée sur la plateforme de Cairn, fondée à l'initiative des maisons d'édition Belin, De Boeck, La Découverte et Érès), soit universitaires (une partie sur la plateforme publique d'OpenEdition).
Les éditeurs français sur Cairn appliquent une politique tarifaire beaucoup moins agressive que celle les géants de l'édition internationale. En ce qui concerne OpenEdition, elle soutient beaucoup de revues éditées directement par des chercheurs et pousse à adopter des modèles économiques de revues alternatifs comme le modèle « diamant » (la revue gère une subvention pour le projet et non pour le nombre d'articles publiés) ou le modèle « freemium » (des services autour des articles sont payants).
En mathématique et en informatique, la pratique ancienne de la mise en ligne des articles scientifiques sur des serveurs de prépublication (comme arXiv), permet de se passer du système des APC, puisque les articles sont déjà accessibles.