Ant Group : comment le pouvoir chinois a mis fin à la success story du fondateur Jack Ma

Ant Group : comment le pouvoir chinois a mis fin à la success story du fondateur Jack Ma

From star de la tech to disgracié real quick

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Mathilde Saliou

Publié dans

Économie

10/01/2023 7 minutes
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Ant Group : comment le pouvoir chinois a mis fin à la success story du fondateur Jack Ma

Fondateur et ancien patron du géant de l'e-commerce Alibaba, Jack Ma doit céder le contrôle de la non moins gigantesque Ant Group, fintech née de la création de l’application de paiement Alipay. L’annonce, faite samedi par la société, vient clore une série de coups portés au secteur numérique par le régime chinois.

La guerre a commencé lorsque Jack Ma, l’un des plus célèbres self-made man de l’industrie technologique chinoise, a ouvertement critiqué les régulateurs gouvernementaux, en 2020. Il avait longtemps été célébré comme un modèle de réussite, au point de fréquemment accompagner le président Xi Jinping dans ses déplacements officiels. 

Mais le 24 octobre 2020, dans un discours prononcé publiquement à Shanghai, il avait estimé que le régulateur avait une « mentalité de prêteur sur gages » et imposait trop de garanties pour l’octroi de prêts. La sortie avait suscité la colère dans les plus hauts cercles du gouvernement communiste et provoqué l’interdiction de l’entrée en bourse d’Ant Group, prévue à peine deux semaines plus tard.

Deux ans, des amendes et un net retrait de Jack Ma plus tard, voici l’entrepreneur contraint de renoncer au siège depuis lequel il contrôlait indirectement la plus grosse fintech – société numérique financière – du monde. Une annonce qui, si elle semble mettre un point final à la success story de l’homme, signe peut-être l’allègement du contrôle exercé par Pékin depuis plus de deux ans sur son industrie technologique.

Au commencement était Alibaba

Si Jack Ma a longtemps eu droit aux éloges, c’est autant grâce à son parcours insolite qu’à son talent de business man. Né à Hangzhou, douzième ville de Chine par la population et futur siège d’Alibaba et Ant Group, il y devient d’abord professeur d’anglais. Traducteur, il découvre Internet en 1995, alors qu’il accompagne une délégation commerciale chinoise à Seattle. 

De retour en Chine, il s’essaie à la création de sites internet et étudie le fonctionnement des start-ups américaines. En 1999, avec l’aide de sa femme Zhang Ying rencontrée à l’université, il crée alibaba.com, une plateforme dédiée aux échanges business to business. Pour les consommateurs, il monte ensuite le site d'e-commerce Taobao. Et en 2004, pour faciliter les paiements d’internautes qui s’envoient des produits d’un bout à l’autre de la Chine, il crée Alipay.

Au fil des ans, l’entreprise Alibaba s’étoffe pour bientôt tutoyer les plus gros succès de la tech occidentale. En 2010, la société s’ouvre au commerce international avec la plateforme aliexpress.com. De simple système de paiement, Alipay se mue en application lifestyle offrant toujours plus de services financiers, au point qu’en 2014, Jack Ma crée Ant Financial, une fintech qui regroupe toutes les activités financières d’Alibaba. 

La même année, Alibaba établit le record de la plus grosse cotation publique de l’époque, levant 25 milliards de dollars lors de son entrée à la bourse de New-York. Dans les années qui suivent, Ant Financial réalise des levées de fonds faramineuses, elles aussi : 4,5 milliards de dollars en 2016, qui portaient sa valorisation à 60 milliards de dollars, puis 10 milliards de dollars en 2018, pour une valorisation de 150 milliards de dollars (soit plus que Facebook lors de sa propre entrée en bourse). 

Le tournant de l’IPO avortée

Sur cette lancée, la fintech fondée par Jack Ma aurait dû effectuer une double entrée en bourse, à Hong Kong et Shanghai, le 5 novembre 2020. Le but : un nouveau record, avec une levée de 34 milliards de dollars

C’est dans ce contexte que Jack Ma s’est permis, à quelques jours de l’opération, de dénigrer publiquement les régulateurs nationaux. Mais, comme en Occident, le pouvoir que prenaient les géants du numérique – Alibaba comme ses concurrents Tencent ou JD – inquiétait de plus en plus le pouvoir chinois. 

Vue d’aujourd’hui, la sortie de l’entrepreneur semble donc avoir servi de signal de départ à l’offensive réglementaire qui s’est ensuite abattue sur les entreprises tech chinoises – le président Xi Jinping serait lui-même intervenu pour calmer les ardeurs de Jack Ma, selon le Wall Street Journal. À quelques jours à peine de son entrée sur les marchés publics, Ant Group se retrouve interdite de poursuivre au motif qu’elle risque de ne pas remplir certaines exigences réglementaires.

L’interdiction est préjudiciable, note l’AFP, puisqu’elle a lieu au moment où « les autres intérêts commerciaux de M. Ma faisaient l’objet d’un examen officiel ». C’est la dégringolade. Dans les semaines qui suivent, Jack Ma disparaît. Des médias s’en inquiètent même (on a déjà vu des magnats chinois se retrouver emprisonnés) jusqu’à ce qu’il soit vu à Majorque, puis au Japon.

En avril 2021, Pékin inflige une amende record de 2,5 milliards de dollars à Alibaba pour pratiques déloyales et abus de position dominante. Équivalente à 4 % du chiffre d’affaires de l’entreprise en 2019, c’est l’amende antitrust la plus chère jamais appliquée dans le pays. 

Le début d’un nouveau cycle pour Ant Group ? 

Pour pallier la déchéance de son patron, Ant Group annonce en avril 2022 une profonde restructuration et la création d’une holding rassemblant ses activités de crédit. En enregistrant cette dernière comme entreprise financière, elle permettrait à la société d'être régulée par le secteur bancaire et donc, probablement, d'obtenir un regard plus clément des institutions – celles-ci se plaignaient depuis longtemps que le secteur numérique se croit au-dessus des lois.  

Ce 7 janvier, une nouvelle annonce d’Ant Group vient confirmer la restructuration, de sorte qu' « aucun actionnaire, seul ou conjointement avec d’autres parties, n’ait le contrôle d’Ant Group ». Détaillant la structure antérieure de la société, le communiqué explique que M. Ma contrôlait 54 % de ses parts de manière indirecte. À l’issue de cette refonte, il ne sera plus détenteur que de 6,2 % des droits de vote.

S’il semble signer un retrait définitif de l’entrepreneur chinois, ce changement pourrait aussi signifier le lancement d’un nouveau décompte avant une introduction en bourse d’Ant Group. En effet, souligne l’AFP, un premier avis publié le 30 décembre a permis à la société d’augmenter son capital de huit milliards à 18,5 milliards de yuans. L’opération a permis à une structure proche des autorités d'Hangzhou, de devenir le deuxième actionnaire du second. 

Elle a aussi fait grimper les actions d’Alibaba sur la place d'Hong Kong, signe qu’elle est interprétée comme l’espoir d’un desserrement de l’étau qui freine les sociétés numériques depuis deux ans. Quoi qu'il en soit, rappellent Les Échos, il faut attendre un an après le changement de propriétaire pour pouvoir prétendre à une cotation à Hong Kong. À Shanghai et sur d’autres marchés financiers, c’est plutôt deux ou trois ans.

Écrit par Mathilde Saliou

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Sommaire de l'article

Introduction

Au commencement était Alibaba

Le tournant de l’IPO avortée

Le début d’un nouveau cycle pour Ant Group ? 

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Commentaires (26)


Merci pour cet éclairage sur ce qui se passe du côté des entreprises du numérique chinoises qui sont le pendant oriental des GAFAM occidentaux. Elles ont le même poids et présente les mêmes risques et on en parle si peu ici.


Merci pour cet article intéressant.


Je ne sais pas ce qui est le pire, le capitalisme poussé à l’extrême (USA) ou le communisme poussé à l’extrême (Chine)…


Je ne sais pas si on peut dire que c’est du commnisme a 100% vu qu’ils ont adopte certains penchants du capitalisme…



Ca reste un extreme de main mise sur les prises de positions politiques.
Le cote positif de l’histoire c’est qu’ils ne l’ont pas suicide (pour le moment au moins)


j’aime simplifier les choses en réfléchissant en terme de capitalisme d’état. En gros, tout appartient à la classe dirigeante.



Pour moi le communisme extrême c’est plus : https://fr.wikipedia.org/wiki/Marxisme




Puisque l’État est une machine répressive qui va à l’encontre des libertés, il faut la suppression de l’État, condition incontournable pour l’avènement d’une société égalitaire et juste.




Le “communisme” Chinois me semble plus proche de : https://fr.wikipedia.org/wiki/Marxisme-l%C3%A9ninisme



Ma contrôlait 54 % de ses parts de manière indirecte. À l’issue de cette refonte, il ne sera plus détenteur que de 6,2 % des droits de vote.




vache ça ne plaisante pas, ce vol.
cela dit en russie, il se serait probablement suicidé.


La Chine n’est plus réellement communiste côté économique depuis déjà une bonne trentaine d’années (“qu’importe la couleur du chat tant qu’il attrape les souris”).



Par contre le PCC a gardé toute la partie dictature et autocratie côté politique…Pas fous les cocos quand même, on va pas TOUT libéraliser quand même :non:



Winnie l’Ourson semble réellement avoir un complexe de supériorité maladif qui ne supporte aucune contrariété…. Comme son pote Vlad d’ailleurs !



ForceRouge a dit:


Je ne sais pas ce qui est le pire, le capitalisme poussé à l’extrême (USA) ou le communisme poussé à l’extrême (Chine)…
(quote:2113927:Notice me Sempai)
Je ne sais pas si on peut dire que c’est du commnisme a 100% vu qu’ils ont adopte certains penchants du capitalisme…



Ca reste un extreme de main mise sur les prises de positions politiques. Le cote positif de l’histoire c’est qu’ils ne l’ont pas suicide (pour le moment au moins)




Je parlerais plutôt de libéralisme et d’autoritarisme…


👍
Les mots m’échappent des fois



oursgris a dit:


vache ça ne plaisante pas, ce vol. cela dit en russie, il se serait probablement suicidé.




En quoi c’est un vol ? Il a revendu ses parts, il a plutôt gagné de l’argent.



refuznik a dit:


En quoi c’est un vol ? Il a revendu ses parts, il a plutôt gagné de l’argent.




Oui oui c’est comme avec le grand banditisme où les commerçants payent une assurance pour éviter les problèmes. Il n’avait pas trop le choix.


Je dirais plutôt comme un état autoritaire et toujours bourrin.



Après d’un autre côté, le résultat c’est le cassage des BATX et je trouve ça plutôt intéressant.


En, même temps, qu’est ce qu’il a fait pour mériter toute cette fortune ?
Travaillé mille fois plus que les autres ?
non juste collé sa signature sur des emprunts.



refuznik a dit:


Après d’un autre côté, le résultat c’est le cassage des BATX et je trouve ça plutôt intéressant.




Vous vous trompez. Le groupe va rester.il sera plus au mains du PCC….


Je comprends pas ce que tu racontes, les parts ont été réparties entre les dix principaux actionnaires.



Fort de cette liberté d’action et de la montée en puissance de son empire, Jack Ma, alors homme le plus riche de Chine, a multiplié les provocations à l’égard du pouvoir. Des prises de position qui ont rapidement agacé Xi Jinping, arrivé à la tête de la Chine en 2013.



Au-delà d’une rivalité d’influence, plusieurs régulateurs chinois se sont alarmés des dérives, bien réelles, des géants du numérique. Ant Group et son service hégémonique Alipay, comptant plus de 711 millions d’utilisateurs actifs, ont été particulièrement identifiés comme une menace pour la stabilité économique de la Chine.



L’entreprise qui propose toute une myriade de services financiers, assurances, crédit à la consommation… Est accusée de prospérer grâce au Shadow Banking, en accordant des prêts sans en assumer le risque. Le dépôt des documents réglementaires lors de l’introduction en Bourse d’Ant Group de 2020 a permis au régulateur de mesurer la menace systémique posée par la Fintech.



Depuis deux ans Ant Group s’efforce de rétablir la situation en donnant des gages à Pékin. La Banque populaire de Chine (PBOC) a reçu l’accès aux données du service de crédit à la consommation Huabei, principale source d’inquiétude des régulateurs. Le service et un autre, similaire, ont été réunis au sein d’une nouvelle filiale appelée Chongqung Ant Consumer Finance, détenue à 50 % par Ant Group. L’entreprise attend toujours d’obtenir une licence pour devenir une Holding financière et se mettre officiellement sous la tutelle de la PBOC.



Extrait de https://siecledigital.fr/2023/01/10/jack-ma-abandonne-officiellement-le-controle-dant-group/


Ca ne m’étonne pas vraiment cette histoire.



Pour info dans notre tres cher pays, un certain J.CHIRAC lors d’un de ses mandat a monté un opération similaire pour virer un certain J2M (Vois J6M pour les taquins) de la direction de C+ …


Je ne vois pas de J2M dans la direction de C+, à aucun moment…


Mihashi

Je ne vois pas de J2M dans la direction de C+, à aucun moment…


Il était a la tête de VIVENDI UNIVERSAL, qui avait le controle de C+ a l’époque.


Tu prends quant même de gros raccourcis voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Marie_Messier



brupala a dit:


En, même temps, qu’est ce qu’il a fait pour mériter toute cette fortune ? Travaillé mille fois plus que les autres ? non juste collé sa signature sur des emprunts.




jack ma ?
il est parti de pas grand chose le bonhomme



brupala a dit:


En, même temps, qu’est ce qu’il a fait pour mériter toute cette fortune ? Travaillé mille fois plus que les autres ? non juste collé sa signature sur des emprunts.




Il suffit de lire l’article… Et en même des pratiques du PCC que l’on n’accepterai pas pour des personnes bien moins loties deviennent normales pour des plus riches? Drôles de notion d’égalité..


à trop imiter les américains, les chinois ont finit par croire que s’en était un, et comme c’était au début des sanctions, il s’est pris le retour.


brupala

à trop imiter les américains, les chinois ont finit par croire que s’en était un, et comme c’était au début des sanctions, il s’est pris le retour.


Le début des sanctions ont commencé en 2018 et Trump n’y a pas été avec le dos de la cuillère (d’ailleurs on le paie encore maintenant), Biden ne fait que suivre le plan établie vue que c’est le seul faisant l’unanimité aussi chez bien les républicains que chez les démocrates.



(reply:2113927:Notice me Sempai)




En réponse à une mainmise financière internationale non incontrôlée…



Si l’histoire du fondateur est belle en soit elle est aussi à l’image des autres multinationales qui ce jouent des règles du jeu.



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Jack Ma, cette star du kung-fu :)
https://www.youtube.com/watch?v=SGtTu6Ys51k


Comment c’est perçu en Chine, ou plutôt quel est le narratif en Chine mainland à propos de Jack Ma ?



Les quelques fois où je suis allé, et de ce j’ai compris, il était vu comme un modèle de réussite.