Dans la bouche des opérateurs, la 5G est synonyme de hausse des performances et d’économie d’énergie. C’est en théorie vrai, mais l’augmentation des débits et les nouveaux usages qui en découlent finissent par alourdir la facture, explique le CNRS. Le Centre rappelle que l’apparition d’une nouvelle technologie permet aussi de relancer les ventes de smartphones.
Il y a quelques jours, nous étions revenus sur la participation du GDS EcoInfo (un groupement de service du CNRS) à la consultation publique de l’Arcep sur le futur des réseaux mobiles. Il y était notamment question d’une classification et limitation des usages afin de réduire l’empreinte écologique des réseaux mobiles.
Le CNRS n’en reste pas là et, il y a quelques semaines, a publié un article dans son Journal avec une question en trame de fond : « La 5G est-elle soluble dans la sobriété ? ». La réponse n’est pas binaire, mais il est dans tous les cas trop tard pour agir sur cette technologie finalisée depuis des années.
En France, les réseaux 5G sont pour rappel en cours de déploiement par les quatre opérateurs nationaux et, en plus de débits décuplés et d’une latence en baisse, cette nouvelle technologie promet de baisser la consommation énergétique par rapport à la 4G… mais le diable peut se cacher dans les détails.
Le CNRS rappelle que, « si l’on en croit les opérateurs, le déploiement de la 5G apportera une amélioration phénoménale de la qualité de service et des performances sur les réseaux sans fil ». Qu’en disent justement les opérateurs français ?
Orange : la 5G utilisera « 10 fois moins d’énergie à horizon 2025 »
Chez Orange, on estime que « face au doublement des données mobiles consommées chaque année, il est plus efficace énergétiquement parlant de déployer la 5G, plutôt que d’ajouter des antennes 4G. On estime que pour acheminer un 1 Go de data, la 5G utilisera : 2 fois moins d’énergie que la 4G à son lancement [et] 10 fois moins d’énergie à horizon 2025 ».
L’opérateur rappelle que, en 5G, « la charge du trafic écoulée sur les réseaux sera plus importante pour une consommation énergétique du même ordre de grandeur, résultant mécaniquement en une réduction de la part des consommations d’électricité par bit transporté. La 5G sera plus efficace que la 4G s’agissant de la quantité de bits d’information délivrée pour une unité de consommation d’énergie donnée ».
En reprenant le facteur 10 attendu pour 2025, si la consommation a été multipliée par plus de 10 avec/grâce/à cause (au choix) de la 5G, alors la consommation globale sera plus importante. Elle l’aurait été encore bien plus avec uniquement de la 4G. On se retrouve dans un cercle vicieux : la 5G consomme moins, mais permet de nouveaux usages qui font augmenter la consommation.
Free reste sobre dans ses explications, avec des arguments proches de ceux d’Orange. La 5G est présentée comme « plus responsable » et permet « jusqu’à 10 fois moins d’énergie consommée ». Ce n’est pas précisé, mais la comparaison s’applique certainement à la 4G.
SFR met en garde contre « de fausses informations »
Chez SFR, même son de cloche : « Un certain nombre de fausses informations circulent au sujet de la 5G et de son impact sur l’environnement. En réalité la 5G est plus efficace que toutes les technologies précédentes. Pour transmettre la même quantité de données, la 5G nécessite moins d’énergie que, par exemple, la 4G. Le volume croissant de données peut également être transmis avec une consommation d’énergie moins importante qu’auparavant ».
Bouygues rappelle qu’il faut « adopter des comportements responsables »
Chez Bouygues Telecom, le discours est plus nuancé. L’opérateur rappelle lui aussi que « pour une même quantité de données transportées, la 5G consomme moins que la 4G ». Il ajoute néanmoins que « l’accroissement du trafic mobile, évalué à +40 % par an en moyenne, et la densification des sites pour poursuivre les efforts de couverture, entraîneront mécaniquement une augmentation de la consommation globale d’énergie du réseau ».
L’opérateur parle des usages : « La 5G sera, donc à terme, la meilleure solution technologique pour absorber la croissance du trafic, à condition d’adopter des comportements responsables dans la mise en place et l’usage des équipements numériques ». En effet, même sans la 5G, on peut facilement supposer que les usages auraient continué d'augmenter.
La 5G « voulue par l’industrie »
Du côté du CNRS, « des chercheurs s’interrogent toutefois sur le surcoût énergétique qu’induira cette mise à niveau technologique voulue par l’industrie des télécoms sans forcément être demandée par les utilisateurs ».
Anne-Cécile Orgerie (Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires et co-auteure de la réponse du groupement EcoInfo à la consultation de l’Arcep) veut remettre les choses en perspective : « Ce que l’on désigne ici comme étant l’efficacité énergétique doit être interrogé. Car, attention, ce sont ici uniquement des puissances théoriques affichées et non les puissances réellement observées ». Selon la chercheuse, il faut bien faire la distinction entre efficacité énergétique et consommation globale du réseau.
« La consommation globale […] ne fait qu’augmenter »
On en revient à ce qu’on disait plus haut : certes l’équipement « consomme moins d’énergie par bit traité lorsqu’il est utilisé à pleine puissance », mais il absorbe un trafic de données bien plus important. Conséquence logique : « la consommation globale ne baisse pas et, bien au contraire, ne fait qu’augmenter, même si le nouveau réseau est plus efficace que l’ancien pour gérer les nouvelles applications », explique la chercheuse.
Elle ajoute que les « performances théoriques qu’ils affichent incitent à développer des applications toujours plus gourmandes en performances, qu’on n’imaginait pas réalisables, et le marché des mobiles emboîte le pas ». Un exemple récent avec la 4G concerne le streaming de vidéo HD/4K.
Le CNRS reprend à son compte des chiffres du régulateur des télécoms (mais sans lien vers la source) : « L’amélioration des capacités conduit à une augmentation des usages. Ainsi, selon l’Arcep, une antenne 5G peut consommer jusqu’à 19 kilowatts quand une antenne 4G se contente de 7 kilowatts ».
L’importance et la rareté des fréquences
D’un point de vue pratique, Anne-Cécile Orgerie en rajoute une couche : « L’efficacité énergétique annoncée est d’autant moins pertinente pour répondre à un plan de sobriété, que les infrastructures réseaux présentent de nombreuses déficiences. Tant sur le plan de la propagation des ondes que de la cohérence du déploiement de ces infrastructures ».
Selon le CNRS, « les antennes 5G à très haut débit ont un rayon de couverture 10 à 50 fois moins étendu que celui permis par les antennes 4G. En effet, plus le débit fourni est élevé, plus l’atténuation du signal est forte avec la distance ». Le CNRS oublie par contre de préciser que c’est également en lien direct avec les fréquences. Les fréquences basses – les plus chères et celles où les ressources sont le plus limitées – portent bien plus loin et passent mieux à travers les murs et les bâtiments que les fréquences hautes.
Il est ainsi beaucoup plus facile de trouver des dizaines de MHz libres dans les 3,5 GHz (nouvelles fréquences de la 5G) que dans les 700 MHz (utilisés pour la 4G). Sur le même principe, on trouve plus facilement des centaines de MHz dans les 26 GHz que dans n’importe quelle bande sous les 6 GHz. Rappelons que, en France, les fréquences attribuées aux opérateurs par l’Arcep sont neutres technologiquement : ils peuvent déployer la technologie qu’ils veulent (2G, 3G, 4G, 5G, 6G, autre…)
Problème, la portée est bien moins importante dans les 3,5 GHz que dans les 700 MHz, obligeant donc à installer plus d’antennes pour couvrir une même superficie. Et on ne parle même pas des 26 GHz qui ne passent pas à travers les murs et nécessitent donc une ligne de visée directe entre émetteur et récepteur. Les 26 GHz n’ont par contre pas vocation à couvrir l’ensemble du territoire, pas plus que c’est l’objectif des 3,5 GHz.
Avec la 5G, des améliorations techniques sont apportées. On peut citer le beamforming (la focalisation) qui permet de mieux diriger le signal vers le smartphone de l’utilisateur plutôt que d’émettre dans toutes les directions ; c’est un peu comme avec une lampe de poche : on peut diffuser sur une large zone, mais sans porter loin, on peut focaliser la lumière sur une plus petite zone en voyant plus loin. « En théorie, cela permet d'avoir une couverture sur cette bande des 3,5 GHz relativement alignée sur la bande 1 800 MHz », nous expliquait SFR il y a à déjà plusieurs années.
Selon le CNRS, cette multiplication « du nombre d’antennes pour garantir de bonnes performances, démultiplie par conséquent la consommation énergétique globale du réseau ». Anne-Cécile Orgerie prend l’exemple d’une étude suédoise : « les modules 5G atteignent actuellement une efficacité d’environ 1 Mb/joule, loin des 10 Mb/joule proclamés et très loin des quelque Tb/joule théoriquement atteignables en technologie mobile. Cela illustre parfaitement la différence entre les performances théoriques annoncées et celles mesurées en conditions réelles ».
L’article revient ensuite sur « l’empilement » des différents réseaux de téléphonie mobile. Les différentes générations sont en effet incompatibles entre elles, avec leur propre standard à chaque fois. Par exemple, un smartphone 4G ne fonctionnera pas sur un réseau 5G. Ce n’est par exemple pas le cas du Wi-Fi ou de l’USB qui gardent une rétrocompatibilité.
Un utilisateur avec un vieux téléphone en 2G ou 3G peut continuer de l’utiliser en France. De même avec un smartphone 4G, pendant encore de nombreuses années. Mais cela nécessite que les opérateurs laissent les antennes et les équipements radio en service. Orange prévoit pour rappel de couper la 2G en 2025 et la 3G 2028. Il est encore bien trop tôt pour commencer à penser extinction de la 4G.
Améliorer l’existant plutôt que « changer sans cesse » ?
La chercheuse du CNRS termine avec un tacle sur la stratégie économique des fabricants de smartphones et des opérateurs (qui sont aussi des revendeurs), poussant à la consommation : « Les ingénieurs pourraient envisager de garder un standard commun afin que les utilisateurs d’anciennes générations puissent utiliser le réseau 5G pour des applications communes. Mais cela impliquerait de s’arrêter à cette génération et de se concentrer uniquement sur l’amélioration de celle-ci au lieu de changer sans cesse ».
Pour la 5G, les jeux sont déjà faits puisque cette technologie est finalisée depuis longtemps maintenant. Le renouvellement est déjà en place : les travaux ont débuté sur la 6G, attendue aux alentours de 2030. En effet, une nouvelle technologie apparait en moyenne tous les 10 ans. Il faudra certainement attendre encore longtemps avant de savoir si de la rétrocompatibilité sera mise en place.