L'ESA se demande « à qui et à quoi sert l'espace » et veut un secteur spatial responsable

L’ESA se demande « à qui et à quoi sert l’espace » et veut un secteur spatial responsable

Alors, à rien ?

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Sébastien Gavois

Publié dans

Sciences et espace

22/11/2022 8 minutes
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L'ESA se demande « à qui et à quoi sert l'espace » et veut un secteur spatial responsable

L'ESA et d'autres acteurs européens viennent de signer une déclaration comprenant cinq grands principes et quatre valeurs communes sur l'espace et son utilisation. Il est notamment question de gouvernance, d'un accès équitable, d'une exploration pacifique et de durabilité, au sens large du terme.

C'est aujourd'hui que s'ouvre le Conseil au niveau ministériel (CM22) de l'Agence spatiale européenne (ESA) à Paris, au grand palais éphémère. Une réunion dans un climat mondial tendu, notamment suite à l'invasion de l'Ukraine et l'embargo sur des produits russes, dont le lanceur Soyouz. L'ESA rappelle que « l’Europe a besoin d’une plus grande autonomie géopolitique en vue de jouer son rôle dans le monde et d’assurer le bien-être des Européens  ».

Du spatial responsable dans un monde fragile 

Hier en fin d'après midi, l'Agence spatiale européenne et 22 autres acteurs du spatial européen ont signé une « Déclaration pour un secteur spatial responsable ». C'était aussi l'occasion pour les partenaires de rappeler que nous vivons dans « un monde fragile aux ressources limitées », alors que nous venons officiellement de dépasser la barre des 8 milliards d'êtres humains.

Le message est clair : « Il n'y a qu'une seule planète que nous pouvons appeler chez nous, et nous devons en prendre soin ». Une déclaration qui n'est pas sans rappeler celle de Sylvestre Maurice (planétologue et responsable de la partie française de SuperCam) en 2018 alors qu'il parlait de l'avenir des missions d'exploration martiennes : « Il n’y a pas d’autre endroit dans le système solaire pour l’avenir de l’homme. L’homme est adapté à la Terre et à nulle autre planète. Il est condamné à y rester. Il n’y a pas de plan B ». 

Changement climatique et objectif « zéro débris »

Pour l'ESA, « l'objectif est de poser les bases d'un développement économique durable à long terme du secteur spatial, et d'en accroître la contribution » à l'ensemble des activités. Pour Josef Aschbacher, directeur général de l'Agence, « les avantages de l'exploration spatiale sont devenus extrêmement clairs, comme jamais auparavant ». Il était notamment question des clichés des satellites mettant en image le changement climatique, même s'il n'est pas toujours facile d'établir un lien de cause à effet direct.

Il rappelle au passage la promesse déjà faite d'arriver à « zéro débris » d'ici 2030. Dans de précédentes actualités, nous avons déjà longuement expliqué les risques que représente cette prolifération (potentiellement non contrôlée) des débris.

Cette déclaration arrive quelques jours seulement après un communiqué – opportun aussi bien pour la COP27 que la CM22 – reprenant un sondage qui affirme que « près de neuf personnes interrogées sur dix ont déclaré que la collecte d’informations sur le changement climatique et la compréhension de ce qui se passe sur Terre devraient être l’utilisation la plus importante de l’espace ». Une manière de s'attirer la sympathie du grand public pour continuer à se développer. 

« Favoriser la coopération entre les acteurs spatiaux européens »

L'ESA affirme que son but est justement « d'accroître la contribution des projets portés par le secteur spatial au développement durable », mais aussi de « favoriser la coopération entre les acteurs spatiaux européens, en utilisant au mieux les ressources et l'expertise disponibles et en évitant la multiplication des efforts ». Un appel du pied pour un « buy european act » demandé par certains depuis des années et à la mutualisation des ressources, qui sera certainement possible jusqu'à un certain point, notamment lorsqu'elle va commencer à toucher à la sécurité nationale. 

Dans tous les cas, l'ESA se félicite de ses groupes de travail sur les thèmes « Décarbonisation du secteur spatial », « Achats responsables », « ACV (Analyse du Cycle de Vie) et technologies vertes pour les systèmes spatiaux » qui, selon l'Agence spatiale, produiraient « des résultats précieux », mais sans donner plus de précision pour le moment. Les deux jours de conférences seront certainement l'occasion d'en apprendre davatange. 

Question du jour : « à qui et à quoi sert l'espace ? »

Les signataires de la déclaration mettent en avant cinq grands principes « pour soutenir l'activité spatiale et répondre à la question : à qui et à quoi sert l'espace ?  ».

  • pour une gouvernance juste et responsable ;
  • pour le bien de toute la société ;
  • pour un accès équitable à l'espace, sa préservation et son exploration pacifique ;
  • pour la préservation de notre environnement naturel sur Terre et la réparation des dommages qui lui sont causés ;
  • et pour une société juste améliorant le bien-être de tous.

Les signataires de cette déclaration mettent également en avant quatre valeurs communes à l'Europe : « Intégrité », « Identité et inclusion », « créativité et curiosité » et enfin « excellence ».

Statement for a responsible space sector

Dans les pas de la Conférence européenne interparlementaire sur l'espace

Dans l'ensemble, ces orientations reprennent celles annoncées lors de la Conférence européenne interparlementaire sur l'espace, organisée en septembre dernier au Sénat. 16 résolutions étaient présentées  sur des thématiques comme l'autonomie, la pollution, la durabilité et le réutilisable.  

Sophie Primas, présidente de la Commission des affaires économiques du Sénat et du groupe de travail sur l'espace, nous expliquait alors qu'il s'agissait pour les parlements nationaux de demander tous ensemble « quelque chose à la Commission européenne, ça a un peu plus de poids que des résolutions individuelles qui représentent les intérêts d'un pays ». « Tous ces sujets sur lesquels on insiste, ils vont prendre corps... ou pas », ajoutait la sénatrice.

Ce n'est pas gagné au niveau mondial

Toujours est-il que c'est loin d'être gagné au niveau international puisque cela obligerait à mettre autour d'une même table les principales forces spatiales, et donc les États-Unis, l'Europe, la Chine et la Russie... puis arriver à se mettre d'accord.

Il y a quelques mois, Gérard Brachet (ancien président du Comité des Nations unies pour les utilisations pacifiques de l'espace extra-atmosphérique) donnait une idée de l'inertie à laquelle il a été confronté par le passé : « Il a fallu trois ans pour convaincre le comité [des Nations Unies, ndlr] d'ajouter à l'ordre du jour la viabilité à long terme des activités dans l'espace ».

Et encore, ce n'est presque rien par rapport à la suite : « Il a fallu 8 ans à ce groupe pour se mettre d'accord » et produire au final 21 lignes directrices. « J'insiste il a fallu 8 ans. On arrive à avancer, à progresser, mais c'est extrêmement long, c'est un processus un peu frustrant ». Le contexte géopolitique est encore plus compliqué aujourd'hui avec la guerre menée par la Russie.

Encore un an avant Ariane 6... premier allumage pour Prometheus

Sur la question des lanceurs, Josef Aschbacher ne se mouille pas et parle simplement « d'amener Ariane 6 sur le launchpad »... il faut dire que le futur gros lanceur européen multiplie les retards : le vol inaugural n'est désormais pas programmé avant fin 2023. Il y a certes le succès de Vega-C, avec le moteur P120C que l'on retrouvera par deux sur Ariane 62 et par quatre sur Ariane 64, mais cela ne concerne que le segment des lanceurs légers.

Dans tous les cas, le réutilisable continue son chemin avec le premier allumage cette semaine d'un prototype de Prometheus, le moteur réutilisable et low cost de l'ESA. Pour le moment aucune direction ne semble actée, là encore la conférence CM22 devrait permettre d'y voir un peu plus clair. 

Investir dans le futur, et donc dans l'espace

Il revient enfin sur la crise actuelle (dans tous les sens du terme) et affirme que c'est le moment d'investir dans le spatial, et donc dans le futur, car « les pays qui le feront gagneront une fois la crise terminée [...] et en sortiront plus forts [...] C'est ce que je veux pour l'Europe ». On imagine en même temps mal le directeur général de l'ESA tenir un autre discours. Il faudra maintenant attendre la fin de la CM22 pour voir les arbitrages qui auront été faits, les projets soutenus et ceux abandonnés. 

Notez enfin que c'est demain que l'ESA présentera la nouvelle promotion des astronautes professionnels, de réserve (des candidats ayant réussi le processus de sélection et n’ayant pas été recrutés), ainsi que ceux en situation de handicap physique. Plus de 27 000 candidatures ont été envoyées. 

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Écrit par Sébastien Gavois

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Sommaire de l'article

Introduction

Du spatial responsable dans un monde fragile 

Changement climatique et objectif « zéro débris »

« Favoriser la coopération entre les acteurs spatiaux européens »

Question du jour : « à qui et à quoi sert l'espace ? »

Dans les pas de la Conférence européenne interparlementaire sur l'espace

Ce n'est pas gagné au niveau mondial

Encore un an avant Ariane 6... premier allumage pour Prometheus

Investir dans le futur, et donc dans l'espace

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