Intéressons-nous à une industrie pesant 155 milliards d’euros en 2021 et probablement plus de 200 milliards en 2022. Un eldorado pour beaucoup d’autres territoires que le Japon, les États-Unis, l’Angleterre et la France, pays dans lesquels certains l’imaginent circonscrite. Petite information utile pour l’article et qui fera rager les gamers : en 2021, le jeu mobile représente plus de part de marché que les consoles et PC… réunis.
Les analystes financiers et boursicoteurs connaissent bien le marché du jeu quand bien même ils n’ont jamais tenu une manette. S’il souffre encore de la caricature, des clichés ou du mépris – plus par ignorance qu’autre chose – ce secteur reste l’industrie de loisir la plus lucrative au monde.
Nous allons évoquer des poids lourds en révélant, pour la partie chiffre, uniquement leur capitalisation boursière après conversion de leur devise en euros. Une analyse financière donc très en surface, qui sert simplement d’indicateur pour étayer notre propos. Passé ce petit avertissement destiné à ceux qui aiment chercher des poux sur la tête de l’agent 47, commençons par trois sociétés emblématiques.
Le triumvirat de l’industrie vidéoludique
Le grand public associe volontiers ce marché aux marques généralement identifiées sous leurs téléviseurs. D’abord arrive PlayStation, lié à l'objet console comme Frigidaire l’est au réfrigérateur. « Jean-Kevin, éteins-moi ta Pléstécheune et vient manger » criera le parent néophyte désireux de voir le petit dernier déscotcher de Call Of Duty alors que la jaquette arbore un PEGI 18 (quitte à faire dans les clichés, allons-y gaiement !), et cela, même si JK joue sur Xbox. Quasiment aussi haut sur le podium arrive Nintendo et enfin, loin derrière malgré les excellents résultats du GamePass, Microsoft.
Mais passons aux chiffres :
Nintendo. Avec une valorisation boursière de 49 milliards d’Euros, le géant japonais bat des records grâce à sa Switch. Les chiffres de ventes présentés dans le rapport financier laissent rêveurs sur le nombre d’acquéreurs de leurs jeux et hardware. La Switch atteint désormais les 114 millions de ventes. Les jeux ne sont pas en reste puisque Mario Kart 8, Animal Crossing et Super Smash Bros se sont écoulés à approximativement 48, 40 et 30 millions d’exemplaires depuis leur sortie. 14 de leurs jeux ont trouvé plus de 10 millions de preneurs. C’est colossal !
Big N est sur un petit nuage et assure sa diversification avec le merchandising, le cinéma, un parc d’attractions, etc. Un pas de côté (on se souvient de l’échec de la Wii U) pourrait les mettre sur une mauvaise pente, mais pour l’instant, l’avenir s’annonce radieux.
Sony. Sur les 94 milliards d’euros de capitalisation, près de 30 % sont réalisés sur le seul secteur du jeu. Malgré les problèmes d’approvisionnement, la PS5 s’est écoulée à plus de 25 millions d’exemplaires. Après s’être offert Bungie (Halo, Destiny) et Savage Game Studio pour s’installer sur le mobile, l’abonnement au PlayStation+ devient leur nouveau cheval de bataille, tout comme le désir de faire flancher l’acquisition d’Activision Blizzard King par Microsoft, de peur de voir des utilisateurs migrer vers la machine concurrente. Sony continue de parier sur ses grosses licences et vogue sur l’excellente réputation de sa console.
Microsoft. On ne joue déjà plus dans la même cour puisque la capitalisation de Microsoft est de 1 680 milliards d’euros. Le jeu ne représente « que » 8,2 % de cette somme, ce qui nous fait (on pose deux et on retient trois) : un sacré paquet de pognon ! En fait, peu importe le chiffre, car ce n’est pas uniquement le secteur jeu qui pèse dans la balance lorsque le géant américain rachète un studio.
L’acquisition en cours d’Activision Blizzard King inquiète légitimement Sony puisque Call Of Duty pourrait devenir une exclusivité Xbox et PC. De plus, le succès du GamePass dans un monde qui se tourne vers le dématérialisé ainsi que l’abonnement pourrait donner au géant américain une position trop dominante. L’Europe vient d’ailleurs d’ouvrir une enquête approfondie sur cet éventuel rachat.
Considérer ces trois entreprises comme des acteurs majeurs de l’industrie n’a rien d’usurpé, mais ce n’est que la face visible de l’iceberg. Une mode d’achats de studio et de prises de participations est lancée dans plusieurs pays. L’année 2022 aura été particulièrement mouvementée dans ce domaine puisque, selon la banque Drake Stars Partners, 651 échanges financiers représentant près de 107 milliards de dollars ont été effectués lors du premier semestre.
Des titans tentaculaires tiennent les tunes…
… et ces fieffés félons fauchent notre flouse. Arrêtons là les allitérations, et concentrons-nous sur quelques géants un peu moins connus et qui pourtant dessinent l’industrie vidéoludique actuelle.
Tencent. Les 290 milliards d’euros de capitalisation du mastodonte chinois impressionnent, mais le plus intéressant reste leur prise de participation dans de nombreuses entreprises de par le monde. Propriétaire à 100 % de Riot Games (l’éditeur de League Of Legends, poids lourd de l’e-sport) depuis 2015, ils ont aussi acquis 40 % d’Epic Games, les développeurs de Fortnite et du moteur de jeu Unreal.
Tencent s’est aussi offert Supercell, l’éditeur de Clash of clan, et prend des billes dans diverses sociétés du globe : 4,5% d’UbiSoft (Assassin’s Creed), 80 % de Grindin Gear Games (Path Of Exile), 5 % de Paradox Interactive (Crusader Kings), 23 % de Dontnod (Life is strange), mais aussi Platinum Games (Bayonetta, NieR Automata), From Software (Dark Souls, Elden Ring) et la liste est encore longue.
Ce géant se positionne ainsi dans le monde entier et devient une porte d’entrée vers la Chine pour les éditeurs souhaitant s’ouvrir à ce marché. Ils développent leurs propres jeux et nul doute qu’ils imposeront ce que l’on appelle des AAA (l’équivalent de Blockbuster au cinéma) dans les années à venir. La société générant le plus gros chiffre d’affaires est donc chinoise, et elle n’est pour l’instant qu’en phase de décollage.
Netease. Les 42 milliards de capitalisation de ce groupe chinois font pâle figure face à son concurrent. Mais là encore, ses rachats ou prises de participation en font un des moteurs de cette industrie. Netease s’est offert Quantic Dream, le studio français à qui l’on doit Detroit, ainsi que Grasshopper, la société du si extravagant et punk Suda51. Ils avaient aussi investi dans Bungie à qui l’on doit notamment Destiny.
Nexon. Cette société sud-coréenne valorisée 15 milliards d’euros est spécialisée dans les jeux mobiles. Kartrider: Drift, Darkness Rises, V4, Godsome ne vous évoquent peut être rien, mais ils sont quelques-uns des succès qui ont placé l’éditeur dans le top 15 mondial des sociétés en termes de chiffre d’affaires.

Apple (et Google). nous faisons là juste un petit clin d’œil aux adorateurs de la pomme. Valorisée 2 287 milliards d’euros pour l’ensemble de son œuvre, la société américaine, en prenant simplement sa dime sur chaque achat réalisé dans son AppStore, se hisse dans le top 5 des entreprises les plus fructueuses du marché du jeu vidéo. Well done ! Évidemment, Google peut se targuer des mêmes résultats sur son store.
Embracer Group. Passons du côté de la Suède avec cette société à l’appétit vorace. 7 milliards de capitalisation « seulement », mais il n’en aura pas fallu plus pour s’offrir THQ Nordiq, Koch Media, Saber Interactive, Gearbox Software, Asmoddee Editions, Dark Horse Comics ainsi que toute la branche occidentale de Square Enix. Ils ont ajouté dans leur escarcelle au mois d’aout de cette année Middle-earth Entreprises, la société responsable des droits liés à la franchise Le seigneur des anneaux et Le Hobbit. Une belle licence à ajouter à Borderlands, Darksiders, Saints Row, Tomb Raider, Deus Ex, etc.
CD Projekt SA. cette entreprise polonaise capitalisée à 3 milliards d’euros est connue pour la formidable licence The Witcher, adaptée des romans d’Andrzej Sapkowski. Ils ont aussi créé GOG (Good Old Games), une plateforme où l’on retrouve, entre autres, des anciens jeux PC que l’éditeur s’attache à faire tourner sur nos machines modernes. L’incident Cyberpunk, un jeu d’excellente facture, mais bourré de bugs à sa sortie, n’aura pas totalement entaché la réputation de cette société polonaise qui demeure l’un des acteurs majeurs en Europe avec le français Ubisoft.
CD projekt est un peu le « cherchez l’intrus » de cette sélection, car il n’a pas la même logique d’expansion que les autres entreprises citées ici, mais il illustre l’appétence et un excellent savoir-faire des pays de l’Est ainsi qu’un marché du jeu vidéo mondialisé auxquels beaucoup de pays contribuent.
The Savvy gaming group. terminons cette sélection avec ce groupe détenu par le Public Investment Fund de l’Arabie Saoudite. Déjà acquéreur de l’ESL (ligue E-Sport) et de Faceit (jeux en ligne), Savvy Gaming a pris des participations dans Activision Blizzard, Take Two, Electronic Arts, avant de s’inviter chez Nintendo à hauteur de 5 % et d’investir aussi chez Nexon et Embracer Group. Il s’est ensuite offert SNK, les anciens géants de l’arcade à qui l’on doit la légendaire Neo Geo. 38 milliards vont encore être distribués dans différentes entreprises pour faire du pays un des acteurs majeurs du jeu d’ici à 2030.
Sans oublier tous les autres
Electronic Arts, Konami, Capcom, Square Enix, Bandai Namco, Take Two, Ubisoft (etc) restent des incontournables de l’industrie et ont le mérite d’y participer activement en développant leur catalogue. Mais ce marché ne se limite pas aux studios et aux éditeurs, ils doivent maintenant compter sur les financiers attirés par l’odeur de l’argent et l’essor qu’aura donné le Covid à une industrie déjà florissante.
Le mobile a aussi fait émerger des pays tels que la Corée (Netmarble, NC Soft aurait aussi eu leur place à côté de Nexon) et continue sa très forte expansion sur les marchés asiatiques. Si la guerre PlayStation/Xbox avec le trublion Nintendo passionne les joueurs, les intérêts économiques et financiers sont décidément bien plus vastes.