Un Euro numérique devrait voir le jour d’ici 2026 ou 2027, selon la Banque de France et la Banque Centrale Européenne. Il doit servir à atteindre plusieurs objectifs, notamment face aux cryptomonnaies, mais de quoi parle-t-on exactement ?
Qu’est-ce que l’euro numérique ?
L’Euro numérique et les monnaies numériques de banque centrale (MNBC), dans leur ensemble, sont de nouveaux moyens de paiement. Un Euro numérique viendrait nous servir au quotidien, aux côtés de la monnaie fiduciaire (pièces et billets) et de la monnaie scripturale (les dépôts que nous faisons sur nos comptes, qui sont inscrits dans les livres de comptes des banques). Pour les établissements financiers, ce sera aussi un nouveau moyen d’échanger sur le marché interbancaire, cet espace où elles prêtent et empruntent des actifs financiers de gré à gré.
La spécificité d’une MNBC comme l’euro numérique serait donc d’être une unité de compte qui ne circulerait que de manière technologique, d’un portefeuille numérique à un autre.
Pourquoi créer une monnaie supplémentaire ?
Un projet comme l’euro numérique répond à une série d’enjeux :
Du point de vue des consommateurs, le premier est une question d’usage. Dès 2018, en France, les jeunes se déclaraient friands de solutions de paiement dématérialisé, selon une étude Cofidis, que ce soit avec leur carte en sans contact ou via un smartphone ou un autre objet connecté.
Si la population générale était déjà grande usagère de carte bancaire en ligne et hors ligne, elle a depuis adopté le même type de pratiques que celles plébiscitées par la « génération Z » : la pandémie a en effet accéléré la rapidité d’adoption du paiement sans contact, par cartes physiques et virtuelles (via un smartphone). Dans ce contexte, les promoteurs d’un Euro numérique expliquent que celui-ci permettra des transactions plus rapides, voire instantanées, car ne requérant pas de règlement interbancaire. Son principal intérêt serait donc de se passer d’intermédiaire entre le vendeur et le payeur.
Du côté de la Banque Centrale Européenne (BCE), un enjeu concerne la régulation : le secteur des cryptoactifs envoie des signaux de grande volatilité depuis ses débuts. Des cryptoactifs ont bien été créés de sorte à indexer leur cours à celui de devises (le dollar, l’euro) ou de matières premières comme l’or – on les appelle des cryptomonnaies stables ou stablecoins.
Mais pour la BCE, aucun de ces actifs ne remplit les trois missions d’une monnaie : être une réserve de valeur, un intermédiaire fiable des échanges et une unité de compte (c’est-à-dire qui permet d’établir le prix des biens et services échangés). En l’occurrence, même un stablecoin comme le TerraUSD s’est effondré en mai dernier. En créant sa propre MNBC, la BCE fournirait un moyen de paiement similaire à ces stablecoins, mais dont la fiabilité serait certifiée.
Un autre est géopolitique : des pays comme la Jamaïque ou le Nigeria émettent déjà leurs propres monnaies de banque centrale, tandis que d’autres, comme la Suède, la Chine ou la Corée du Sud sont en phases de test. Plus d’une centaine de projets sont étudiés par des banques centrales à travers le monde, rappelait Christine Lagarde fin septembre. Des entreprises lancent aussi leur test, parmi lesquelles Meta, et son projet Libra lancé en 2019, renommé Diem en 2020 puis abandonné début 2022.
Un autre est industriel : en même temps qu’ils acceptent peu à peu les dépôts (voire proposent des prêts) en cryptomonnaie, de nombreux établissements bancaires mènent leurs propres expérimentations sur les usages des technologies de registres distribués (blockchains). Dans ce contexte, un Euro numérique améliorerait l’accessibilité et l’interopérabilité financière, facilitant les paiements transfrontaliers et en devises. Il simplifierait les échanges avec les devises numériques délivrées par d’autres États et, du côté des particuliers, permettrait par exemple des paiements instantanés d’une devise à l’autre. Selon la Banque de France, ce pourrait aussi devenir un moyen de paiement fiable pour les titres financiers qui commencent à être enregistrés sur des blockchains (tokenisés, dans le jargon).
Un dernier enjeu est celui de l’inclusion financière : selon la BCE, l’euro numérique participerait à l’inclusion financière en offrant une nouvelle solution de paiement, accessible, ce qui augmenterait la concurrence en la matière. Cependant, les citoyens interrogés sur la question ont souligné que l’euro numérique pouvait être synonyme d’accroissement de la complexité. Ils poussent donc à la création d’une solution mettant l’accent sur la simplicité et la sûreté. Soulignons que dans les économies émergentes, les MNBC sont souvent présentées comme un moyen de donner un accès au système financier à la large part de la population mondiale encore non bancarisée (1,4 milliard de personnes en 2021 selon la banque mondiale).
Si on résume avec les mots du Gouverneur de la Banque de France, l’euro numérique serait un « puissant levier d’affirmation de notre souveraineté » face aux initiatives évoquées plus haut, qu’elles viennent d’autres pays, d’entreprises privées ou de l’écosystème crypto. Face aux monnaies privées et aux cryptoactifs, explique Christine Lagarde, la BCE veut faire de sa MNBC une ancre dans le monde numérique, de la même manière que l’euro qu’elle émet déjà est une « ancre » dans nos échanges au quotidien.
Comment l’euro numérique sera-t-il sécurisé ?
L’euro numérique pose plusieurs problématiques de sécurité.
D’un point de vue purement technique : la question de la sécurité de l’infrastructure qui permettra les réserves et les échanges d’euros numériques n’est pas tranchée. La BCE effectue actuellement des expérimentations, notamment avec des technologies de registres distribués, mais le futur dira quelle option sera finalement choisie.
D’un point de vue de sécurité des données, question aussi technique que politique : dans l’écosystème crypto, l’accent est souvent mis, à tort ou à raison, sur l’anonymat que permettrait l’usage de blockchains. Par ailleurs, la consultation publique menée par la BCE et publiée en 2021 montre que la confidentialité des paiements est la principale préoccupation des répondants. La présidente de la BCE Christine Lagarde a donc répété que celle-ci était un point d’attention lors des expérimentations, « jusqu’à un certain niveau ».
En effet, pour permettre à des organismes comme la Direction Générale du Trésor en France et le Groupe d’action Financière (GAFI) en Europe de réaliser leur mission de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, certaines informations doivent leur rester accessibles. La BCE indique qu'en plus d'éléments de protection plus classiques, les informations relatives à l'identité des payeurs pourraient être séparées de celles concernant les paiements, afin que seules les cellules de renseignement financier puissent les récupérer (selon des processus judiciaires définis) en cas de suspicion d'activité illégale.
Présentera-t-il un risque pour les monnaies existantes ?
L’euro numérique pourrait présenter un problème de sécurité monétaire : si les épargnants se tournaient tous vers cette nouvelle forme de monnaie, ils créeraient un risque en privant les banques de détail dans la zone euro de liquidités. Ce cas de figure pourrait avoir lieu si la population se mettait à considérer la monnaie de banque centrale comme plus sécurisée que la monnaie privée (celle créée par les banques commerciales, lorsqu’elles octroient des prêts notamment).
Pour éviter ce problème, la BCE veut faire de sa MNBC un outil de paiement plutôt qu’une réserve de valeur. Concrètement, elle propose de restreindre le nombre d’euros numériques dont chacun pourrait disposer, voire de soumettre les dépôts en euro numérique à un taux d’intérêt punitif (de -0,5% pour le moment : il serait donc moins intéressant de les garder dans son portefeuille numérique que sur un compte courant).
Quel sera son impact écologique ?
La BCE prête une attention particulière à l’impact environnemental de l’architecture de l’euro numérique. Dans son rapport sur l’euro numérique, l’institution souligne non seulement que les infrastructures et la production de moyens de paiements classiques peuvent manquer d’efficacité en termes de consommation d’énergie, mais encore que la création d’un Euro numérique pourrait être le levier d’une réduction de l’empreinte écologique des systèmes de paiement de la zone euro.
En cela, l’Eurosystème, qui regroupe la BCE et les banques centrales européennes, souligne que l’euro numérique lui permettrait de devenir leader en la matière, et justifier qu’une pression soit mise sur les services de paiement pour qu’ils veillent à réduire leur empreinte écologique.
Quelles sont les prochaines étapes de la réflexion autour de l’euro numérique ?
Parmi les sujets que la BCE doit trancher, on compte :
- Celui de l’architecture : sa forme (les particuliers auront-ils des comptes ouverts auprès de la BCE ? Si oui, en accès direct ou via des intermédiaires ?), sa prise en charge (par des acteurs publics ou privés ? Lesquels ?),
- Celui de l’infrastructure : un registre distribué correspondrait-il aux choix précédents ? Remplirait-il les obligations de sécurité, de robustesse, d’efficacité recherchées ?
- Celui de l’accessibilité : avec un équilibre à trouver entre confidentialité et respect des législations, notamment dans le cadre la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme,
- Et celui de l’interopérabilité : puisqu’un des buts de l’euro numérique est d’être facilement échangeable avec d’autres MNBC.
La BCE est actuellement en phase de prototype. Elle a présenté mi-septembre la liste des entreprises travaillant sur les interfaces utilisateurs nécessaires à l'usage d'un euro numérique. Parmi elles, quatre sociétés européennes et... Amazon. Le conseiller de la BCE sur les questions de paiements numériques, Jürgen Schaaf, a défendu ce choix en avançant que les expérimentations étaient motivées par des considérations strictement techniques. Une coalition de membres du Parlement européen s’est néanmoins insurgée de la préférence accordée à une société américaine, alors même que l’Europe compte de nombreux acteurs du e-commerce, illustrant par là même le caractère éminemment politique de tout ce qui touche à l'émission d'une monnaie.
Elle devrait prendre ses décisions sur la faisabilité et les principaux détails techniques d’ici la fin 2023. L’Eurosystème devra aussi se pencher sur des questions légales, à commencer par les implications juridiques des choix effectués à chacune des étapes tout juste citées.
Ensuite, Christine Lagarde indique qu’un Euro numérique pourrait être lancé en 2026 ou 2027.