La SPPF réclamait de YouTube 10 millions d’euros de dommages et intérêts. Elle lui reprochait, après une première notification, de n’avoir su empêcher la réapparition de clips issus de son catalogue. La Cour d’appel a finalement condamné les ayants droit à 30 000 euros, rappelant que les hébergeurs ne peuvent être soumis à une obligation générale de surveillance.
En 2008, la société civile des producteurs de phonogrammes en France, qui représente les indépendants, attaquait YouTube et Google pour une série de clips postés par des contributeurs. « Nous avions été amenés à constater au début de l’année 2008 la présence de plus de 200 vidéomusiques du répertoire de la SPPF qui étaient disponibles en toute illégalité sur YouTube » nous détaillait Jérôme Roger, son directeur général. Le SPPF avait alors obtenu sans difficulté le retrait de l’ensemble des clips mais elle constatait qu’une centaine des clips était repostée un an plus tard. « Plus d’une centaine de ces mêmes vidéomusiques ont été de nouveau disponibles sur YouTube au début de l’année 2009 suite à un constat opéré par la SPPF, avec des liens différents, mais il s’agissait des mêmes clips » regrettait la société de perception et de répartitions des droits.
La SPPF initiait du coup une plainte contre l’hébergeur, coupable selon elle de n’avoir su empêcher la réapparition de ces clips. Elle réclamait 10 millions d’euros à YouTube pour ces contrefaçons mal purgées. Lors d’une première étape devant le tribunal de grande instance, les juges ont cependant estimé que YouTube n’avait pas engagé sa responsabilité d’hébergeur. Cependant, le jugement considérait qu’une fois notifié, YouTube était présumé avoir connaissance du caractère illicite des clips. Il devait retirer les liens et mettre en œuvre des moyens techniques pour rendre impossible les réapparitions.
Le hic est que ces moyens existent : c’est le système d’empreinte Content ID. Par un joli renversement, le tribunal reprochait du coup à la SPPF de ne pas avoir utilisé cet outil qui permet à l’ayant droit de décider du sort des mises en ligne (pas de retrait, retrait ou partage des revenus publicitaires). Dans nos colonnes Jérôme Roger, directeur de cette société de répartition avait justifié cette non-collaboration : « il n’appartient pas aux producteurs de videomusiques de prendre l’initiative de mettre en place un système de retrait automatique ». Ce manque de collaboration a donc été sanctionné par le TGI de Paris.
Obligation de surveillance des hébergeurs
Devant la Cour d’appel de Paris, la SPPF campe sur ses positions, armée d’une consultation juridique tentant, par larges extrapolations, à faire reconnaître l’existence d’une obligation de nettoyage renforcée chez les hébergeurs. En face, YouTube s'est contenté de réaffirmer le droit européen : d’abord, il n’y a pas d’obligation générale de surveillance des contenus hébergés. Ensuite, seul le juge peut l’enjoindre à une obligation de surveillance temporaire et ciblée. Enfin, Content ID est une technologie proposée par YouTube au-delà de ses obligations légales. Si la SPPF veut l’utiliser, libre à elle.
L'étude juridique des ayants droit, aux termes jugés dubitatifs par les magistrats, ne fera pas un pli. L’analyse de Youtube va ainsi être pleine reconnue. L’hébergeur n’est pas soumis à une obligation générale de surveillance, affirme la Cour, « le retrait d’un contenu par un hébergeur, eut-il déjà fait l’objet d’une notification, ne peut intervenir sans notification préalable ». En somme, l’hébergeur n’a pas à traquer activement ces contenus, il doit laisser le titulaire de droit le contacter formellement.
La Cour (l'arrêt chez Juriscom.net) juge à nouveau fautif le défaut de collaboration de la SPPF alors que YouTube lui tendait la main avec Content ID. Elle ajoute au surplus qu’« il n’appartenait pas à la société YouTube de générer de sa propre initiative et sans contrôle des ayants droit, des empreintes sur les contenus objets de la première notification ». Aux ayants droit d’en supporter la production s’ils veulent que l’outil Content ID fonctionne à plein régime.
Ciblée, temporaire et décidée par un juge
S’agissant de la traque contre la réapparition des contenus une première fois dénoncés, la SPPF réclamait une interdiction de remise en ligne de tous les contenus visés dans l’assignation pour 10 ans. Les juges ont considéré la demande beaucoup trop imprécise et gourmande, alors que seule l’autorité judiciaire peut ordonner une surveillance « ciblée et temporaire. »
En somme, les hébergeurs peuvent être astreints à lutter contre la réapparition des contenus une première fois dénoncés, mais seulement si la mesure vient d’un juge et qu’elle est ciblée et temporaire. L’hébergeur n’a pas à générer les empreintes, lesquelles doivent être fournies par les ayants droit.
Alors que la SPPF réclamait 10 millions d’euros de dommages et intérêts, la Cour d’appel condamne finalement les ayants droit à verser à Google France et Youtube LLC une somme de 30 000 euros pour couvrir les frais.
Question ouverte, en guise de conclusion : qu'aurait jugé la Cour d'appel si la SPPF s'était contentée d'un traitement anti-réapparition de 6 mois - et non 10 ans - sur quelques dizaines de clips ?