Claire Lemarchand, directrice chez Ecosystem.eco, nous explique ce qu'est un éco-organisme, ses missions et ses ambitions. C'est aussi l'occasion de parler de l’indice de réparabilité, du recyclage des terres rares, des matériaux critiques et des batteries de voiture, d'effacement des données personnelles, etc.
Dans la première partie de notre dossier, nous sommes revenus sur le mélange entre écologie et high-tech : empreinte incompressible, réutilisation de vieilles machines, etc. Afin d'aller plus loin et de mieux cerner les enjeux et limites actuels, nous nous sommes entretenus avec Claire Lemarchand, directrice chez Ecosystem.eco.
Ecosystem est un éco-organisme dont l’agrément a été renouvelé pour six ans en mars dernier. Mais qu’est-ce qu’un éco-organisme et quel est votre objectif sur cette période ?
Un éco-organisme est une entreprise de droit privé, Ecosystem est une SAS, mais elle doit être agréée par les pouvoirs publics et répondre à un décret qui donne le cahier des charges pour les six prochaines années. Tous les six ans, nous repensons notre mode de fonctionnement au regard de ce qui nous est demandé.
Pour ce nouvel agrément, la loi AGEC étend notre périmètre d’action. Avant, nous étions centralisés sur la fin de vie des équipements électriques et électroniques, donc le recyclage. Désormais, nous intervenons plus en amont. Nous travaillons sur l’allongement de la durée de vie de ces équipements.
Nous avons deux leviers dans le cahier des charges. Nous devons favoriser le réemploi des appareils, ce qui en réalité était déjà dans notre ADN, mais c’est désormais plus formalisé. Et nous allons aussi inviter les Français à avoir le réflexe réparation avant de considérer le recyclage, sinon penser à une seconde vie pour leur matériel. Plus on fait durer un appareil, meilleur c’est pour l’environnement.
Pensez-vous que les particuliers et collectivités sont suffisamment informés des services comme le vôtre ? La communication est-elle encore une de vos missions essentielles ?
Tout à fait, et on y travaille. Nous faisons déjà sur le fond « réemploi et réutilisation » des appels aux dons sur des objets tels que les jouets ou les téléphones. On se rapproche alors d’Emmaüs ou des CCAS (centre communal d’action sociale, ndlr). On réfléchit à étendre cet encouragement au don sur les objets de première nécessité tels que les réfrigérateurs, les plaques de cuisson, mais aussi les ordinateurs pour diminuer la fracture numérique.
Pour la communication globale sur l’ensemble de nos services, cette mission fait aussi partie de notre agrément. Nous serons plus actifs auprès du grand public sur le point de la réparation dès que nous aurons agréé un réseau de réparateurs suffisamment volumineux. Pour l’instant nous constituons un fond de réparation pour baisser la facture des consommateurs.
Nous devons ensuite labelliser un réseau de confiance vers qui les consommateurs devront se retourner pour accéder au bonus réparation, donc la remise sur facture. Nous lancerons notre campagne de communication lorsque nous aurons atteint un minimum de 1 000 réparateurs sur des grandes enseignes comme des petits artisans et sur une couverture géographique sur l’ensemble de la France.
L’indice de réparabilité mis en place ces dernières années en France a-t-il eu un impact notable ?
Cet indice nous intéresse, on le suit de près. Il a un impact sur ce que l’on appelle l’écoconception fin de vie, un point sur lequel nous accompagnons des fabricants et distributeurs. Mais c’est un sujet qui relève davantage de l’ADEME, l’agence engagée sur la transition écologique, et dont nous verrons les effets d’ici quelques années.
Pour l’instant, l’indice est assez récent, il faut laisser aux appareils le temps d’avoir besoin d’être réparés, le plus tard possible on l’espère. En tout cas, des études démontrent un impact dans l’acte d’achat. Le facteur économique reste le plus influent, mais à prix égal, l’indice de réparabilité peut faire pencher la balance en faveur d’un produit.
Quel est le pourcentage de terres rares et matériaux critiques récupéré lors du recyclage ?
D’abord un point, en réalité, c'est la criticité des métaux, terres rares comprises, qui est importante. Il s’agit donc de la date estimée à laquelle il n’y aura plus ce type de ressources ou que l’on ne pourra plus en extraire dans l’état actuel de nos connaissances. Et puis il y a une criticité technologique due à l’accroissement des besoins, notamment pour tous les objets connectés.
On trouve dans les matériels électroniques de très nombreux métaux que je ne vais pas énumérer ici tant il en existe. À date, nous arrivons à isoler l’or et l’argent de manière industrielle sans difficulté. Mais la kyrielle d’autres métaux est beaucoup plus compliquée à récupérer, car ils sont en quantité infinitésimale et souvent sous forme d’alliage ou de nanoparticule. Pour faire une analogie culinaire, nous parlons ici d’essayer de retrouver un grain de sel dans une ratatouille.
C’est réalisable, nous travaillons sur le sujet et investissons en recherche et développement, mais nous n’arrivons pas encore à passer à la phase industrielle. Nous sommes conscients qu’il faut accélérer, car il y a de gros enjeux. On estime que certains métaux critiques auront disparu à l’horizon 2030 pour certains, 2050 pour d’autres.
Pour ce qui est des alliages, je me permets de reprendre une métaphore culinaire. Mélanger de la crème fraiche et de la moutarde, ça n’a rien de compliqué. Essayez ensuite de les reséparer... Nous travaillons sur des processus chimiques et nous arrivons à dissocier les alliages en laboratoire, mais nous bloquons là encore sur l’aspect industriel.
C’est un défi de toute notre filière sur lequel de très nombreux pays travaillent, car il y a des enjeux majeurs sur le plan économique, écologique et même géopolitique.

Avez-vous d’autres objectifs ou défis à relever en plus de ceux déjà évoqués ? On pense notamment aux voitures électriques.
Pour l’instant, elles rentrent dans le cadre de la filière de recyclage dite VHU, véhicule hors d’usage. Mais cela m’évoque un enjeu important auquel nous sommes confrontés, comme l’industrie automobile, avec les batteries au lithium.
Sur les produits électriques et électroniques, on compte deux départs de feu par jour durant le traitement de ces déchets. La majorité est heureusement maitrisée, mais un par mois nécessite de faire appel aux pompiers et on considère que tous les deux ans, nous avons une unité de traitement qui part en flamme. C’est donc un autre défi aussi très important pour nous.
Quelles garanties offrez-vous sur l’effacement des données personnelles lorsqu’on dépose un smartphone, une tablette, un PC ?
En effet, c’est important d’en parler, car il s’agit parfois d’un frein au recyclage ou au don, notamment pour les téléphones. Il y a toujours cette crainte, plus ou moins rationnelle, d’avoir laissé des photos ou des numéros et c’est bien normal.
Nous avons déployé un service de collecte des téléphones pour éviter que ces appareils se retrouvent dans des bacs. Ils sont donc directement envoyés à un centre de traitement. Je vous engage à vous rendre sur jedonnemontelephone.fr. Vous recevez ou imprimez des étiquettes préaffranchies pour envoyer votre téléphone aux Ateliers du Bocage, une filiale d’Emmaüs, qui ont mis en place tout un process d’effacement des données. Concernant les ordinateurs, qu’ils soient portables ou sous forme d’unité centrale, tout est broyé avant que les matières soient séparées, donc il ne reste rien des données qu’ils contenaient.
En revanche, là aussi nous pouvons aborder une autre problématique qui est celle du vol des matériels dans les bacs de collectes ou en déchetteries. Les données sont le cadet des soucis de ces pilleurs, car leur but est de vendre les métaux contenus dans ces appareils. Mais pour nous ça reste un sujet très sensible. L’envol du cours des métaux fait que les effractions sont en nette augmentation. C’est un fléau écologique, car dans ce cas il n’y a pas de dépollution des appareils.