Ariane 6 vs SpaceX : la délicate et importante question de l'autonomie spatiale de l'Europe

Ariane 6 vs SpaceX : la délicate et importante question de l’autonomie spatiale de l’Europe

Tant que c'est le petit doigt qui se lève...

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Sébastien Gavois

Publié dans

Sciences et espace

16/09/2022 5 minutes
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Ariane 6 vs SpaceX : la délicate et importante question de l'autonomie spatiale de l'Europe

Aujourd'hui se tient la 24e la Conférence européenne interparlementaire sur l'espace (EISC) au Sénat... vaste sujet ô combien important en cette époque troublée. La première table ronde avait comme thème « l'autonomie stratégique européenne pour garantir un accès durable à l'espace ». Nous y étions.

Elle était animée par Claude Raynal, président de la commission des finances. Pour donner le ton, il affirme que « l’Europe ne peut se reposer sur ses acquis ». Si nous avons « pris du retard, des avancées récentes sont néanmoins à signaler ». Ariane 6 d'un côté, Vega-C (qui vient de réaliser son vol inaugural avec succès) de l'autre 

Où en sont les essais sur Ariane 6 ?

Philippe Bapstiste, président du CNES, était le premier à prendre la parole. Il a commencé par un rapide point sur l'avancement des travaux sur Ariane 6. Son « pas de tir qui est quasiment terminé » et les essais du dernier étage vont débuter « dans quelques jours ». Ensuite, il faut finir les essais combinés (avec plusieurs éléments de la fusée et/ou son pas de tir). Bref, il reste encore « quelques mois de travail ». 

Lors de l'annonce d'Ariane 6 (en 2014), la fusée devait arriver en 2020. Elle a été repoussée à plusieurs reprises. Jusqu'au début de l'été, le vol inaugural du prochain lanceur lourd était attendu pour cette année, avant d'être repoussé à « un jour » en 2023, a récemment indiqué Josef Aschbacher, directeur général de l'Agence spatiale européenne. Un retard qui pose problème puisque l'Europe ne peut plus s'appuyer sur les fusées Soyouz suite à l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Penser dès maintenant à la suite 

Même si Ariane 6 n'est pas encore là, Philippe Bapstiste affirme qu'il faut « qu’on commence dès aujourd’hui à réfléchir à la manière dont on va travailler pour la suite ». « Personne ne peut dire si Ariane 6 sera réutilisable » dans ses prochaines évolutions, mais il ajoute aussi que « la question de savoir si on a besoin d’un lanceur réutilisable n’est pas triviale ».

Dans tous les cas, les travaux actuels sont importants pour avoir toutes les cartes en mains le jour venu. On retrouve pour rappel les mêmes choses dans un rapport du Sénat en 2019, issu comme aujourd'hui du groupe de travail « Espace » présidé par Sophie Primas. 

Pour que le réutilisable soit intéressant, il faut avoir une cadence de lancement suffisante. SpaceX peut compter sur les lancements institutionnels pour le compte de la NASA et ses propres satellites Starlink. Stephane Israël, président d'Arianespace, ajoute qu'en Europe la cadence viendra du marché spatial, et pas uniquement des lancements institutionnels qui ne seront pas suffisants. 

« Être fier de ce qu’on a fait »

Stephane Israël, explique que l'alignement des planètes est favorable : « L’équipe européenne et l’équipe française sont très alignées » sur le spatial. 

S'il ne revient pas spécialement sur le retard d'Ariane 6, il affirme que l'on peut « être fier de ce qu’on a fait [...] C’est Ariane qui a envoyé la mission la plus importante de la décennie  », avec le James Web Space Telescope. Cerise sur le gâteau, la précision du lancement est telle que la durée de vie du satellite a été revue à la hausse. « Nous sommes extrêmement respectés et même admirés pour notre fiabilité ». Sur la fiabilité, Ariane 5 n'a en effet plus rien à prouver. 

Stephane Israël en profite pour préciser qu'une nouvelle version Block 2 « 20 % plus puissante » d'Ariane 6 est déjà dans les tuyaux, très certainement avec le moteur P120C+.  Pour rappel, Amazon a signé un contrat historique de 18 lancements avec Arianegroup, dont 16 « par une version améliorée d’Ariane 64 ».

Soyouz est un problème conjoncturel, pas structurel

Sur la question de la Russie et des lanceurs Soyouz, « c’est un problème conjoncturel, pas structurel. On va évidemment surmonter la crise de Soyouz », affirme le patron d'Arianespace. Il ajoute que l'arrêt de l'utilisation de Soyouz par l'Agence spatiale européenne était déjà prévu depuis... 2014. C'est à la fois l'année de validation d'Ariane 6, mais aussi de l'invasion de la Crimée par la Russie. La fin de Soyouz était prévue pour 2023.

Ne pas dépendre de SpaceX

Enfin, Stéphane Israël revient sur le besoin d'autonomie spatiale de l'Europe, et donc de disposer de ses propres lanceurs. Au début, le programme Ariane avait pour but de permettre à l'Europe « de ne pas être dans la main d’un acteur public, ce n'est pas maintenant pour être dans les mains d’un acteur privé », avec SpaceX en ligne de mire. 

La table ronde se termine par une inquiétude par rapport à la constellation Starlink de SpaceX et son occupation de l'orbite basse. L'inquiétude serait de devoir « lever le petit doigt pour demander si on ne va pas déranger la constellation de monsieur Musk » lorsque l'on voudra lancer un satellite. 

Écrit par Sébastien Gavois

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Introduction

Où en sont les essais sur Ariane 6 ?

Penser dès maintenant à la suite 

« Être fier de ce qu’on a fait »

Soyouz est un problème conjoncturel, pas structurel

Ne pas dépendre de SpaceX

Commentaires (15)


Est-ce que le fait d’être réutilisable ne rentre pas aussi dans une philosophie de “on gaspille moins” ? sans parler de coût ?



Ou au final les 2 consomment et polluent autant ?


Je crois qu’on n’a pas les données de SpaceX là-dessus, donc qu’on ne SAIT pas. Mais je suis pas expert. :chinois:


Oui, on sait que la réutilisation permet de diminuer grandement les coûts et les ressources utilisées, même si SpaceX ne publie pas ses données.
Ils utilisent leurs lanceurs jusqu’à 14x.



Même Arianne l’a admis discrètement dans leurs arguments destinés aux décideurs (ils ont fait leurs calculs) mais le problème est que, pour être vraiment intéressant, ça demande une certaine quantité de lancements pour garder actif au moins une chaine de production de lanceur (et l’expertise qui va avec) en plus d’une chaine qui remet en état de vol les lanceurs usagés.



Le problème est que SpaceX a pris une telle avance et est tellement moins cher que Ariane n’a presque plus de clients à part les clients institutionnels européens, ça ne fait pas assez de vols pour rendre intéressant la réutilisation.



wagaf a dit:


Le problème est que SpaceX a pris une telle avance et est tellement moins cher que Ariane n’a presque plus de clients à part les clients institutionnels européens, ça ne fait pas assez de vols pour rendre intéressant la réutilisation.



Pour rappel, Amazon a signé un contrat historique de 18 lancements avec Arianegroup




:bravo:


Le problème est aussi la mise à la retraite d’Ariane 5 et le retard d’Ariane 6, ce qui laisse un boulevard à SpaceX pour les lancements.



Exemple chez Eutelsat: les 5 prochains satellites seront tous lancés par SpaceX d’ici la mi-2023 :craint:


On a déjà un retour d’expérience sur le réutilisable : la Navette Spatiale…
Et les résultats sont, de ce que j’ai compris, mitigés : le programme était très cher, un lancement de navette était encore plus cher qu’Ariane 5.



SpaceX peut aussi faire de la com : Elon Musk est bon à ce jeu-là, mais on a aucune info sur le coût réel et l’efficacité. Par contre c’est joli à voir, un atterrissage d’étage.



À noter que l’on a déjà testé la récupération des EAP d’Ariane 5 (mais en 1998, un peu avant SpaceX du coup): on les laissait tomber et on allait les repêcher, tout simplement : http://252fwww.capcomespace.net/dossiers/espace_europeen/ariane/ariane5/recup_EAP.htm (je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite)



Sachant que sur SpaceX, pareil, on ne récupère que le 1er étage (sauf erreur de ma part) : le reste brûle dans l’atmosphère.


La navette spatiale était basée sur des technologies des années 70…. SpaceX a grosso modo finalisé la mise au point de ses lanceurs en 2015-216 soit 40 ans d’écart technologique et maintenant ils arrivent à récupérer la coiffe qui apparemment coûte une blinde. SpaceX ne divulgue pas les coûts de remise en état de ses lanceurs, ce qui est tout à fait normal, peu de boîtes vont détailler publiquement le coût de fabrication des produits qu’ils vendent. Et bon, ça fait maintenant des années que SpaceX maîtrise la récupération des lanceurs. Si ça coûtait plus cher de remettre en état que de jeter la fusée, je pense pas qu’ils lanceraient 14 fois de suite la même fusée. Ils sont quand même là pour gagner de l’argent, pas couler la boîte…



xouboudou a dit:


Amazon a signé un contrat historique de 18 lancements avec Arianegroup




La seule raison est que Bezos est en competition avec Musk (à la fois personnellement et spécifiquement pour ce projet de constellation) donc refusait de passer par SpaceX, qui aurait été la solution la moins chère.




Totoroot a dit:


On a déjà un retour d’expérience sur le réutilisable : la Navette Spatiale…




La comparaison du Falcon 9 et du modèle de SpaceX avec la Navette Spatiale n’a simplement pas de sens… c’est les mêmes éléments de language utilisés par les dirigeants d’Arianespace pour justifier de ne rien faire depuis que SpaceX existe. Aujourd’hui plus personne n’ose cette comparaison (étant donné que SpaceX a démontré la supériorité du réutilisable au delà de tout doute raisonnable) mais les arguments sont restés dans l’esprit du public français.



Erwan123 a dit:


pas couler la boîte…




Elon Musk disait pourtant que SpaceX était au bord de la faillite fin-2021 (https://www.presse-citron.net/spacex-est-au-bord-de-la-faillite-a-en-croire-elon-musk/). Après, quelle est la part de vrai ou de faux là-dedans, on ne peut pas savoir. Elon Musk est un communiquant.


Tiens je savais pas. Pourtant ils ont un carnet de commandes monstrueux…. Peut-être que Starlink leur “coûte un pognon fou “. Ça serait pas la première fois qu’un projet de constellation de satellites Internet se plante (iridium, teledesic, globalstar,…). En tout cas c’est vrai qu’il peut dire ce qu’il veut car SpaceX est une société privée non côtée publiquement sur le marché. (le capital est fermé et ne sera jamais ouvert au public car fait partie des domaines sensibles pour la sécurité du pays). À ce titre, ils ont le droit de ne pas divulguer publiquement bilans comptables et compte de résultat…


Erwan123

Tiens je savais pas. Pourtant ils ont un carnet de commandes monstrueux…. Peut-être que Starlink leur “coûte un pognon fou “. Ça serait pas la première fois qu’un projet de constellation de satellites Internet se plante (iridium, teledesic, globalstar,…). En tout cas c’est vrai qu’il peut dire ce qu’il veut car SpaceX est une société privée non côtée publiquement sur le marché. (le capital est fermé et ne sera jamais ouvert au public car fait partie des domaines sensibles pour la sécurité du pays). À ce titre, ils ont le droit de ne pas divulguer publiquement bilans comptables et compte de résultat…


Les Falcons sont devenues une technologie mature… qui rapporte visiblement. Du coup, oui en effet, les projets Starship et ses problèmes de Raptor et la galaxie Starlink leur coûte de l’argent. On appelle cela de l’investissement. Ah oui c’est vrai, c’est devenu un gros mot en Europe !


J’ai lu l’article que tu mentionnais et j’adore cette phrase : “
ces derniers mois, SpaceX a buté sur de gros problèmes de production de ses moteurs Raptor. A en croire l’entrepreneur, ces soucis était la conséquence des choix d’une équipe managériale qui a depuis été remplacée.”.



Ben il est pas CEO le Elon ? Il doit bien un peu regarder ce qui passe dans sa boite… ? Un peu facile in fine de virer toute l’équipe et dire que c’était tout de leurs faute à eux, mais moi on m’avait rien dit… De toute façon, le gouvernement US ne laissera jamais tomber une boîte pareille avec tout le savoir faire et l’accès à l’ISS, parce que s’il fallait compter que sur Boeing, pas sûr qu’il y aurait tant de candidats au suicide…



wagaf a dit:



La comparaison du Falcon 9 et du modèle de SpaceX avec la Navette Spatiale n’a simplement pas de sens… c’est les mêmes éléments de language utilisés par les dirigeants d’Arianespace pour justifier de ne rien faire depuis que SpaceX existe. Aujourd’hui plus personne n’ose cette comparaison (étant donné que SpaceX a démontré la supériorité du réutilisable au delà de tout doute raisonnable) mais les arguments sont restés dans l’esprit du public français.




Je plussoie. Cette histoire sur le réutilisable en Europe est une régurgitation jusqu’à l’absurde “d’éléments de langages” idiots provenant d’organismes spatiaux européens qui sont restés dans leur zone de confort du fait de l’hégémonie passée d’Ariane 5 (qui date de quand, rappelez-moi déjà ? ) et n’ont pas su avancer/évoluer et voir que le monde faisait ainsi… Et sont restés à la traîne.



Il faut savoir un jour reconnaître ses erreurs et qu’on s’est planté lamentablement. Là, c’est le cas !



SpaceX, même en faisant des échecs réguliers, apprend de ses échecs, et ce très rapidement. Ils appliquent des méthodes agiles même si a priori je n’aurais pas pensé faire ainsi. Notre temps de cycle d’ingénierie est bien plus long. Hélas ! On ne boxe plus dans la même catégorie.


Et d’ailleurs y’a 2 députés qui l’ont eu bien mauvaise…. Rédacteurs d’un rapport dans les années 2011-2012 sur l’avenir du spatial en Europe au sein d’une commission de l’Assemblée Nationale, ils mentionnaient déjà la piste du ré-utilisable, le CNES et ArianeEspace s’étaient bien assis sur le rapport à l’époque. Et je me rappelle que le directeur du CNES en 2018-2019 durant une conférence avait enfin fini par admettre que ce rapport avait mis en avant la voie que l’Europe devait finalement suivre… Juste 10 ans de perdu… Pas grave, les États mettront encore plus la main à la poche pour éviter un naufrage…


En effet en caricaturant ils ont un peu emprunté à la méthode des Shadoks. Les savants Shadocks avaient calculé que la fusée Shadock avait une chance sur 1 million de réussir. Les Shadocks ont donc effectué 1 million de lancements….
J’avais vu un reportage sur l’histoire de SpaceX, ça a été très chaud en 2014-2015….Après les 2 premiers lancements, tous les 2 des échecs au décollage , il restait juste assez de cash pour un dernier et ultime lancement et après c’était la clé sous la porte si ça foire encore. Miracle !! ce lanceur a performé admirablement, et depuis ce 3ieme essai, ils ont enchaîné succès sur succès et prouesse sur prouesse… Le Q bordé de nouilles le Elon sur ce coup là….