Le satellite Microscope a tenu ses promesses en améliorant d’un facteur 100 la précision de mesure sur le principe d’équivalence (ou universalité de la chute libre). Au final, rien ne change dans nos connaissances et c’est une « nouvelle victoire pour la Relativité générale d’Einstein ».
Microscope (MICROSatellite à traînée Compensée pour l'Observation du Principe d'Équivalence) est une mission du CNES placée en orbite en 2016, à bord d'une fusée Soyouz. En 2018, le satellite était en fin de vie : ses réserves de gaz étaient à sec, les dernières mesures ont été effectuées en octobre.
Microscope : 2,5 ans de mission scientifique, 25 ans de désorbitage
Il est alors entré dans une (très) longue phase de désorbitage : « Il faut vider et neutraliser ses sources d’énergie, pour éviter tout risque d’explosion… et la création de débris » expliquait alors le Centre national d'études spatiales. Deux grandes voiles viennent augmenter la surface de frottement afin de faire redescendre petit à petit le satellite, jusqu’à sa désintégration dans l’atmosphère.
Une longue opération qui prendra environ… 25 ans. Un délai conforme à la « Loi sur les Opérations Spatiales » nous précisait le CNES.
10 x 10 = 100, le compte est bon
En décembre 2017, les premiers résultats très encourageants sont tombés. Microscope a permis de vérifier le principe d'équivalence de la chute libre avec une précision de 2x10⁻¹⁴ (soit 14 chiffres après la virgule), et ce « après avoir analysé seulement 10 % des données acquises ».
C’est une amélioration d’un facteur 10 par rapport aux précédentes expériences. Aujourd’hui, rebelote avec de nouveau un facteur 10, soit un facteur 100 sur l’ensemble de la mission.
Le principe d'équivalence pour les nuls
Vous vous demandez peut-être ce qu’est ce principe d'équivalence de la chute libre ? Le CNRS rappelle qu’il s’agit de rien de moins qu’un « pilier de la théorie de la relativité générale » d’Albert Einstein, qui « postule que tous les objets tombent de la même façon dans le vide ».
Ainsi, dans le vide – ce « détail » est très important – une boule de bowling et une plume tomberont exactement à la même vitesse ! C’est complètement contre-intuitif, notamment car nous vivons dans un monde qui n’est pas vide et dans lequel ce principe ne peut donc pas s’appliquer. L’air qui nous entoure n’est pas vide (il est composé à environ 78 % d’azote, 21 % d’oxygène et 1 % d’argon), contrairement au vide spatial.
Pour s’en rendre compte visuellement, il existe une célèbre démonstration visuelle réalisée par Brian Cox (BBC). Dans une immense chambre sous vide, les deux objets dont nous venons de parler sont lâchés en même temps et… arrivent en même temps au sol. Si vous ne l’avez jamais vue, prenez 5 minutes pour la regarder.
Bien évidemment cette expérience n’apporte pas de preuve. Les scientifiques ne cherchent d’ailleurs pas tant à prouver le principe d’équivalence (comment le faire ?) qu’à trouver un contre-exemple. La moindre brèche permettrait de le mettre à mal. Or, les implications découlant du principe d’équivalence sont gigantesques, rappelle le CNRS : « tester le principe d’équivalence revient à tester la fondation de toutes les théories de la gravitation et plus généralement des théories alternatives à la relativité ».
Pourquoi s’acharner à tester ce principe d’équivalence ?
L’ONERA et le CNRS expliquent que la Relativité générale a permis des progrès importants dans notre compréhension de l’Univers : « expliquer l’anomalie jusque-là insoluble de l’orbite de Mercure, prévoir des phénomènes aussi surprenants que les lentilles gravitationnelles, les trous noirs ou les ondes gravitationnelles ». Mais les scientifiques sont confrontés à un problème de taille : la « Relativité générale semble incompatible avec la théorie quantique des champs qui décrit fidèlement le monde des particules et de l’infiniment petit ».
Deux théories incompatibles qui décrivent deux choses auxquelles nous sommes confrontés, et qui marchent chacune parfaitement bien dans leur domaine respectif. Les chercheurs sont donc à la recherche du Graal qui prendrait la forme d’une « théorie universelle », fonctionnant à la fois pour la gravitation et pour la physique quantique. Or, « la plupart des théories candidates prédisent une violation du principe fondateur de la Relativité générale ».
Violer le principe d’équivalence reviendrait donc à ouvrir une brèche dans la relativité générale d’Einstein (excusez du peu…) et ainsi une voie royale à d’autres théories. Nous nous étions entrevus avec Thibault Damour (médaille d'or du CNRS pour ses travaux sur les ondes gravitationnelles et professeur permanent à l'Institut des Hautes Études Scientifiques) sur les implications d’une telle découverte.
Après 400 ans d’analyses, le principe résiste encore et toujours
Nous n’en sommes pas là, loin de la même. Depuis plus de 400 ans, les scientifiques multiplient les expériences pour mettre à mal ce principe d’équivalence, sans succès. Microscope l’a d’ailleurs confirmé en 2017 avec une précision inégalée de 2x10⁻¹⁴
Depuis, 15 fois plus de mesures ont été accumulées par les scientifiques jusqu’à la désorbitation du satellite débutée en 2018 : « L’équipe scientifique a analysé la totalité des données et a réussi à repousser encore les limites du test en faisant 10 fois mieux qu’en 2017 ». La précision est désormais de 10⁻¹⁵.
Cela signifie que, « en comparant les accélérations de chute libre de deux corps de compositions différentes, les équipes en charge de Microscope démontrent que leur écart relatif est inférieur à quelques 10⁻¹⁵ ». C’est donc « une nouvelle victoire de la Relativité générale proposée par Albert Einstein il y a plus d’un siècle ».
C’était la précision espérée lors du lancement de la mission et, à titre de comparaison, cela reviendrait à comparer le poids d'une mouche à celui de la pyramide de Khéops… Au final, Microscope a donc amélioré d’un facteur 100 la précision du test du principe d’équivalence (10 fois en 2017 et de nouveau 10 fois en 2022).
73 millions de km de chute libre, sans différence notable
Durant les deux ans et demi d’exploitation scientifique du satellite, les instruments ont permis de comparer la « chute libre » de deux matériaux (platine et titane), sur 1 642 révolutions autour de la Terre, soit 73 millions de km. C’est comme si on avait réalisé l’expérience avec la boule de bowling et la plume sur environ la moitié de la distance entre notre Terre et le Soleil.
Même si c’est la fin de la mission pour Microscope, cela ne prouve pas que le principe d’équivalence soit vrai ou faux. Il pourrait être violé à une précision supérieure à 10⁻¹⁵ ou simplement dépendre de paramètres que Microscope ne pourraient pas prendre en compte à cause de sa conception, même avec toute la bonne volonté du monde.
« Ici on parle de violation à grande distance, à longue portée. Mais il est tout à fait possible qu'il n'y ait pas de violation à grande distance » : la violation du principe d'équivalence pourrait être « exponentiellement décroissante avec la distance », nous expliquait Thibault Damour. « Je suis convaincu qu'il y a des violations du principe d'équivalence, mais elles se font en dessous du micron », concluait-il. Microscope pourrait tourner des dizaines d’années que cela ne changerait rien.
Et même si le principe d’équivalence était violé à longue portée il faudrait améliorer la précision des mesures… indéfiniment ? « Je pense que s'il n'y avait rien à 10^-18, alors là il faudrait abandonner les choses », nous expliquait le chercheur… soit un facteur 1 000 par rapport à feu Microscope.