Pornhub, trouble-fête du blocage des sites pornos voulu par l'Arcom

L’Arcom d‘habitude
Droit 11 min
Pornhub, trouble-fête du blocage des sites pornos voulu par l'Arcom
Crédits : Robin2b/iStock

Une première en France. Au tribunal judiciaire ce matin, l’Arcom est venue plaider le blocage de Pornhub, TuKif, xHamster, xnxx et xVideos, cinq des mastodontes du secteur. Compte rendu d’audience qui s’est concentrée sur la question prioritaire de constitutionnalité sollicitée par Pornhub.

Faut-il bloquer ces principaux sites pornographiques ? Voilà la question qui s’est invitée au tribunal judiciaire de Paris depuis ce matin. 

Les graines de ce dossier se trouvent dans des mises en demeure adressées par l’Arcom à chacun de ces sites pornos. Après avoir réclamé vainement l’installation d’un contrôle d’âge sur leur page d’accueil, l’autorité a assigné les principaux FAI français.

Celle qui est née de la fusion de la Hadopi et du CSA souhaite en effet que Orange, Orange Caraïbe, Free, Free Mobile, SFR et SFR Fibre, Bouygues Télécom, Colt Technologies Services, et Outre-Mer Télécom soient enjoints de bloquer ces sites, aux frais des intermédiaires techniques et tant que l’infraction perdurera.

L’infraction ? Le Code pénal, à l’article 227-24, interdit de laisser accessible aux mineurs des contenus pornographiques. Et la loi contre les violences conjugales est venue préciser en 2020 que cette interdiction resterait désormais de mise lorsque le site se contente d’un « disclaimer d’âge ». Ces fenêtres où l’internaute jure être majeur.

Une première dans l’histoire de la régulation du X

Cette phase judiciaire qui s’est ouverte ce matin dépasse allègrement la rubrique des « faits divers ». Déjà, elle est une première dans le cadre des nouveaux pouvoirs dévolus à l’Arcom. On se trouve à l’aube d’une industrialisation de ces procédures.

D’ailleurs, en avril 2022, RedTube et YouPorn ont eux aussi été mis en cause par le président de l’Arcom. Même sort pour quatre sites Jacquie et Michel, pas plus tard qu’en juillet 2022. Et dernièrement, OPEN, l’UNAF et d’autres associations de protection de l’enfance ont même réclamé le blocage de Twitter, en raison de la présence de contenus pornos noyés dans bien d’autres tweets.

Une action avait certes déjà été menée en 2021 à l’initiative de la Voix de l’Enfant et e-Enfance contre plusieurs grands noms du X, mais elle reposait sur des instruments juridiques plus classiques. Des leviers de droit commun qui se sont révélés tous bien vains : le juge des référés comme le juge d’appel, ont mis fin à cette tentative, notamment pour des questions de proportionnalité.  

Plus largement, la question du contrôle d’âge se posera tôt ou tard dans le cadre de la conformité au RGPD. Le règlement européen de 2018 autorise en effet les jeunes à consentir seul à l’exploitation de leurs données à caractère personnel, mais qu’à partir d’un seuil, fixé à 15 ans en France. Dit autrement, les solutions qui surgiront un jour de l’univers du X pourraient inspirer d’autres galaxies, bien plus vastes.

En attendant, dans l’assignation adressée aux FAI par l’Arcom, et révélée par nos soins, le président Roch-Olivier Maistre a constaté qu’aucun des cinq sites mis en cause n’avait mis en place une solution de contrôle d’âge satisfaisante, malgré les mises en demeure adressées fin 2021.

À réception, Tukif a bien opté pour la solution « AgeVerif », mais son caractère facultatif n’a pas séduit l’autorité indépendante…

Pour les avocats de l’Arcom, ces sites restent donc accessibles aux mineurs, se contentent d’une déclaration d’âge et diffusent des contenus pour adultes. « Il suffit de se reporter aux différents constats d’huissiers pour réaliser que les sites […] diffusent un message à caractère pornographique ».

Cette succession de conditions vérifiées devait entraîner mécaniquement une injonction de bloquer. Sauf que ce matin, le plan ne s’est pas déroulé tout à fait comme le rêvait l’Arcom.

Pornhub réclame une question prioritaire de constitutionnalité

Par une « intervention volontaire », les sites mis en cause se sont invités à la table de l’audience, quand l’autorité espérait n’avoir en face d’elle que les FAI.

Surtout, parmi ces sites, Pornhub a déposé une demande de question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Démarche de l’éditeur MindGeek que nous avions déjà révélée en mai 2022. « On peut considérer tout de même que nous avons un petit intérêt à agir » a plaidé Me Elsa Rodrigues, avocate de la société basée à Chypre.

En introduction de sa QPC, elle a rappelé que les conditions générales d’utilisation de Pornhub sont claires : les contenus sont réservés aux adultes. Et le bouton déclaratif, même s’il ne vaut plus rien, témoigne de cette volonté.

Ce site, assure-t-elle, aurait même activement recherché une solution qui puisse satisfaire le volet technique et le volet juridique de la législation française, cependant, « aucune ne s’est révélée satisfaisante ».

Des débats parlementaires et un décret peu inspirants

Le cœur du problème est en effet là. Comment réserver un site porno aux yeux des seuls majeurs ? Les espoirs se concentraient sur le décret d’application relatif à la procédure de blocage, mais il n’a pas été d’une grande aide.

À peine se contente-t-il d’inviter l’Arcom à se rapprocher de la CNIL et de l’Arcep pour définir de vagues lignes directrices. Un peu maigre, puisque ces travaux patinent depuis des mois.

Les débats parlementaires ne sont pas plus inspirants. La rapporteure LREM Bérangère Couillard n’avait donné aucune piste technique à l’Assemblée nationale, laissant aux éditeurs « la liberté des moyens ». Avec cette pirouette, à eux de se débrouiller pour s’assurer que derrière une adresse IP se cache un majeur désireux de consulter des sites pornos.

Mieux, la CNIL est entrée dans la danse, pour rappeler que l’exercice devait aussi respecter le sacro-saint RGPD. En effet, les informations nominatives associées aux sites X sont classées parmi les données « sensibles », puisque révélatrices des orientations sexuelles. Impossible par exemple de réclamer une pièce d’identité, de tenter de deviner l’âge avec une caméra couplée à une IA.

Quant à la solution de la carte de paiement, elle s’est révélée trop faiblarde pour l’Arcom puisqu’un mineur peut en disposer. Cette piste avait pourtant été défendue durant les travaux parlementaires au Sénat. Ambiance…

Que ce soit dans un avis rendu à l’occasion du décret d’application, révélé par nos soins, ou dans un dossier dédié, la CNIL a également conclu qu’il n’y avait aucune solution satisfaisante sur le marché. 

De ses travaux menés avec le PEReN et Olivier Blazy, professeur à l’École polytechnique, n’est ressorti qu’un « POC ». Une preuve de concept non encore opérationnelle, reposant sur un système théorique de tiers de confiance. « La CNIL, comme nous, réclame une coopération pour travailler sur le sujet » embraye l’avocate de Pornhub, qui aurait apprécié que l’Arcom ouvre ses portes aux éditeurs pour discuter d’une solution acceptable.

Au lieu et place, ces éditeurs ont été mis en demeure de trouver en 15 jours une solution que l’industrie comme la CNIL peinent à définir. « Ce n’est pas qu’on ne veut pas, on ne peut pas ! » s’est exclamée l’avocate de Pornhub. « Le président  de l’Arcom a décidé de vous saisir, sans répondre à notre proposition de coopération ! »

Pas d’autres choix qu’une QPC, selon Pornhub

« Nous avons une mise en demeure de nous conformer à la loi mais sans savoir comment. On n’a pas de solution (…) La question déposée est donc très sérieuse puisqu’il est important que le Conseil constitutionnel nous dise si les textes sont ou non conformes ».

Selon l’éditeur, le dépôt de sa QPC ne serait donc en rien dilatoire. « Nous n’avons pas le choix, ce dossier pose de vraies questions. On est dans une impossibilité totale de faire quoi que ce soit sauf à se laisser condamner ».

Une « condamnation » un peu particulière puisqu’elle prend la forme d’une mesure conservatoire : un blocage d’accès chez l’ensemble des principaux fournisseurs d’accès, tant que les sites n’auront pas trouvé le fameux sésame.

L’éditeur dénonce plusieurs indélicatesses : une atteinte au principe de légalité des délits et des peines, avec une infraction pas assez définie. Il y aurait par ailleurs une atteinte aux libertés d’expression et de communication.

Autant d’ingérences non « nécessaires » dans les droits fondamentaux, alors qu’existent des solutions moins intrusives afin de contrôler l’accès aux quatre millions de sites X qui seraient accessibles en France.

En guise de solutions moins intrusives, elle a vanté la loi Studer, entrée en vigueur pas plus tard qu’hier. Cette loi impose l’installation d’un contrôle parental sur l’ensemble des écrans connectés, plutôt qu’un contrôle au cœur de chaque site.

D’ailleurs, souligne opportunément l’avocate de Pornhub, l’amendement qui avait introduit la procédure de blocage avait justement été motivé par les retards pris en matière de contrôle parental… Maintenant que ce contrôle est activé, pourquoi bloquer ?

Pornhub estime qu’en cas de blocage, les internautes iront piocher des contenus X ailleurs ou contourneront le verrouillage avec un VPN. « Il y a quatre millions de sites X répertoriés en France. Qu’on ne vienne pas nous dire que l’autorité va pouvoir agir contre tous ces acteurs, sans compter les sites miroirs ! »

Pour l’Arcom, les conditions de la QPC non réunies

« Sur ces sites si vertueux, on trouve des catégories comme "domination féminine", "hardcore", "sexe violent" » rétorquent les avocats de l’Arcom, qui ont souligné en chœur la nécessité de protéger les mineurs à l’aide de cette législation vielle de 30 ans, mise à jour en 2020. Des textes nés du temps du minitel, rappelle Me Alexandre Archambault sur Twitter.  

Aux antipodes de Pornhub, ces avocats du cabinet Boken considèrent les conditions de la QPC non remplies. Sans plonger dans tous les détails juridiques, ils nient l’existence d’une atteinte au principe de légalité des délits et des peines. Les textes seraient parfaitement clairs. La preuve, en 2016, la Cour de cassation l’avait déjà jugé ainsi.

Pour l’autorité, « ce n’est pas au législateur de fixer dans une énumération à la Prévert tous les comportements imaginables qu’une personne est susceptible d’inventer. Ce n’est pas un texte arbitraire ». 

 « Je considère que la loi est rédigée dans des termes suffisamment clairs pour éviter tout risque d’arbitraire […]. Le législateur n’a pas à déterminer comment doit avoir lieu l’interdiction de laisser accessibles aux mineurs des sites pornos », a enchaîné le ministère public, sur la même veine.

Une médiation avant la QPC ?

Aux termes de cette première audience, Fabrice Vert, premier vice-président du tribunal judiciaire, a relevé que, pour l’instant, aucune procédure pénale contre les sites pornos n’avait été engagée.

Une remarque innocente ? Ce magistrat avait déjà épinglé la procédure initiée par e-Enfance et la Voix de l’enfant voilà quelques mois, où ces deux associations avaient préféré agir contre les fournisseurs d’accès plutôt que de mettre en cause directement les strates inférieures, en particulier les éditeurs des sites X. Cet empressement avait fait tomber toute la procédure.  

Avant l’examen de la demande de QPC, fixé au 4 octobre prochain, le tribunal envisage de prendre une injonction de rencontrer un médiateur. Décision qui tombera ce jeudi. L’idée ? Que tous les acteurs impliqués se mettent autour d’une table « avec un tiers indépendant, impartial et compétent ».

Avantage de cette procédure ? Tenter de trouver un accord, auditionner des sachants, « comme la CNIL ». Une piste qui « pourrait être profitable pour l’ensemble du débat », considère Fabrice Vert. « Tout le monde est impatient de trouver une solution à cette question importante de société ». Il a même suggéré quelques noms pour orchestrer cette procédure alternative, comme le Pr Bruno Deffains, le Pr Thibault Douville ou Me Christiane Féral-Schuhl.

Ce dernier nom n’a pas convaincu l’avocat de Free qui plaide ce même jour contre Canal+, défendu par cette avocate… L’idée même d’une médiation questionne le FAI dont le rôle est de transférer des informations dans les tuyaux : « Free peut pas s’asseoir autour d’une table pour aménager quelque chose. C’est ON ou OFF ».

Même moue dubitative de l’Arcom. « Nous sommes un régulateur. Notre rôle n’est pas d’animer des ateliers pour donner des clefs aux sites pornos ».

L’autorité reste campée sur ses ergots : aux sites de trouver le meilleur moyen de contrôler l’âge d’un internaute et à l’autorité de la valider, ou la rejeter. « À l’occasion de cette médiation, imaginons que nous trouvions une méthode. Le problème est qu’il y a peut-être quatre millions de sites X. Si un autre acteur vient avec une autre solution, nous ne pourrons pas lui imposer notre solution. […] Il pourrait même exister autant de méthodes différentes [de contrôle d’âge, ndlr] qu’il existe de sites différents ! Il faudrait proposer une médiation à chaque fois…».

« Depuis la Révolution, je vous rappelle qu’on ne rend plus d’arrêt de règlement » a rétorqué le magistrat Fabrice Vert.

Me Alexandra Neri, avocate de Tukif, a dénoncé pour sa part la « schizophrénie » de l’Arcom, qui resterait à ses yeux trop silencieuse aux demandes des plateformes, refusant tout travail en commun sur la meilleure solution à définir. « Pourquoi ne voulez-vous pas discuter ? »

Malgré d’autres échanges nourris, la perspective d’une telle médiation ne convainc pas l’Arcom qui se drape derrière ses missions de service public. Et ses avocats d’assurer que « la porte de l’autorité est ouverte ». Affirmation qui a fait bondir les avocats des éditeurs : « Montrez-nous des minutes d’une réunion qu’on a pu avoir avec vous ! Il y a eu 17 demandes des parties. Pas une seule fois vous nous avez proposé une réunion ! ».

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