Exclusif PC INpact : Un article de la loi sur la confiance dans l’économie numérique, celle encadrant la responsabilité des intermédiaires, est une petite bombonne de gaz. Il permet à une autorité administrative de bloquer des contenus en ligne sans l’intervention préalable du juge. La députée Laure de la Raudière dépose un amendement dans le projet de loi sur la consommation pour colmater cette étrangeté.
L'amendement de Laure de la Raudière
L'article 18 de la LCEN autorise des censures au « commerce électronique » décidées par une simple autorité administrative dans un grand nombre d’hypothèses. Par exemple le risque d’atteinte au maintien de l’ordre public, à la sécurité publique, à la protection des mineurs, à la santé publique, à la défense nationale ou encore à la protection des personnes physiques « qui sont des consommateurs ou des investisseurs ». Ce n’est pas tout : le champ d’intervention de l’autorité administrative est très vaste. Il vise certes les activités commerciales telles qu'on les entend classiquement, mais aussi tout ce qui est sur le web : moteurs, hébergeurs, sites d’information publiant des documents touchant à la défense nationale, etc. La faute cette fois à l’article 14 de la LCEN, qui définit à la (très très grosse) louche la notion de « commerce électronique ».
Ce beau dispositif ne se contente pas d’être flou, de faire l’économie du juge ou d’être actionné dans toute une série d’hypothèses par une vague autorité administrative. Il renvoie aussi à un décret le soin de fixer les restrictions possibles contre les sites. Voilà du coup le gouvernement chargé de décrire les clefs de la régulation que pourrait exiger ses administrations. Belle boucle...
L'ex-projet de décret Fillon permettant le blocage
Depuis 2004, ce décret n’a jamais été diffusé. On se souvient toutefois que le gouvernement Fillon avait ébauché une version explosive. Avec elle, toute une série de ministères ou même l’ANSSI aurait pu exiger le retrait de contenus, voire d’enjoindre le titulaire d’un site à prévenir des troubles, et même exiger le blocage d’accès chez le FAI ou l’hébergeur « en cas d’atteinte ou de risque sérieux et grave d’atteinte aux intérêts » précités.
L’idée avait été accueillie à la kalachnikov par l’ex-équipe du Conseil national du numérique. Le texte depuis est tombé dans les oubliettes, mais on se souvient encore du faible enthousiame du PS. Interrogé en 2011, le député Christian Paul dénonçait la tentation de bâillonner la liberté d’expression. « C’est la tentation depuis 2002 et la LCEN : le filtrage du Net sans l’intervention de la justice. Stop ! » Fleur Pellerin, ministre déléguée au numérique, avait également soutenu en 2012 que l’actuel gouvernement refuserait le filtrage sans juge.
Non encore diffusé, un amendement signé de la députée UMP Laure de la Raudière va contenter tout ce beau monde. Il vise à supprimer ce funeste article 18 qui ouvre la possibilité d’un blocage d’accès sans intervention du juge. La parlementaire évoque « un souci de simplification et d’allègement législatif ». Mais elle vise surtout ses travaux menés en commun avec la socialiste Corine Erhel. « Il parait utile, afin de garantir les libertés individuelles de supprimer cet article, pris en 2004, dans un contexte d’utilisation d’Internet différent de celui d’aujourd’hui. Il faut s’assurer qu’une décision de justice puisse avoir lieu avant toute mesure de filtrage d’Internet. » La balle est dans le camp de l'actuelle majorité, qui pourra décider du sort de ce texte au cours des débats sur le projet de loi sur la consommation.