Florilège des brouillages d'ondes plus ou moins volontaires

Qu'est-ce que j'peux ANFR...
Droit 7 min
Florilège des brouillages d'ondes plus ou moins volontaires
Crédits : ANFR

Pour fêter ses 25 ans, l'Agence nationale des fréquences (ANFR) publie un recueil de 146 pages détaillant « 25 de ses enquêtes les plus marquantes menées en ville, en montagne, à la campagne et même en pleine mer » en matière de brouillages d'ondes. Petit florilège, en trois parties.

La « Gardienne du spectre » y rappelle que sa mission de contrôle « vise à garantir la continuité des applications étatiques, économiques et sociétales qui en dépendent ».

« Le brouillage est une menace tout aussi critique qu’une attaque informatique. En effet, le brouillage d’une bande de fréquences entrave, voire empêche toutes les utilisations de cette bande dans un périmètre donné. Selon les services concernés, les brouillages peuvent engendrer des situations dangereuses ou économiquement pénalisantes. »

Or, qu'ils soient intentionnels ou non, le nombre de brouillages est en augmentation. Alors que l'ANFR en répertoriait en moyenne 1 800 par an, plus de 3 000 ont été résolus en 2021.

L'objectif du recueil est dès lors de « faire prendre conscience des multiples cas de brouillages, parfois insolites, que nos agents traitent au quotidien sur le terrain », de manière pédagogique : « Tout le monde utilise des fréquences et chacun doit le faire en ayant conscience des règles à respecter ». 

Et ce, qu'il s'agisse de TNT, téléphonie mobile, systèmes de prévisions météorologiques, radio ou réseaux de communication de la police et de la gendarmerie, des pompiers, des flottes de satellites, applications industrielles 4.0 ou encore du signal GPS. C'est également le cas sur les bandes dites libres.

Une série de retours d'expérience (RETEX) qui se lit comme un polar et que nous avons « binge-watchés » comme s'il s'agissait d'une série télé. Spoiler alert : si vous êtes vraiment passionné par les technologies en général, les ondes ou la notion de « feature creep » en particulier, ne lisez pas ce qui suit ; privilégiez l'original.

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Il oublie d'éteindre son brouilleur, et paralyse un aéroport

 La première enquête revient sur la tour de contrôle de l'aéroport de Nantes-Atlantique où tous les avions ont été cloués au sol, faute de parvenir à initialiser leurs coordonnées GPS. Deux agents habilités et assermentés de l'ANFR identifièrent assez rapidement une émission caractéristique d’un brouilleur GPS provenant d'une voiture.

Or, « un appareil comme celui-ci, aussi anodin qu’il puisse paraître, peut brouiller les signaux GPS jusqu’à environ 2 km en altitude et 500 mètres sur le plan horizontal ! [...] Les signaux GPS reçus de satellites situés à plus de 20 000 km de la Terre sont en effet extrêmement faibles et de fait, "vulnérables" face à ces brouilleurs. Les effets collatéraux peuvent ainsi avoir des conséquences sérieuses voire dramatiques. »

Le propriétaire du véhicule, en voyage à l'étranger, avoua sans peine avoir oublié de désactiver le brouilleur, « de type allume-cigare », avant de s'envoler. Il s'en servait pour empêcher son employeur de pouvoir le localiser grâce au tracker que ce dernier avait lui-même déployé dans sa flotte de véhicules professionnels.

Convoqué au tribunal, le propriétaire du brouilleur, qui était passible de 6 mois d'emprisonnement et 30 000 euros d'amendes (l'utilisation de brouilleurs est interdite en France, et réservée aux seules autorités habilitées), fut condamné à payer 2 000 euros, plus 450 euros de taxe administrative afin de compenser les frais d'intervention des agents de l'ANFR.

À l'aéroport de Marignane, lui aussi victime d'un brouillage des fréquences GNSS (GPS, Galileo, Glonass ou Beidu), l'ANFR explique avoir eu recours à un « véhicule hérisson », du surnom donné aux véhicules laboratoires dotés d'équipements de mesure (récepteurs et analyseurs de spectre) et surmontés d'antennes directives, omnidirectionnelles ou radiogoniométriques sous forme de galette, ainsi que d'un mât télescopique déployable jusqu'à 10 mètres de hauteur.

Le brouilleur était cette fois « dissimulé sous la forme d’une simple clé USB, d’apparence totalement inoffensive ». « Son propriétaire pensait avoir trouvé la clé de l’invisibilité ; sur la carte de son patron, il avait bel et bien disparu ; mais aux yeux de l’ANFR, il était soudain devenu... éblouissant ! Il a été mis en garde à vue et devra répondre de ses actes devant la justice ».

24 antennes brouillées, 6 policiers cagoulés et armés

Les enquêtes de l'ANFR prennent parfois un tournant rocambolesque, ou pathétique. Saisie par deux opérateurs de téléphonie mobiles dont 24 antennes relais voyaient leurs fréquences UMTS 900 (3G) et LTE 800 (4G) brouillées, elle dépêcha deux enquêteurs pour identifier la source du brouillage, « ce qui s’apparente, dans cette ville de plus de 140 000 habitants, à chercher une aiguille dans une botte de foin ! ».

Remontant jusqu'à une cité densément peuplée, ils parvinrent d'abord à identifier la signature spectrale à l'origine du trouble : un « brouilleur multibande » de téléphonie mobile, affectant tout autant la téléphonie mobile que le Wi-Fi ou le GPS.

Le quartier étant réputé sensible, et ne sachant si le brouilleur avait vocation à masquer des activités criminelles, les enquêteurs de l'ANFR firent appel, après contact avec le procureur, à la brigade de recherche et d’intervention (BRI), comme le narre l'un de ses enquêteurs : 

« Six policiers de la BRI, cagoulés, casqués et armés de fusils d’assaut, nous rejoignent. Ils ont également le nécessaire pour faire sauter la porte (un vérin ainsi qu’une bonbonne d’air comprimé). En complément, trois policiers en tenue sont en bas de l’immeuble pour sécuriser les véhicules et éloigner les badauds.

Un policier frappe à la porte, une dame ouvre... La BRI investit l’appartement, tout va très vite. Après un contrôle des occupants, nous pénétrons les lieux et cherchons le brouilleur. Il s’agit d’un brouilleur multibande, installé dans un tiroir de meuble TV. »

Interrogé, son propriétaire « assura qu’il ne l’avait mis en œuvre que pour empêcher les voisins de se connecter en Wi-Fi sur la box de son appartement [...] Avait-il pensé à utiliser un mot de passe ou à connecter ses propres appareils par câble ? Car il avait potentiellement transformé tout son quartier en zone blanche, qu’il s’agisse de Wi-Fi, de GPS ou de mobile... »

Un village avait pareillement vu ses services de téléphonie et d'Internet être systématiquement brouillés, mais de minuit à 3h du matin seulement, et ce tous les jours de la semaine.

Le responsable était rapidement identifié : un père de famille qui, pensant bien faire, voulait ainsi empêcher ses ados, accros aux réseaux sociaux, de se connecter à Internet au lieu de dormir : « Après avoir consulté des forums sur internet, le père avait jugé qu’un brouilleur était la meilleure solution pour mettre fin à ces excès ! »

L'ANFR en profite pour rappeler que ce type de brouilleurs, qui « écrasent » les signaux utiles, est également utilisé lors de cambriolages pour neutraliser les alarmes sans fil, brouiller les clés électroniques et de localisation de voitures de luxes ou de camions transportant des marchandises de valeur.

La téléphonie mobile, c'est un métier

Certains brouillages sont, a contrario, dus à la mauvaise installation d'équipements destinés à amplifier la réception des signaux.

La bande de fréquences 900 MHz du réseau d'un opérateur mobile avait ainsi été brouillée parce que le gérant d'une PME avait installé un répéteur de téléphonie mobile, « sans autorisation des opérateurs concernés », pour « améliorer, selon lui, les communications mobiles à l’intérieur de l’entreprise ».

L'ANFR a dénombré « près de 150 brouillages » de ce type en 2018, « avec une progression exponentielle atteignant plus de 350 cas en 2021 », du fait du confinement, « qui a sur-sollicité les réseaux mobiles à l’intérieur des bâtiments ».

L'agence rappelle que le recours à ce type de répéteurs 2G, 3G, 4G ou 5G est interdit, « à moins que les opérateurs concernés aient donné leur accord ». En effet, dans le cas contraire cela revient à utiliser de manière illégale leurs fréquences ». De plus, même si le répéteur est correctement réglé le jour de son installation, « il ne change jamais de fréquences. Or, les opérateurs, eux, ajustent régulièrement les leurs ! Le répéteur continue à émettre imperturbablement sur les mêmes fréquences, et se transforme en brouilleur ! »

En cas de mauvaise couverture mobile à l’intérieur d’un bâtiment, l'agence recommande, pour la voix et les SMS, de passer par la voix sur Wi-Fi (VoWiFi), voire par un système d’antennes distribuées (DAS), et renvoie aux propositions « indoor » du New Deal Mobile de l'Arcep.

La seconde partie de notre florilège reviendra notamment sur la façon qu'ont les enquêteurs de l'ANFR de résoudre des énigmes a priori particulièrement complexes.

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