Pornographie : des associations de protection de l’enfance réclament le blocage de Twitter en France

Par les ailes ou les pattes ?
Droit 7 min
Pornographie : des associations de protection de l’enfance réclament le blocage de Twitter en France

Le sort de plusieurs sites pornographiques, parmi les plus « populaires », sera ausculté le 6 septembre devant le tribunal judiciaire de Paris. Sans attendre, des associations de protection de l’enfance s’attaquent avec la même base juridique aux réseaux sociaux et tout particulièrement Twitter. Elles réclament le blocage de son accès en raison de contenus pour adultes accessibles aux mineurs. 

Depuis une loi de juillet 2020, le gendarme de l’audiovisuel peut enjoindre un site X de mettre en œuvre un contrôle d'âge sur sa page d’accueil. Le texte, issu d’une proposition du groupe LREM elle-même fruit d’un plan de bataille signé Emmanuel Macron, arme l’autorité du pouvoir de saisir la justice à l'encontre de ceux qui ne respecteraient pas son injonction. 

Le 6 septembre prochain, les principaux FAI français ont justement rendez-vous au tribunal judiciaire de Paris pour une audience relative au blocage de Pornhub, Tukif, xHamster, Xnxx et Xvideo, premiers sites à éprouver cette procédure jusqu’à son terme judiciaire.

Next INpact a révélé la dernière assignation envoyée cet été à Orange, Orange Caraïbe, Free, Free Mobile, SFR et SFR Fibre, Bouygues Télécom, Colt Technologies Services et Outre-Mer Télécom.

La loi contre les violences conjugales ne s’est pas contentée d’instituer une telle procédure hybride, où une phase administrative devant le CSA (devenu ARCOM) est suivie d’une phase devant le président du tribunal judiciaire de Paris. Elle a aussi asséné un tour de vis dans le Code pénal afin de réduire en poudre la pratique des « disclaimers » d’âge.

Avant comme après la réforme de 2020, le fait de rendre accessible aux mineurs des contenus pornographiques est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Depuis ce tour de vis législatif, l’infraction reste constituée quand bien même l’accès est précédé d’une petite fenêtre où l’internaute déclare être majeur, en un clic. 

C'est ce texte, initialement taillé contre le porno, qui est désormais utilisé par plusieurs associations de protection de l’enfance pour s’attaquer à Twitter et bientôt d’autres plateformes. Dans un communiqué, elles se disent mobilisées « dans le souci de l'intérêt supérieur de l'enfant, et non dans des considérations morales ». 

Twitter jugé trop permissif

Le COFRADE (Conseil français des associations pour les droits de l'enfant) et OPEN (Observatoire de la Parentalité & de l’Éducation Numérique) avaient déjà écrit au réseau social au printemps dernier pour lui faire part de leurs préoccupations. Et pour cause, contrairement à Facebook qui a été jusqu’à censurer des œuvres d’art comme l’Origine du Monde, Twitter est bien plus permissif. Il autorise la diffusion de contenus explicites. 

« Les services de Twitter ne sont pas destinés aux enfants » précise certes le centre d’assistance du service en ligne, qui réserve la création d’un compte aux jeunes d’au moins 13 ans.

Aux utilisateurs qui veulent afficher des images de nudité, les conditions générales demandent de cocher la case « Marquer les médias que vous tweetez comme contenant des éléments pouvant être sensibles ». Cet avertissement est alors associé au contenu (vidéo, photo, image…) afin de protéger les tiers.

Les autres comptes pourront toujours voir ce message, mais seulement en confirmant ce vœu par un clic. Enfin, à de défaut de case cochée, Twitter peut identifier ce contenu comme sensible, après signalement.

Des règles qui ne satisfont pas vraiment le COFRADE, l’UNAF (Union nationale des associations familiales), OPEN, Cameleon Association, la Fondation Scelles, Respect Zone, l’ACPE (Agir contre la Prostitution des Enfants)… Toutes dénoncent des contenus qui restent accessibles aux mineurs et peuvent « influencer leur sexualité à un âge où le jeune n’a pas de recul suffisant ». Elles épinglent « la banalisation d’une sexualité violente et stéréotypée ».

Des espaces numériques sans porno

Pour Olivier Gérard (UNAF), il faut s’assurer que les espaces numériques auxquels les enfants peuvent avoir accès se retrouvent sans contenus pornographiques. Et Philippe Coen, fondateur de Respect Zone, de dénoncer « l’irresponsabilité » des plateformes vis-à-vis des contenus pornos auprès des mineurs. « Un acte de cyberviolence » selon celui qui est par ailleurs directeur juridique chez Disney.

« Le réseau social Twitter permet à ses membres de diffuser et partager largement des contenus qui nous semblent très problématiques au regard des textes en vigueur » estiment les associations. À l'index, des contenus pornographiques (dont l’accès aux mineurs est interdit) et même de la pédopornographie et de la zoopornographie. Étaient également signalés des représentations de mineur dans des dessins animés ou en dessins... 

Cet été, un courrier cosigné par l’ensemble des associations a bien été adressé à Twitter France, mais la cible a été ratée : l’antenne française leur a rappelé que le sujet relève uniquement de Twitter International, non d’une structure qui ne gère que le volet commercial. Depuis, la société basée en Irlande n'a jamais répondu aux associations françaises. 

« Pour Twitter, avoir un responsable des affaires publiques consiste donc à coller des timbres sur une enveloppe », égratigne malgré tout Thomas Rohmer, directeur de l’Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique.

La balle entre les mains du président de l'Arcom

Les associations saisissent donc aujourd’hui le président de l’Arcom pour réclamer la suspension de Twitter en France, traité comme n’importe quel site pornographique…

L’objectif ? Que le service en ligne « se mette en conformité », en faisant pression dans ses choix de modération. « Twitter est l’un des rares réseaux sociaux qui au sein même de ses conditions générales d’utilisation ne bannit pas les contenus pornographiques alors qu’ils sont strictement encadrés par la loi » :

« On attend que Twitter se mette en conformité, qu’il fasse amende honorable, et réfléchisse à une manière de mieux modérer les contenus, de mieux les surveiller. On s’étonne, au regard des diverses activités récentes, de la propension de Twitter à pouvoir bloquer certains comptes quand cela les arrange, et laisser passer ce type de contenus préjudiciables pour les enfants ».

Twitter et le contrôle parental, même combat ? 

Questionnées sur le volet technique lors d'un échange ce matin, elles imaginent une solution de détection à l’instar de celles qui peuvent exister dans l’univers du contrôle parental. « Twitter a les compétences techniques » assurent-elles.

Seul détail, le porno n’est pas illicite en lui-même et une application bornée aurait pour effet de supprimer des contenus échangés légalement entre adultes consentants. Enfin, la pédopornocriminalité ne relève pas d'une telle procédure Arcom, mais plutôt directement, avec au besoin un passage par Pharos, la plateforme qui permet de signaler ce genre de contenus. 

Le détail de la proportionnalité 

« On n’est pas dans la polémique » insiste le COFRADE, qui espère du gouvernement une grande consultation avec tous les acteurs du numérique sur la question. « On avance de manière très empirique » concède Thomas Rohmer.

Justement. La saisine du président l’ARCOM ne signifie pas suspension ou blocage assuré. Une fois saisi, il doit certes contacter l’éditeur du site pour lui adresser « une mise en demeure lui enjoignant de prendre toute mesure de nature à empêcher l'accès des mineurs au contenu incriminé ».

Le cas échéant, Twitter a 15 jours pour présenter ses observations. 

Enfin, si la plateforme ne répond pas aux attentes de l’autorité, son président retrouve une grande marge de liberté. Il peut saisir la justice aux fins de blocage, comme il peut décider de ne rien faire, afin de ne pas bloquer l’accès aux comptes de millions de personnes majeures, des ministères, d’autorités comme l’Arcom, aux comptes d’associations de défense des mineurs, ou celui de journalistes… 

arcom porno

Cette procédure montre donc rapidement ses limites : elle est taillée pour s’attaquer aux sites pornos, pas aux réseaux sociaux. Le X n’est pas le cœur de Twitter, mais à peine une artère, voire une petite veine si ce n'est un atome.

Tout comme l’arme atomique n’est pas adaptée pour lutter contre des moustiques, se pose en effet un léger problème de proportionnalité.  

« Même si les contenus sont dilués au regard de certains spécialistes du secteur que sont les tubes, la base de l’infraction nous semble être équivalente » nous répond Thomas Rohmer. « J’ose espérer qu’on n’aille pas jusqu’au blocage », indique le directeur d’Open. 

« Cette dilution des contenus peut faciliter des mises en contact de manière non souhaitées avec un effet traumatique largement démontré » renchérit le COFRADE, qui espère lui aussi que les grondements de l’autorité administrative pousseront Twitter à se mettre en conformité avec la loi française. 

Elles ont en tout cas prudemment évité la voie directe qu’avait emprunté e-Enfance et la Voix de l’Enfant à l’encontre de plusieurs sites pour adultes. Une procédure qui avait échoué aussi bien devant le juges des référés qu’en appel, notamment pour des questions de proportionnalité.

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