La Sacem, l’hébergement touristique, la location de véhicules et l'hôtellerie

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Droit 6 min
La Sacem, l’hébergement touristique, la location de véhicules et l'hôtellerie
Crédits : Marc Rees

L’information s’est répandue comme une trainée de poudre dans plusieurs médias. La Sacem exige en effet une redevance pour les loueurs d’hébergements touristiques qui mettent à disposition de leurs clients une télévision ou une radio. 

D’un côté, des propriétaires qui veulent rendre le séjour des touristes « plus agréable » en mettant « à la disposition de [leurs] clients une télévision, une radio… ». De l’autre, des œuvres diffusées, « fruit du travail des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique qui ont confié à la Sacem la mission de collecter les droits d’auteur et de les répartir ».

Voilà comment la société de perception des droits justifie ces 198,01 euros HT qu’elle réclame des loueurs pour les autoriser à « diffuser, quelle que soit la source, dans les chambres et les parties communes, le plus vaste répertoire musical au monde, sans aucune restriction ».

Aux portes de l’été, la Sacem a mis en ligne le 2 mai dernier une fiche dédiée pour justifier ce paiement (avec formulaire déclaratif permettant d’obtenir une ristourne de 20 %). C’est cependant un article du Parisien du 15 juillet dernier qui a allumé la mèche estivale. Article repris partout

Jean-Félix Choukroun, directeur du service clients de la Sacem, a insisté auprès de nos confrères : cette démarche est parfaitement légale, à ses yeux. « Elle répond à une mission d’intérêt général inscrite dans le Code de la propriété intellectuelle. Dès lors que des œuvres protégées sont diffusées – de manière directe ou enregistrée – dans des locaux proposés au commerce comme l’est une location saisonnière, il y a un acte de communication au public soumis à droits d’auteur ».

L’article L. 122-2 du Code de la propriété intellectuelle soumet à l'autorisation de l'auteur la « représentation » de son œuvre. C’est à partir de cet article que la société de perception et de répartition des droits chalute ces sommes pour leur compte. « La redevance en matière de rémunération équitable versée aux artistes-interprètes et aux producteurs de phonogrammes est prévue par l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle, en contrepartie de la communication au public de phonogrammes du commerce à laquelle les titulaires de droits ne peuvent s'opposer », ajoutait cette réponse parlementaire

Pour justifier ces (presque) 200 euros HT, la Sacem a cité cet arrêt de la Cour de cassation de 1994 concernant la société Novotel Paris-Les Halles.

La jurisprudence « Hôtels »

Voilà près de 28 ans, la haute juridiction estimait que « l'ensemble des clients de l'hôtel, bien que chacun occupe à titre privé une chambre individuelle, constitue un public à qui la direction de l'établissement transmet les programmes de télévision, dans l'exercice et pour les besoins de son commerce ». Et la communication de ces flux à ce public constitue « une représentation des oeuvres télévisuelles ».

Elle cassait alors un arrêt de la cour d’appel de Paris qui avait jugé au contraire que la société Novotel « n'était pas assujettie aux obligations découlant du droit d'auteur », pour s’être contentée d’offrir à la clientèle « la possibilité de capter, dans les chambres, les programmes de télévision diffusés par la société de droit américain Câble New Network ».

En 2010, dans une décision dite « Société Hôtel Franklin Roosevelt », la même Cour de cassation précisait que l'hôtelier qui met « à disposition de ses clients, hébergés dans les chambres de son établissement, un poste de télévision au moyen duquel était distribué le signal permettant la réception, par ces clients, des programmes de télédiffusion, se livrait à un acte de communication au public soumis à autorisation des auteurs et partant, au paiement de la redevance y afférente ». 

Quatre ans plus tôt, le 7 décembre 2006, la Cour de justice de l’UE, dans son arrêt « Sociedad General de Autores y Editores de España (SGAE) contre Rafael Hoteles SA », confirmait que la « distribution d’un signal au moyen d’appareils de télévision par un établissement hôtelier aux clients installés dans les chambres de cet établissement » est un acte de communication au public, contrairement à la simple fourniture « d’installations physiques ». 

Une fois vérifié, le critère central de la « communication au public » permet depuis de justifier le paiement des droits aux sociétés de gestion collective, et ce malgré « le caractère privé des chambres d’un établissement hôtelier ».

La jurisprudence « loueurs de véhicules »

De manière paradoxale, en apparence du moins, la même Cour de justice rejetait en avril 2022 la possibilité pour la Sacem suédoise de percevoir une redevance sur la location de voitures, équipées d’autoradio avec lecteur CD.

Comment expliquer que d'un côté des hôtels doivent payer pour les postes installés dans les chambres, mais non les loueurs de véhicules, pour les autoradios présents dans l’habitacle du véhicule ?

Simple fourniture ou intervention additionnelle ?

Pour mieux comprendre, il faut se replonger dans la directive de 2001 sur le droit d’auteur. Elle aussi prévient que la simple fourniture d’un équipement n’est pas suffisante pour vérifier le critère de la communication au public et donc justifier le paiement des droits aux sociétés de gestion collective. 

Ce n’est donc pas parce qu’une personne met simplement à disposition un équipement (TV ou autoradio, etc.) que ce critère de la communication au public est vérifié. Un autoradio se contente en effet de « capter, sans aucune intervention additionnelle de la part de la société de location, la radiodiffusion terrestre accessible dans la zone où le véhicule se trouve », dit la Cour de justice de l'UE. 

Dans le cadre d’un hôtel, la situation change du fait de l’intervention du gérant de l’établissement dans la transmission ou la distribution du signal dans chaque chambre.  Dans ces conclusions à la CJUE, il avait été ainsi rappelé que « le fait qu’un établissement hôtelier reçoit des signaux de télévision par satellite ou par voie terrestre et les distribue par câble dans ses différentes chambres constitue un acte de communication au public ».

C’est donc cette intervention additionnelle qui permet de vérifier le critère de la communication et donc de frapper les hôtels, mais non les loueurs de véhicules.

Pour le cas des locations saisonnières, la Sacem mélange donc quelque peu les concepts dans le premier paragraphe de son billet :

« Vous êtes loueur de meublé de tourisme, de chambre d’hôte, de gîte et mettez à la disposition de vos clients une télévision, une radio… afin de rendre leur séjour plus agréable. Les œuvres ainsi diffusées (les chansons mais aussi les génériques, musiques de films, de séries TV ou de publicité…) sont le fruit du travail des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique qui ont confié à la Sacem la mission de collecter les droits d’auteur et de les répartir ».

Elle soutient que la mise à disposition d’un équipement permet de justifier l’assujettissement, en insistant dans une note de bas de page que « le seul fait de procurer à vos clients la possibilité de recevoir des émissions de télévision constitue une diffusion publique ». Or, il faudrait préciser que la simple fourniture de ces équipements permet au propriétaire de se retrouver dans la même situation qu'un loueur de véhicules. Et donc dans celle d'un non-assujetti...

Relevons enfin qu'au Parisien, la Sacem soutient aussi que ses agents « sont autorisés à entrer légalement dans les domiciles entre deux locations pour vérifier l'existence d'un téléviseur ou d'une radio ». L'article L331-2 du Code de la propriété intellectuelle indique seulement que la preuve de la matérialité d'une infraction peut résulter de leurs constats, non qu'ils disposent du pouvoir de pénétrer dans un domicile sans l'autorisation du propriétaire. 

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