L’Arcep a récemment mis en ligne son rapport sur l’état d’Internet en France. Il regorge de données sur les opérateurs, les réseaux et les usages. On y retrouve notamment des données sur l’interconnexion, c’est-à-dire « la relation technico-économique qui s’établit entre différents acteurs pour se connecter et échanger mutuellement du trafic ».
Nous avons pour rappel déjà détaillé longuement le fonctionnement d’Internet, notamment sur la définition de FCA, transitaire, CDN, transit, etc. Si ces notions vous sont totalement étrangères, une lecture de cette actu peut s’avérer utile pour la suite.
Cela ne surprendra personne, mais « le trafic entrant vers les principaux FAI en France à l’interconnexion a augmenté de plus de 25 % en un an pour atteindre 35,6 Tb/s à fin 2021 ». Il avait déjà augmenté de plus de 50 % en 2020 – une année marquée par des confinements et donc une explosion des usages à la maison – pour arriver à plus de 28 Tb/s fin 2020.
Netflix creuse l’écart avec Google, Amazon prend de l’importance
Cette année, « 51 % du trafic vers les clients des principaux FAI en France provient de seulement cinq fournisseurs de contenus : Netflix, Google, Akamai, Facebook et Amazon ». Un an auparavant, il n’y avait besoin que de quatre acteurs pour dépasser la barrière des 50 % : Netflix, Google, Akamai et Facebook (il manquait donc Amazon).
Dans le détail, Netflix occupe toujours la première place (et de loin) avec un peu moins de 20 % du trafic, en légère baisse sur un an ; la plateforme était en effet un peu au-dessus de la barre des 20 % fin 2020. Il faut dire que la concurrence est plus importante sur le streaming avec l’arrivée de Disney+ et la poussée de Prime Video.
Netflix perd quelques plumes dans la bataille, mais son premier poursuivant (Google) en perd davantage. Conséquence logique : « l’écart se creuse entre le volume de trafic provenant de Netflix et celui des autres fournisseurs de contenu ». Akamai est en troisième position, tandis que Facebook et Amazon sont au coude à coude.

Le rôle important des CDN
Le régulateur explique que « la présence de plusieurs CDN [Akamai, Lumen (anciennement CenturyLink), CDN77, Fastly, etc., ndlr] dans la décomposition du trafic présentée ci-dessous confirme le rôle important de ces acteurs dans l’acheminement du trafic internet. Par exemple, Disney+ apparaît dans ce classement au travers de ses différents CDN ».
Pour rappel, un CDN est un réseau de serveurs disponibles un peu partout dans le monde faisant office de « caches locaux » et chargé de distribuer du contenu au plus proche des utilisateurs. Un service aux États-Unis peut faire appel à un CDN pour avoir une copie de ses contenus sur d’autres continents et/ou pays.
La notion de CDN est d’ailleurs une différence fondamentale entre Disney+ et Netflix : le premier utilise des partenaires pour diffuser son contenu, le second installe des serveurs jusque dans les datacenters des FAI (via son programme Open Connect).
« Forcément, 1 Go de Netflix servi à un abonné marseillais depuis Marseille ça ne prend pas de capacité entre Paris et Marseille. Par contre, un abonné Disney+ servi de Londres à Marseille, ça prend de la capacité entre Londres et Paris, et entre Paris Marseille. On n’est clairement pas dans un rapport d’un pour un », nous résumait en 2020 un fin connaisseur du secteur.
Dans tous les cas, la France ne fait pas exception : l’année dernière, le trafic internet mondial transitant sur les réseaux « était composé pour + de 53 % de trafic vidéo », indique le régulateur en se basant sur une étude de Sandvine.
Total du trafic entrant : 35,6 Tb/s
Revenons au trafic entrant à l’interconnexion, qui se répartit en trois pôles. Le peering privé se taille toujours la part du lion avec 17,9 Tb/s soit 50,3 % des 35,6 Tb/s que représente l’ensemble du trafic. Le peering public ferme la marche avec seulement 0,7 Tb/s, ce qui ne représente que 2 % de l’ensemble.
De son côté, le transit est juste derrière le peering privé avec 17 Tb/s (47,7 %). Comme toujours, le transit élevé est « dû en grande partie au trafic de transit entre Open Transit International (OTI), Tier 1 appartenant à Orange, et le Réseau de backbone et de collecte internet d’Orange (RBCI) », rappelle le régulateur.
En 2021, l’Arcep note un point surprenant. Alors que la part de peering augmente d’une façon régulière (principalement à cause de l’augmentation des capacités installées en peering privé entre les FAI et les principaux fournisseurs de contenu), elle a « très légèrement baissé (53 % à fin 2020 pour 52 % à fin 2021). Cette situation est due, d’une part, à l’augmentation du trafic de transit (dont le trafic provenant d’Open Transit International) et d’autre part, à la substitution d’une partie du trafic de peering avec du trafic provenant des CDN internes ».

Total du trafic sortant des quatre principaux FAI (BOFS) : 2,9 Tb/s
Passons maintenant au trafic sortant du réseau des quatre principaux FAI (Bouygues Telecom, Free, Orange et SFR) qui « atteint plus de 2,9 Tb/s, soit une augmentation de 12,5 % par rapport à fin 2020 ». L’augmentation vient quasi intégralement du premier semestre, sans que l’Arcep ne donne d’explication.
Le « taux d’asymétrie entre ces deux trafics [entrant et sortant] est passé de 1/4 en 2012 à plus de 1/12 en 2021. Cette augmentation est due notamment à l’augmentation du contenu multimédia consulté par les clients (streaming vidéo et audio, téléchargement de contenu de grande taille, etc.) », note le régulateur.
Capacités d’interconnexion en France : 95 Tb/s
Les capacités d’interconnexion (que l’on pourrait résumer par la bande passante totale disponible) sont évidemment bien supérieures au trafic entrant : 95 Tb/s (soit un rapport de 2,7x par rapport au trafic entrant). Fin 2020, cette capacité était de 67 Tb/s.
Il ne faut pas remonter très loin pour trouver une capacité d’interconnexion des principaux FAI de 35 Tb/s (le trafic entrant actuel) : c’était le cas au milieu de l’année 2018. Les usages et les Tb/s augmentent à vitesse grand V et obligent les opérateurs à revoir sans cesse la capacité de leurs réseaux.

Ces derniers ne sont pour rappel pas calibrés en fonction de la consommation moyenne, mais du pic rencontré chaque jour, bien plus élevé, ce qui explique une telle capacité. « Ce ratio n’exclut pas l’existence d’épisodes de congestion, qui peuvent survenir entre deux acteurs sur un ou des lien(s) particulier(s) en fonction de leur état à un instant donné », prévient l’Arcep.
Le gendarme des télécoms indique enfin que les « fourchettes de tarifs de transit et de peering n’ont pas connu d’évolution depuis l’année dernière. D’après les données recueillies, les prestations de transit se négocient toujours entre moins de 5 centimes d’euros HT et plusieurs euros HT par mois et par Mb/s. Quant au peering payant, il se situe dans une fourchette comprise entre 25 centimes d’euros HT et plusieurs euros HT par mois et par Mb/s ». Cette moyenne se base uniquement sur les données des « acteurs ayant répondu au questionnaire ».