Elles promettent de livrer paquets de pâtes, bouteilles d’apéro et rouleaux de PQ sur le pas de votre porte en 10 ou 15 minutes. Mais en réalité, les start-ups du « quick commerce » ne s’engagent pas formellement sur les délais de livraison. Nous avons épluché les conditions générales de Flink, Gorillas, Getir et Gopuff.
Se faire livrer des courses à domicile en moins de 15 minutes, est-ce bien raisonnable ? Ce service, que proposent à grand renfort de publicités, une poignée de start-up dans le cœur des grandes villes, attire les critiques.
Elles portent tantôt sur la pression mise sur les livreurs chargés de tenir les délais, tantôt sur les nuisances qu’occasionnent la multiplication de leurs entrepôts dans les villes, tantôt sur l’absurde accélération de nos modes de vie ainsi encouragé.
À cet éventail de reproches, il faudra en ajouter un nouveau : la livraison ultra-rapide promise n’est pas vraiment garantie. C’est ce que l’on découvre si l’on se plonge, comme l’a fait Next INpact, dans les foires aux questions et surtout les conditions générales de vente des acteurs du « quick commerce » (c’est le nom donné à ce nouveau service).
L’écart entre le contenu de ces conditions, qui sont un document juridique-clé, et les slogans publicitaires est patent.
De « quelques » minutes à « trente » minutes, voire « deux heures »
Ainsi en grosses lettres noires, le site de Gopuff promet une « livraison de courses en quelques minutes ». Dans les petits caractères, l’entreprise américaine, qui livre à Paris, Lille et Marseille, se révèle nettement moins optimiste : le délai est « d’environ vingt à trente minutes à compter de notre accusé de réception de votre commande » (Terms&Conditions de Gopuff, rubrique « Délai de livraison »).
A gauche, la page d’accueil du site web de Gopuff, à droite un extrait des conditions générales
C’est encore pire chez Getir, présent dans cinq agglomérations de l’hexagone. Alors qu’il fait miroiter une livraison « en quasi 10 minutes », les conditions générales indiquent une tout autre limite : « Nous ferons notre possible pour vous livrer dans les deux heures au plus tard » (article 6.2 des conditions générales de service). Dix minutes ou deux heures ? Il faudrait savoir !
Au-delà de ces deux exemples – les plus caricaturaux que nous ayons repérés –, les conditions générales prennent bien soin d’amoindrir la portée des promesses publicitaires. Les documents contractuels ne se contentent pas de mentionner les accidents de la circulation et problèmes météo, « indépendants de notre volonté », qui peuvent retarder les livraisons – une précaution qui peut se comprendre.
Un délai allongé si « notre entrepôt est très occupé »
Ils indiquent aussi que le délai dans lequel les sites s’engagent à livrer n’est pas celui avancé dans les slogans. Il s’agit de celui affiché au moment précis de la commande, qui peut donc varier selon, l’afflux de clients. C’est Flink qui le précise le plus clairement (article 5 des conditions générales de vente) : « Sur nos plateformes, un délai de livraison approximatif est indiqué à titre indicatif. Le délai que nous engageons à respecter est celui indiqué à l’issue de la commande ».
« Approximatif », « indicatif » : autant de termes pour signifier qu’il ne faut pas prendre le slogan publicitaire au pied de la lettre ! Concrètement, Flink laisse espérer une livraison « en quelques minutes » (page d’accueil du site), ou « en dix minutes » (publicité dans le métro parisien). Mais pour l’acheteur, le délai pourra être bien plus long « si notre entrepôt est très occupé ou que nous manquons de livreurs », ajoute la FAQ de Flink.
Un flyer publicitaire de Flink, distribué en région parisienne
Obligations de moyens ou de résultats ?
Autre élément qui semble rendre évanescent l’engagement de délai de livraison : en substance, les contrats disent « On fait ce qu’on peut, mais on ne garantit rien ! ». Cela se vérifie chez trois des quatre acteurs dont nous avons épluchés les contrats :
- Gorillas : « Gorillas fait ses meilleurs efforts pour livrer les commandes dans les délais indiqués dans la confirmation d’expédition » (article 6 des conditions générales de vente)
- Getir (clause déjà citée) :« Nous ferons notre possible pour vous livrer dans les deux heures »
- Flink : « Nous nous efforçons de livrer le plus rapidement possible » (article 5 des conditions générales de vente)
Ces expressions visent, pour les sites, à (tenter de) se dégager d’une obligation de résultats sur le délai, au profit d’une simple obligation de moyens. Autrement dit, les promesses de livraison en 10 ou 15 minutes n’engagent que ceux qui les écoutent…
Naturellement, ces clauses ont pour fonction, pour l’entreprise, de se protéger contre les clients impatients et procéduriers, qui voudraient se plaindre d’une livraison trop longue. Elles servent de parapluie, en quelque sorte.
Des plaintes, mais pas tant que cela
Pour autant, les acteurs du « quick commerce » peinent-ils à livrer aussi rapidement qu’ils le promettent ? Un coup d’œil sur les avis de consommateurs en ligne permet de trouver des plaintes sur cet aspect.
Dans les avis sur le Play Store de Google, certains se plaignent d’être livrés en 30 ou 40 minutes au lieu des 10 minutes espérés.
Mais elles ne sont pas si nombreuses. Les mécontentements portent au moins aussi souvent sur d’autres aspects : bugs des applis, codes promotionnels ne fonctionnant pas, produits indisponibles… Et on trouve aussi des avis des clients épatés par la rapidité de livraison.
Même en l’absence de vague massive de plaintes, ces clauses surprenantes montrent que les promesses de livraison rapide sont fragiles. Elles servent surtout à capter l’attention et les clients dans un marché jeune mais très encombré. Et tant pis si le contenu réel des contrats et, parfois les délais constatés sur le terrain, sont un peu moins jolis que la vitrine publicitaire !
Le décalage entre la pub et le contrat, passible de poursuites ?
Si les acteurs sont nombreux à s’être lancés dans ce jeune secteur d’activité, l’écrémage s’est sérieusement accéléré ces dernières semaines avec la disparition ou le rachat d’acteurs comme Kol, Yango Deli ou Cajoo (dont l’appli vient de fermer, rachetée par Flink). Dans ce contexte, mener une communication loyale et en cohérence avec ses propres conditions générales de vente n’est sans doute pas la priorité de ces sociétés…
Mais la méthode n’est pas sans risques. Un tel décalage entre la promesse publicitaire et la réalité des contrats expose ces professionnels à des accusations de pratiques commerciales trompeuses. Interdites par le code de la consommation, elles sont punies de deux ans de prison et d’une amende pouvant atteindre 300 000 euros, pouvant même être portée à 10 % du chiffre d’affaires de la société.
Dans un secteur différent, celui du tourisme, les services de la Répression des fraudes ont assigné un acteur l’été dernier pour un procédé similaire. Spécialisée dans les annonces de locations de vacances, Abritel s’était vu reprocher des pratiques commerciales trompeuses, en raison d’une « communication commerciale vantant (…) la fiabilité (…) et les garanties d’utilisation de la plateforme, en contradiction avec les conditions générales d’utilisation, qui en réduisent la portée effective ».
Un tel précédent devrait inciter les acteurs du « quick commerce » à nettoyer leurs conditions générales. Ou à modérer leurs slogans publicitaires…