Copie privée : la justice simplifie le droit au remboursement des exportateurs

Copie privée : la justice simplifie le droit au remboursement des exportateurs

Et condamne Copie France à payer 6,5 millions d'euros

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Marc Rees

Publié dans

Droit

10/06/2022 7 minutes
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Copie privée : la justice simplifie le droit au remboursement des exportateurs

Dans une décision rendue le 7 juin, le tribunal judiciaire a asséné un coup de balai dans l’usine à gaz du remboursement des exportateurs. Au grand dam de Copie France, le collecteur de ces sommes pour les industries culturelles, condamné à payer 6,5 millions d’euros à Pixmania. Next INpact diffuse le jugement.

Pixmania distribuait des supports soumis à la redevance pour copie privée. Sa logistique étant centralisée en France, ces sommes étaient collectées par Copie France, la société civile fondée par la SACEM et les autres organismes de gestion collective. 

Elle a été liquidée le 25 février 2016, son liquidateur a cependant engagé une procédure dès 2017 reprochant à Copie France d’avoir collecté indument de la redevance sur des supports destinés à l’exportation, ou en transit en France, sans remboursement.  

Il critique la société civile de ne pas avoir prévu de mécanisme « non excessivement difficile » permettant de tels remboursements, alors que Pixmania a dû payer d’imposantes sommes à ses propres fournisseurs au titre de la copie privée.  

« Le dispositif n’était pas indiqué, était discrétionnaire, donnant lieu à des vérifications durant près de 3 ans avec un long audit imposé par Copie France de son système informatique, laissant peser sur l’exportateur le risque de défaillance d’un fournisseur, laissant cet exportateur dans la dépendance de l’action ou de l’inaction de la société Copie France, tout en ne l’informant pas de ces éventuelles défaillances de fournisseurs »

L’affaire a été portée devant le tribunal judiciaire de Paris où la juridiction a relevé ce 7 juin que « dans le cas où la société Pixmania importait elle-même et réexportait directement les produits sans les mettre en circulation en France, aucune redevance n’était due ». 

Très bien…sauf que dans le cas où le célèbre e-commerçant achetait ces supports en France à un fabricant ou un importateur ou un intermédiaire, pour les exporter ensuite, la redevance devait bien « être payée par celui-ci du fait de cette vente, et intégrée au prix d’achat payé par la société Pixmania ». Évidemment, impossible pour cette dernière de répercuter le poids de la redevance à ses distributeurs installés à l’étranger. 

Les réticences de Copie France

On découvre dans la décision que Copie France rangeait ces fournisseurs en trois catégories : 

  • Ceux « dont il était établi qu’ils avaient initialement payé la redevance sur les supports acquis par la société Pixmania »
  • Ceux « qui étaient inconnus de la société Copie France, et dont on ne pouvait donc pas vérifier si les supports qu’ils avaient vendus avaient donné lieu à paiement initial de la redevance »
  • Ceux « avec lesquels la société Copie France était en contentieux ou qui faisaient l’objet d’une procédure collective »

Et selon sa mécanique interne, d’une limpidité baroque, Copie France a assuré qu’elle ne pouvait rembourser directement l’exportateur, mais uniquement les importateurs ou fabricants, ceux « s’étant acquittés de la redevance à l’origine, à charge pour eux de transférer les sommes remboursées à l’exportateur, ou le cas échéant à leur client intermédiaire qui devait les transmettre à son propre client, et ainsi de suite jusqu’à l’exportateur ».

Ce n’est pas tout. Copie France conditionnait ces remboursements à la preuve que la redevance avait bien été payée, à charge donc pour l’exportateur d’assumer les risques d’une défaillance du redevable oublieux. 

Préférant la simplicité à cet enchevêtrement d’oléoducs gaziers, Pixmania a plaidé pour un droit au remboursement direct.  

Ne pas complexifier la simplification 

Dans sa décision, le tribunal judiciaire résume l’état de la jurisprudence européenne : si « l’État doit assurer une perception effective de la compensation équitable », cette redevance pour copie privée doit cependant « être supportée uniquement par les personnes qui bénéficient de l’exception de copie privée ». 

Certes, « un système de perception préalable indifférenciée peut être licite, mais à la condition que les personnes qui se trouvent, en quelque sorte par accident, obligées d’y contribuer sans lien avec la réalisation de copies privées sur le territoire de l’État, doivent être remboursées de cette contribution accidentelle ».

Ceci posé, il considère que serait contraire au droit de l’Union européenne, le système où l’exportateur « qui a dû supporter temporairement le poids de la redevance devrait finalement la supporter définitivement, en tout ou partie ».

Si des sommes n’ont pas été reversées à Copie France en raison de la défaillance d’un fournisseur intermédiaire, cette défaillance « n’est pas imputable à l’exportateur, et ne justifie donc pas de faire obstacle au remboursement ».

Haro sur le système 

Avec une certaine clairvoyance et une plume aiguisée, la décision relève que « s’il est si difficile de rassembler les informations sur la chaîne de transmission du poids de la redevance, ce n’est pas en raison du comportement de l’exportateur (dès lors que celui-ci a remis les preuves permettant d’identifier son fournisseur) mais en raison du fonctionnement même du système de financement mis en place ».

Ce système « n’est assurément pas un motif de faire peser une charge supplémentaire au titre du financement de la compensation équitable à celui qui ne doit pas cette compensation, et qui est déjà contraint par expédient de supporter une charge temporaire qui n’est justifiée qu’en raison de difficultés pratiques ». 

Certes, il peut y avoir des fournisseurs oublieux, ceux qui ne versent pas la redevance à Copie France alors qu’ils l’ont eux-mêmes facturés… mais ces cas sont résiduels. Or, « en faisant supporter à l’exportateur le risque de l’incertitude sur la chaîne de vente, la société de perception lui fait définitivement conserver la totalité d’un ensemble dont elle a en réalité perçu au moins une partie ».

Un droit au remboursement direct

La justice a donc consacré un droit au remboursement direct, au grand dam de Copie France, qui a bien tenté d’échapper à une telle solution en avançant encore le bourbier de la TVA sur la redevance pour copie privée dans de telles opérations. Le tribunal n’a été que peu ému : ces questions sont totalement distinctes et la doctrine de Bercy est propre aux services fiscaux. Circulez. 

Les conclusions de la juridiction sont donc défavorables à Copie France, mais en harmonie avec un principe d’équité : « celui qui a acquitté une redevance pour copie privée sur des supports finalement vendus à l’étranger a droit au remboursement intégral de cette redevance, directement par la société de perception, et indifféremment de la capacité de celle-ci à assurer le recouvrement initial, ce qui relève de sa responsabilité et non de celle des tiers non concernés par la compensation équitable ».

Ainsi, pour être remboursé directement, l’exportateur doit donc simplement démontrer une vente à l’étranger de supports assujettis à la redevance, « et l’acquisition en France de ces mêmes supports auprès d’un fournisseur lui ayant facturé le montant de la redevance ». C’est tout. 

À l’heure des comptes, la juridiction a condamné Copie France à payer à Pixmania 6,5 millions d’euros (6 468 764 euros, très exactement), avec exécution provisoire pour 3,5 millions d’euros. Les industries culturelles devront en outre payer 20 000 euros à l’ancien cybermarchand pour couvrir ses frais. 

Le jugement est susceptible d’appel. 

Écrit par Marc Rees

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Les réticences de Copie France

Ne pas complexifier la simplification 

Haro sur le système 

Un droit au remboursement direct

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Commentaires (8)


Pitié que d’autres s’engagent dans cette brèche Jurisprudentielle !


Ou pas…



« Anéfé, selon une étude scientifique réalisée par le mari de ma femme grâce à de nouveaux modèles bullshométriques, nous venons de constater que la quantité d’œuvres copiées par les consommateurs doit être révisée à la hausse. De 6 468 764 euros précisément. »



Si ma mémoire est bonne, ils ont déjà fait le coup lorsque la justice les a obligés à cesser de comptabiliser les œuvres piratées. Ils ont recalculé la quantité de copies par support, en appliquant une mystérieuse méthodologie secrète, et sont aperçus que les “nouveaux algorithmes de compression” permettaient de mettre plus d’œuvres légales par support, couvrant comme par hasard exactement le manque à gagner (ça alors !).


woohoo
cool qu’enfin copie france se fasse taper sur les doigts
bon ils trouveront probablement une parade
mais sur le principe c’est cool
(j’ai lu que le début, je lirai la totalité de l’article plus tard)



chichillus a dit:


…Si ma mémoire est bonne…




Elle est excellente.


Ces bandes crevures qui ne produisent rien et s’engraissent sur notre dos.


Cette nouvelle vient d’égailler ma journée. J’ai presque envie d’ouvrir le champagne.


Du coup, est-ce que cela pourrait s’appliquer à un résident UE non français qui achèterait en France et ne trouverait pas de moyen simple de se faire rembourser par Copie france ?
Des frontaliers notamment pourraient s’amuser à pourrir administrativement Copie France ?


On dirait que Spedipam, Sacem, autres sont un peu dans la mouise en ce moment … :bravo: :ouioui: