Amazon fait-elle « usage » de la marque Louboutin lorsqu’elle affiche, parmi ses propres offres, des annonces de produits de vendeurs tiers pour des chaussures contrefaisant la marque à la semelle rouge ? L’avocat général de la Cour de justice de l’UE estime que non, au regard des spécificités de la plateforme de vente.
Les faits remontent à 2019. Louboutin avait attaqué Amazon devant les juridictions luxembourgeoises, mais également belges pour violation de sa fameuse marque. Au menu des revendications, actions en réparation et cessation de ces usages. Le chausseur français reproche en effet à la plateforme de e-commerce de permettre à des vendeurs tiers de faire des annonces pour des chaussures aux semelles rouges et de stocker et livrer ces mêmes produits depuis ses entrepôts.
Un front judiciaire aux conséquences importantes pour le géant du e-commerce. Amazon répond d’ailleurs qu’elle ne peut être tenue pour responsable des usages de la marque par les vendeurs tiers. Quant à ses services accessoires, ils ne permettent pas de déduire qu’Amazon est à l’origine de ces annonces.
Le critère de « l’usage »
Dans ses conclusions rendues le 2 juin dernier, l’avocat général Maciej Szpunar a rappelé la pierre angulaire en matière de défense d’une marque déposée : l’article 9 du règlement de 2017 sur la marque de l'Union européenne.
Cet article habilite le titulaire d’une marque à interdire à tout tiers « de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services ».
Une interdiction très vaste qui permet au détenteur de prohiber par exemple l’apposition de la marque « sur les produits ou sur leur conditionnement », de proposer ces mêmes produits, de les importer ou les exporter, d’utiliser la marque ou encore d’en faire publicité.
Ceci dit, faute de précision atomique dans la lettre du règlement, la jurisprudence européenne a été amenée à décortiquer l’expression d’« usage ».
Elle a ainsi déjà posé que « seul un tiers qui a la maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage est effectivement en mesure de cesser cet usage et donc de se conformer à ladite interdiction ».
En clair ? Pour pouvoir enjoindre une personne à cesser l’usage d’un signe distinctif, encore faut-il que cette personne puisse le faire.
Ce critère est celui du « comportement actif », résume l’avocat général, qui rappelle en outre que, lorsque ce tiers est un intermédiaire sur Internet, il faut que ce dernier ait fait « une utilisation du signe dans le cadre de sa propre communication commerciale ».
La communication commerciale d’Amazon
Est-ce qu’Amazon fait « usage » d’une marque dans sa propre communication commerciale quand ces faits proviennent de vendeurs qui passent par la place de marché ? Est-ce que le critère est vérifié quand Amazon calque son logo sur l’ensemble des offres, mélange dans les résultats ses propres produits et ceux des tiers ?
Pour l’avocat général, la clef doit se trouver dans la perception de l’internaute utilisateur « normalement informé et raisonnablement attentif ».
Or, s’il est vrai que le logo Amazon apparaît dans toutes les ventes, même celles provenant de vendeurs tiers, il est « connu des utilisateurs de la plateforme que sont mises en ligne tant des annonces de produits vendus directement par Amazon que des annonces publiées par des vendeurs tiers ».
De plus, « il est toujours spécifié dans les annonces si les produits sont vendus par des vendeurs tiers ou directement par Amazon ». Est tout aussi connu que les résultats d’Amazon mixent les annonces de ces tiers comme ceux de la plateforme elle-même.
Le critère de la perception
En outre une autre décision de la CJUE a déjà jugé qu’une marque ne peut être considérée comme ayant été utilisée quand l’exploitant d’une place de marché stocke des produits porteurs de ce signe distinctif pour le compte d’un vendeur tiers.
Conclusion ? « L’exploitant d’une plateforme de vente en ligne ne peut être considéré comme faisant usage d’une marque dans une offre de vente publiée par un tiers sur cette plateforme », mais ceci ne vaut que si « de tels éléments ne conduisent pas l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif à percevoir la marque en cause comme faisant partie intégrante de la communication commerciale de l’exploitant ».
En somme il reviendrait aux juridictions du fond d’examiner les faits pour mesurer la perception des utilisateurs. Cette solution, qui ne concerne que l'hypothèse d'une responsabilité directe, doit encore être consacrée par la Cour de justice de l’UE.
Les conclusions de l’avocat général sont en effet rendues pour éclairer la cour, sans la lier, quand elle rendra son arrêt dans quelques mois. Vers une décision à marquer au fer rouge ?