Murena à l’assaut du grand public avec son smartphone One et la V1 de /e/OS, entretien avec Gaël Duval

De Mandrake à Android
Mobilité 11 min
Murena à l’assaut du grand public avec son smartphone One et la V1 de /e/OS, entretien avec Gaël Duval

La société française Murena a annoncé récemment la « V1 » de son système mobile /e/OS et le lancement de son premier smartphone, le Murena One. Nous nous sommes entretenus avec le fondateur et président de l’entreprise, Gaël Duval, sur les objectifs de ce nouveau venu.

Le Murena One est la continuation d’un projet débuté en 2017. Gaël Duval, le Français à qui l’on devait déjà Mandrake Linux vingt ans plus tôt, se lance dans une nouvelle aventure : la conception d’un système mobile Android débarrassé de Google. « Comme des millions d’autres, je suis devenu un produit de Google », écrivait-il alors au lancement du projet. Ce dernier prendra d’abord le nom d’Eelo, avant d’être renommé /e/OS.

Autour du projet se constitue l’entreprise Murena, qui compte aujourd'hui 43 employés à temps plein. Au départ, /e/OS était surtout pensé comme système de remplacement sur certains appareils, à la manière de LineageOS (lui-même basé sur AOSP, Android Open Source Project), sur lequel le projet est bâti. Rapidement, des partenariats se mettent en place avec des entreprises spécialisées dans le reconditionnement, afin que /e/OS leur offre une deuxième vie. Murena travaille également avec Fairphone, Gigaset et Teracube pour des modèles toujours vendus.

Dès le départ, le système a eu une optique claire : un respect maximum de la vie privée. Cela signifiait bien sûr ne rien mettre qui provenait de Google, mais également de limiter autant que possible les données pouvant partir chez l’entreprise américaine quand on devait accéder à ses services.

La vision s’est développée jusqu’à ce que Murena prenne deux décisions : lancer son propre smartphone et annoncer une « version 1.0 », pour signaler publiquement que le système avait atteint un stade de maturité jugé suffisant pour la grande aventure.

Murena One, premier smartphone /e/OS officiel

L’appareil en lui-même est issu du milieu de gamme. La configuration prend place derrière un écran IPS LCD de 6,53 pouces. Il affiche une définition de 1 080 x 2 242, pour un ratio de 19:5. Derrière, on trouve un SoC Mediatek Helio P60 à huit cœurs, épaulé par 4 Go de mémoire et 128 Go de stockage. Le téléphone peut accueillir deux cartes SIM.

Un effort a été fait sur la partie photo, puisque le capteur principal fait 48 mégapixels (ouverture de f/1.8), avec un capteur grand-angle de 8 mégapixels et une caméra frontale de 25 mégapixels tout de même. On sait cependant qu’une bonne partie matérielle ne peut pas faire grand-chose sans un logiciel adapté. Apple et Google ont investi lourdement dans ce domaine. À voir donc quand le smartphone sera là.

Murena OneMurena One

La batterie est de 4 500 mAh et doit tenir une journée complète. On notera en revanche qu’elle n’est pas amovible. Le Murena One se limite également à la 4G et au Wi-Fi 5 pour limiter les frais. Idem pour le Bluetooth, limité au 4.2. Ses dimensions sont de 161.8 x 76.9 x 8.9 mm pour un poids de 186 g. Un lecteur d’empreintes est présent sur la tranche pour la biométrie.

Le prix annoncé, justement, est de 349 euros. Les précommandes sont ouvertes pour des livraisons qui doivent démarrer à la fin du mois.

/e/OS en première ligne

Le système est officiellement disponible en « V1 » pour accompagner le Murena One, même si tous les smartphones utilisant le système recevront les mêmes mises à jour.

Pour les personnes qui ne le connaitraient pas, il s’agit d’un « fork » de LineageOS créé avec la volonté d’éloigner Google. Cette base Android le rend compatible avec la plupart des applications, mais il faut savoir que choisir un tel appareil est représentatif d’un choix : un attrait certain pour le respect de la vie privée et une volonté de faire sans Google, autant que faire se peut.

L’approche de /e/OS est simple : aucun service ni application Google, mais avec la possibilité d’en installer. Murena a remplacé toutes les applications de base par les siennes propres, pour tout ce qui touche les SMS, les emails, l’agenda, la téléphonie, les cartes routières (OpenStreetMap), etc.

Pour le reste, il faut passer par la boutique App Lounge. Elle permet d’accéder à pratiquement toutes les applications « habituelles », y compris les plus connues comme Facebook, Instagram, TikTok, Spotify et autres. Il est même possible de récupérer les applications de Google. Pour le faire, on peut soit se connecter avec un compte Google ou de manière anonyme. C’est en quelque sorte un Play Store sans le Play, car App Lounge y puise toutes les informations. La boutique permet de trier les applications, notamment pour n’afficher que celles open source par exemple.

Mais dans le cas d’applications s’appuyant sur les services Play, comment faire puisqu’ils ne sont pas présents dans /e/OS ? Le système s’appuie en fait sur le projet MicroG qui est en quelque sorte une copie des bibliothèques utilisées par Google, mais en respectant davantage la vie privée. Les bibliothèques utilisées tentent de limiter au maximum les données envoyées. En outre, la boutique affiche pour chaque application le nombre de traqueurs et octroie une note de vie privée, basée notamment sur une analyse par Exodus.

Pour aller plus loin dans la protection de la vie privée, /e/OS propose un mode Avancé. Il a de multiples actions, parmi lesquelles le blocage des pisteurs dans les applications utilisées, l’utilisation d’un VPN pour cacher sa vraie position géographique ou encore masquer l’IP sur les sites visités. Cependant, une fois activé, ce mode peut avoir des contreparties, car une application de type Maps ou de météo ne fonctionnera plus correctement. Il faudra alors plonger plus avant dans les options et affiner les blocages pour chaque application.

Enfin, qu’en est-il du cloud ? Murena propose son propre bouquet de services, baptisé ecloud et basé sur NextCloud. L’entreprise a longtemps travaillé avec OVH mais stocke désormais les informations chez l’Allemand Hetzner. Conformité RGPD, open source et énergies renouvelables sont mises en avant.

L’offre de base est gratuite, mais ne fournit que 1 Go. Des formules payantes sont disponibles et vont de 20 Go pour 1,99 euro par mois (ou 19,90 euros par an) à 1 To pour 12,99 euros par mois (ou 129,90 euros par an). Il est cependant possible d’héberger soi-même les données ecloud et d’y lier son compte, exactement comme avec le service de base.

Murena One

Un design de référence mis sur le marché en neuf mois

Nous nous sommes entretenus avec Gaël Duval au sujet du système et de ce premier smartphone, l’aventure de l’entreprise prenant un nouveau tournant. Nous avons notamment voulu savoir ce qui avait motivé ses équipes à lancer son propre appareil.

« En fait au départ je voulais juste faire un OS, ainsi que des services, parce que je pense que c’est important d’avoir un certain nombre de services de base pour les usages quotidiens », explique Duval. « L’idée c’était d’avoir un OS beaucoup plus respectueux des données personnelles et que les utilisateurs pourraient installer sur leur téléphone. Aujourd’hui tout se passe bien, on a plus de 200 modèles supportés, mais on s’est rendu compte que la plupart des gens ne veulent pas faire ça. Parce qu’ils n’ont pas le temps ou les compétences. Donc très vite on nous a demandé un téléphone avec l’OS préinstallé ». Précisons qu'une dizaine de modèles environ seulement supportent l'installation simple en quelques clics.

Le fondateur et président de Murena nous explique que c’est à ce moment que l’entreprise s’était rapproché d’acteurs du reconditionnement, en vue de simplifier l’acquisition de smartphones déjà préparés. Mais à cause des arrivages imprévisibles d’appareils, la demande est rapidement devenue plus importante que l’offre : « La solution a été d’aller voir d’autres constructeurs. C’est là qu’on a discuté avec Fairphone. On est allés les voir, ça s’est super bien passé et je pense qu’on est très amis dans notre recherche de solutions et de smartphones plus éthiques, plus vertueux. Donc le fait d’ajouter un nouveau modèle qu’on maitrise, ça va nous permettre d’avoir des volumes beaucoup plus importants, ce qui va nous enlever ce goulot d’étrangement qu’on a depuis deux ans ».

La production a-t-elle justement été perturbée par le contexte particulier dans le monde depuis plus de deux ans ? « Pas vraiment, et il y a moins de problèmes qu’avant. Pour le One, on utilise un reference design, et pour être transparent c’est un modèle qui a déjà été commercialisé sous d’autres marques. Donc il est en production permanente. Les réserves de composants sont déjà bloquées. On peut être vu comme un petit fabricant de téléphones ». Fabriqué par qui ? « Un partenaire européen, mais je ne peux pas en dire plus ». Les composants sont produits en Chine, difficile de faire autrement.

Puisqu’il s’agit du premier téléphone de l’entreprise, a-t-elle rencontré des défis particuliers pendant la genèse du projet ? Pas vraiment selon Duval : « Le défi finalement ça a été d’attendre neuf mois que le smartphone soit concrétisé ». Il nous confirme d’ailleurs que durant la réflexion sur le One, l’accent a surtout été mis sur l’écran et la puissance, pour avoir un appareil agréable à tout faire ou presque. En somme, un appareil de milieu de gamme « raisonnablement » bon partout.

Un téléphone « propre » à l’achat et amené à évoluer

La thématique des smartphones focalisés sur la vie privée fait souvent ressortir la difficulté de se débarrasser complètement de Google. Gaël Duval en est conscient : « Notre idée, c’est de fournir un appareil propre, parce qu’on pense que le "privacy by design" est important. On veut qu’ils soient protégés par défaut, et que s’ils ne le souhaitent pas, ce soit par choix. Un choix éclairé ».

« Ceux qui le souhaitent peuvent en tout cas installer YouTube ou Google Maps », embraye Duval. « Rien n’empêche non plus d’installer Facebook. On sait aujourd’hui à quel point c’est nocif et toxique, mais c’est toujours une question de choix en connaissance de cause ».

L’entreprise compte également sur les retours pour faire évoluer son produit. « Dans ce domaine, il y aura deux types de mises à jour. Celles de sécurité qui sortent tous les mois et que nous répercutons sur /e/OS après quelques semaines, et celles de fonctionnalités. Sur celles-ci, nous n’avons pas de règle absolue, elles arriveront quand elles seront prêtes et en fonction de ce qui arrive. Par exemple, on a déjà une trentaine d’améliorations prévues pour la V1 de /e/OS, qui sortiront sans doute d’ici la fin du mois dans une version 1.1 ».

Point important, ces mises à jour fonctionnelles ne concerneront pas que le One. Les nouveautés seront déployées sur le système lui-même, et donc à tous les appareils qui l’utilisent. Ou, pour être plus précis, tous les modèles pour lesquels Murena a un support actif. Car /e/OS est assis actuellement sur trois versions d’Android – 9, 10 et 11 – et il est parfois difficile de trouver une mouture fonctionnant correctement sur certains téléphones.

« On a la chance d’avoir une communauté qui nous aide énormément », ajoute Gaël Duval, « parce que sur tous les téléphones qui ne sont pas officiels, on a des remontées. C’est important parce qu’on a une équipe dédiée à la QA [Quality Assurance, ndlr], mais qui se concentre surtout sur les téléphones officiels. Les gens de la communauté testent la plupart des autres téléphones, nous remontent les problèmes et nous les corrigeons. Comme nous avons des versions tests, ce fonctionnement nous permet de détecter très vite les soucis ».

Un téléphone pour tout le monde ?

« C’est l’ambition ! », confirme Gaël Duval. Le téléphone est là pour répondre à certaines demandes, mais il s’agit aussi d’un test.

« Jusqu’à maintenant on était clairement sur une grosse niche d’utilisateurs qui viennent soit du monde open source, soit du monde très orienté privacy, ou simplement des gens qui souhaitaient une vie numérique plus vertueuse. Et là on a l’ambition d’aller vers un public plus large. Peut-être pas Mme Michu tout de suite… encore que Mme Michu, si elle voit que le téléphone n’est pas plus compliqué qu’un autre – voire est plus simple – elle pourrait se laisser tenter », explique Duval.

Contenter le grand public sera l’épreuve du feu pour Murena, parce que le smartphone fera face à une population habituée depuis des années maintenant à la simplicité grandissante d’interfaces conçues pour lisser un maximum de difficultés. Ce n’est pas toujours le cas dans la galaxie Android, tant les modèles, surcouches et surtout applications intégrées sont nombreuses.

Face à cette déferlante, Duval nous indique d’ailleurs vouloir tirer son épingle du jeu avec un téléphone sobre et sans fioritures, sans bloquer pour autant l’utilisation qui pourrait en être faite. Une approche qui n’est pas sans rappeler celle de l’iPhone, et pour cause : le produit d’Apple a influencé certains choix de l’équipe. C’est une bonne partie de l’explication à l’interface de /e/OS, qui ne cherche pas à réinventer la roue et se présente comme un Android aussi classique que dépouillé.

Ne reste finalement plus qu’à attendre le Murena One et voir comment il traversera les batteries de tests qui ne manqueront pas d’arriver. Notez que The Register a pu mettre la main sur une version non finalisée et a jugé qu'en dépit de quelques petits soucis, c'était un appareil fonctionnel, rapide et stable.

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