Dans son dernier rapport, la personnalité qualifiée par la CNIL pour contrôler les demandes de censure administrative effectuées par le ministère de l'Intérieur évoque 133 000 demandes de retrait, 4 219 de déréférencement, et 439 de blocages de site. Elle passe désormais le relais à l'ARCOM, qui hérite de ce contrôle.
Le nombre de « contenus illicites ayant fait l’objet d’une intervention de l’office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) et donc d’une vérification par la personnalité qualifiée » désignée par la CNIL pour les contrôler, a connu un « accroissement considérable » en 2021, révèle son 7e rapport d'activité, que la CNIL vient de publier :
« 137 953 demandes de l’OCLCTIC visant à restreindre l’accès à des contenus à caractère terroriste ou pédopornographique ont été vérifiées en 2021 par la personnalité qualifiée, soit une augmentation de 250% par rapport à 2020. »
La personnalité qualifiée ayant reçu 55 105 demandes de l'OCLCTIC l'an passé, l'augmentation ne serait en fait « que » de 150 %.
Le rapport rappelle que ces demandes « interviennent notamment à la suite de signalements effectués par les internautes sur la Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (PHAROS) ». Dans le détail, étaient concernées :
- 133 295 demandes de retrait de contenus, soit une augmentation de 264% par rapport à 2020 ;
- 439 demandes de blocage de sites, soit une diminution de 16% par rapport à 2020 ;
- 4 219 demandes de déréférencement d’adresses électroniques, soit une légère augmentation de 2% par rapport à 2020.
Du 1er janvier au 31 décembre 2021, la personnalité qualifiée, Alexandre Linden, conseiller honoraire à la Cour de cassation et président de la formation restreinte de la CNIL, a procédé à 37 séances de contrôle, dont les vérifications l'ont conduit à adresser 4 recommandations au ministère de l’Intérieur.
Les décisions de l’OCLCTIC n’ont donné lieu à aucun recours
Le 12 janvier 2021, en réponse à une demande de retrait concernant un texte et une photographie diffusés sur un compte Facebook, la personnalité qualifiée « a estimé que ce contenu ne constituait ni une apologie d’actes de terrorisme, ni une provocation à de tels actes ». L’OCLCTIC lui avait alors « fourni de nouveaux éléments de nature à justifier la demande de retrait », mais le rapport ne précise pas ce qui s'ensuivit.
Le 7 juin 2021, elle demandait un complément d'information concernant une demande de retrait et de déréférencement de vidéos diffusées par un compte Twitter. L'OCLCTIC lui répondait qu' « après un nouvel examen, la mesure serait levée et que le re-référencement serait actif le jour même ». Mais le compte Twitter a finalement été suspendu, sans que le rapport ne précise pourquoi.
Le 8 novembre 2021, l'OCLCTIC réclamait le retrait d'un tweet accompagné d'une vidéo d'exécution au Burkina Faso sur un compte Twitter. La personnalité qualifiée avait alors « estimé que ce contenu ne constituait ni une apologie d’actes de terrorisme, ni une provocation à de tels actes » :
« Par lettre du 3 mars 2022, le ministère de l’Intérieur a fait connaître que, suivant la recommandation, l’OCLCTIC avait notifié à la société Twitter l’annulation de la demande de retrait de la publication concernée ».
Le 30 novembre 2021, en réponse à une demande de l'OCLCTIC de retrait d'un texte et d'un dessin, la personnalité qualifiée estimait que « ce contenu ne pouvait être analysé comme constituant une provocation à des actes de terrorisme ou une apologie de tels actes », sans que l'on en sache plus, là encore, sur cette divergence d'interprétations.
Ce même 3 mars 2022, le ministère de l’Intérieur, « fournissant de nouveaux éléments, a indiqué ne pas suivre la recommandation ». Le rapport précise à ce titre que « les décisions de l’OCLCTIC n’ont donné lieu à aucun recours ».
« Pédopornographiques » ou « pédocriminels » ?
Évoquant l'efficacité du dispositif, le rapport relève que « le nombre de connexions aux pages de renvoi, affichées par le ministère de l’Intérieur, dès lors qu’un internaute souhaite accéder à une URL ayant fait l’objet d’une des mesures de blocage, est de :
- 3 725 466 en matière de pédopornographie (99,99 % des affichages) ;
- 382 en matière de terrorisme (0,01 % des affichages). »
Il observe en outre que « le nombre de tentatives de consultation de contenus à caractère pédopornographique représente cette année encore 99,99 % des pages dénombrées par le ministère de l’Intérieur, et que le nombre de tentatives de consultation de contenus à caractère terroriste a diminué de 18 % depuis l’année dernière ».

Un tableau récapitulatif souligne qu'en matière de contenus à caractère terroriste, le nombre de demandes de retrait est passé de 3 645 en 2020 à 14 888 en 2021 (+ 308 %), le nombre de contenus retirés de 2 986 à 13 235 (+ 343 %), les demandes de blocage de 28 à 19 (- 32 %), et le nombre de demandes de déréférencement de 1 348 à 1 651 (+ 22 %).
En matière de contenus à caractère « pédopornographique », le nombre de demandes de retraits est passé de 46 803 à 118 407 (+ 153 %), celui des contenus retirés de 33 724 à 115 802 (+ 243 %), le nombre de blocages de 491 à 420 (- 15 %), et celui des déréférencements de 1790 à 2568 (- 8 %).
Étonnamment, le rapport continue à utiliser le qualificatif « pédopornographique », pourtant de moins en moins usité par les ONG et autorités luttant contre la « pédocriminalité » dans le monde entier, à mesure que la pornographie n'a rien d'illégal d'une part, et que l'on ne saurait présumer d'un consentement pour ce qui est de relations sexuelles avec des mineurs d'autre part.
Les anglo-saxons préfèrent ainsi parler de « child sexual abuse material » (CSAM), et de plus en plus d'institutions internationales reprennent elles aussi l'expression « matériels relatifs aux abus sexuels sur les enfants », ou « exploitation sexuelle des enfants sur Internet », pour reprendre l'expression canadienne.
Il n'en reste pas moins que le volume du nombre de demandes de retrait de contenus d'exploitation sexuelle de mineurs est passé de 121 en 2015 à 7 923 en 2018, 46 803 en 2021 et 118 407 en 2021, sans que, là non plus, le rapport n'explique les raisons de cette explosion.
17 363 URLs manifestement illicites hébergées en France
Le rapport relève en outre qu'en 2021, Point de Contact, la plateforme nationale de signalement permettant à tout internaute de signaler anonymement et gratuitement tout contenu choquant vu en ligne, « a reçu 81 409 URLs, constatant ainsi une augmentation de 35 % des signalements reçus par rapport à l’année 2020 » :
« Les contenus à caractère sexuel mettant en scène des mineurs ("pédopornographie") représentent 65 % des contenus signalés par le public ainsi que par les hotlines partenaires de Point de Contact au niveau international. Les contenus à caractère terroristes représentent 15% des contenus signalés par le public. »
Au final, Point de contact « a traité 38 889 URLs » : « 23 323 ont été qualifiées de manifestement illicites, dont 17 363 URLs hébergées en France :
- 19 942 URLs revêtant un caractère sexuel mettant en scène des mineurs ("pédopornographie") ;
- 597 URLs revêtant un caractère terroriste. »
La CNIL passe le témoin à l'ARCOM
Le communiqué de la CNIL rappelle en outre que « le contrôle en matière de blocage, de retrait et de déréférencement administratifs de contenus des sites terroristes et pédopornographiques sera opéré, à compter du 7 juin 2022, par la personnalité qualifiée désignée par l’Arcom : Laurence Pécaut-Rivolier, conseillère à la Cour de cassation et membre du collège de l’Arcom depuis le 1er janvier 2022 » :
« C’est également à cette date que sera applicable le règlement TCO, (règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2021 relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne) entré en vigueur le 6 juin 2021. Il vise principalement à faire retirer dans un délai d'une heure les contenus à caractère terroriste sur internet par les plateformes, comme Facebook ou Twitter. Il reviendra au législateur de désigner la personnalité qualifiée qui sera amenée à vérifier les mesures prises dans ce nouveau cadre. »