La Cofrad et OPEN, deux associations, envisagent tout simplement la suspension en France de l’ensemble des réseaux sociaux qui ne respectent pas l’interdiction de rendre accessible aux mineurs des contenus pornographiques.
Dans une tribune au Journal du Dimanche, Armelle Le Bigot Macaux et Thomas Rohmer, respectivement à la tête de ces deux associations, aimeraient un grand ménage sur les réseaux sociaux avec levier principal le Code pénal.
L’article 227-24 du CP interdit de rendre des contenus pornographiques accessibles aux mineurs. Et suite à une mise à jour de 2020, cette infraction reste constituée même si le site s’appuie sur un disclaimer d’âge.
Dans les coulisses de son contrat, Twitter interdit déjà la diffusion de « médias sensibles », notamment des violences explicites et autres contenus pour adultes : « il est interdit de publier des médias excessivement sanglants et de partager des contenus violents ou pour adultes dans des vidéos en direct ou dans des images de profil ou de bannière. Les médias montrant des violences et/ou agressions sexuelles sont également interdits ».
Twitter demande ainsi à chaque utilisateur de qualifier le contenu comme « sensible ». À défaut, ce label peut être apposé par la plateforme. Dans l’un comme l’autre des cas, cette qualification entraîne l’occultation du contenu pour les tiers qui n’activeraient pas son affichage.
« Il se peut également que nous appliquions sur votre compte le paramètre Marquer les médias que vous tweetez comme contenant des éléments pouvant être sensibles afin que les futures publications soient identifiées de manière appropriée » menace Twitter.
Logique d’escalade
Dans une logique d’escalade, en cas de multiples récidives, le service en ligne peut « modifier de façon définitive le paramètre de votre compte en le réglant sur "Marquer les médias que vous tweetez comme contenant des éléments pouvant être sensibles". Vos futures publications seront ainsi accompagnées d'un message d'avertissement sur lequel les utilisateurs devront cliquer pour afficher votre contenu ». Enfin, en cas d’infractions répétées, Twitter peut suspendre voire résilier le compte.
Des résultats probants ? Les deux associations contestent, non sans constater qu’ « en quelques clics, n’importe quel enfant peut ainsi être exposé à des vidéos pornographiques, parfois de nature zoophile, et même à des viols. Il lui suffit de passer outre l’avertissement présenté par le site, sans aucun contrôle de son âge ».
Vers une suspension de tout Twitter ?
Pour elles, aucun doute : la plateforme « ne respecte pas la législation » et celle-ci « s’expose à une potentielle suspension de ses services en France si ses conditions d’utilisation étaient portées à la connaissance de l’ARCOM ».
Sans attendre, elles réclament en toute quiétude « la suspension temporaire des réseaux sociaux qui ne respectent pas les textes législatifs de protection de l’enfance [et] la tenue sans délai d’États généraux concernant la régulation des réseaux sociaux avec pour prisme principal la protection des enfants. »
L'ARCOM ? L’article 227-24 du Code pénal est en effet couplé à une autre disposition : cet article de la loi contre les violences conjugales de 2020 qui permet à quiconque de saisir cette autorité pour que son président constate qu’un site « permet à des mineurs d'avoir accès à un contenu pornographique ».
Après mise en demeure restée infructueuse, la procédure hybride quitte son versant administratif pour entrer dans son volet judiciaire : FAI et moteurs peuvent être astreints par le juge à bloquer et déréférencer ces sites .
Une audience sera d’ailleurs organisée le 24 mai prochain pour le blocage possible de Pornhub, Xnxx, Xvidéos, Tukif et xHamster. Suivra ensuite la procédure initiée contre RedTube et YouPorn, eux aussi dans le viseur depuis peu. Préalablement, le 19 mai, la Cour d’appel de Paris rendra une décision parallèle dans le cadre d’une procédure initiée par e-Enfance et la Voix de l’enfant contre neuf sites, dont ceux visés par l’ARCOM, et cette fois sur des bases juridiques nettement plus habituelles.
Test de proportionnalité
Seulement, envisager comme le font OPEN et la COFRAD la suspension de tout Twitter, en raison de la présence de plusieurs contenus pour adultes accessibles au mineur, est difficilement envisageable.
Certes, Twitter édite bien un service de communication au public en ligne, consistant en des opérations d’hébergement, mais que le président de l’ARCOM décide de lancer une procédure de blocage de la totalité du service en ligne imposerait que celui-ci fasse l’impasse sur la logique de proportionnalité.
Or, dans l’esprit du législateur, la logique du texte de 2020 est bien de s’attaquer aux éditeurs de sites pornographiques, plus qu’aux réseaux sociaux : « cet amendement propose donc d’instituer une nouvelle procédure destinée à obliger les éditeurs de ces sites pornographiques à mettre en place un contrôle de l’âge de leurs clients » écrivait par exemple la sénatrice Marie Mercier, ce 9 juin 2020.
Pour les sites qui ne respecteraient pas les injonctions du président de l’ARCOM de contrôler d‘âge des internautes autrement que par un disclaimer, la loi contre les violences conjugales n’appelle qu’une catégorie d’acteurs sur la scène judiciaire : ce sont les FAI, les moteurs et les « annuaires ». Et la seule option ouverte consiste alors à mettre « fin à l'accès » aux sites qui ignoreraient les demandes de l’ARCOM, sans aucun traitement chirurgical.
Comme une bombe atomique est disproportionnée pour s’attaquer à une mouche, on imagine assez difficilement la justice ordonner un tel blocage. Mais libre aux deux associations de se risquer à saisir l’ARCOM, pour espérer la suspension de tout Twitter.