Hadopi 1 : il y a treize ans, le Conseil constitutionnel censurait la machine à bannir d’Internet

L'Anéfé-mère
Droit 5 min
Hadopi 1 : il y a treize ans, le Conseil constitutionnel censurait la machine à bannir d’Internet
Crédits : Marc Rees (licence CC-BY-3.0)

Mai 2009, les parlementaires adoptent la loi Hadopi première du nom. Un texte qui menaçait les abonnés d’une suspension d’accès à Internet entre 2 mois et un an. Juin 2009, il y a 13 ans, le Conseil constitutionnel cassait cette machine à bannir des réseaux, défendue par le ministère de la Culture et toutes les industries du secteur. 

Le projet de loi « favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet » était adopté sans modification en nouvelle lecture par le Sénat le 13 mai 2009. Soulagement au ministère de la Culture et pour l’ensemble des parlementaires favorables à ce missile législatif.

La France du Minitel avait ainsi enfanté une machine à suspendre des connexions de manière industrielle. Dans les rouages de cette guillotine numérique, le texte partait d’une obligation déjà inscrite dans notre droit par la loi sur les droits d’auteur et droits voisins dans la société de l’information : celle obligeant l’abonné à sécuriser son accès à Internet. 

La loi Hadopi allait associer à cette obligation un régime de sanctions, défendu par la ministre de la Culture d’alors, Christine Albanel, et ses fidèles conseillers Olivier Henrard et Christophe Tardieu. Le titulaire d’un abonnement se voyait intimer l'obligation de veiller à ce que son accès ne serve pas à pirater des œuvres sur les réseaux P2P.

Jusqu'à un an de privation d'Internet

Cet abonné pouvait échapper à ces foudres dans trois hypothèses, pas une de plus : 

  • mettre en œuvre un moyen de sécurisation répondant aux « spécifications fonctionnelles pertinentes » identifiées par la Hadopi. 
  • Démontrer que le piratage est le fait d'une personne « qui a frauduleusement utilisé » son accès.
  • Enfin, démontrer un cas de force majeur.

Si son adresse IP était repérée sur les réseaux P2P, la Hadopi pouvait alors enclencher les premières marches de la riposte graduée. D’abord une première recommandation, avec rappel des règles à respecter, l’existence de moyens de sécurisation labellisés, et une « information » sur l’offre légale des contenus culturels sur Internet. 

En cas de récidive dans les 6 mois, deuxième recommandation, envoyée possiblement par une lettre remise contre signature. Et en cas de renouvellement dans l’année, la Commission de protection des droits de la Hadopi pouvait prendre une série de sanctions.

Cette antenne de la Hadopi pouvait alors décider, selon la gravité des manquements, d’enjoindre l’abonné à installer un moyen de sécurisation labellisé, au besoin sous astreinte, et surtout ordonner la suspension de l’abonnement entre 2 mois et un an.

Liste noire des abonnés bannis

Cette suspension était accompagnée de l’impossibilité de souscrire un abonnement auprès de n’importe quel autre opérateur. Un régime qui rendait nécessaire l’édiction d’une liste noire des abonnés bannis, dont la consultation aurait été obligatoire pour tous les opérateurs, sous peine de sanction pénale d’un montant maximum de 5 000 euros, infligée par la Commission de protection des droits. Afin de ne pas froisser ces mêmes opérateurs, un abonné « suspendu » aurait évidemment dû continuer à payer son abonnement auprès du fournisseur d’accès.

Ces décisions allaient être prises par une autorité administrative, après un échange contradictoire, sans le moindre passage par le juge, sauf en cas de contestation de la décision. 

Hadopi 1 allait ainsi organiser le bannissement des réseaux d’un nombre incalculable d’abonnés, pour des téléchargements de MP3 et de films et séries. Le législateur avait accepté qu’aucune sanction prise sur le fondement de ce défaut de sécurisation ne puisse être prononcée s’agissant d’une œuvre « dont tous les ayants droit résident dans un État étranger ou un territoire situé hors de France à régime fiscal privilégié ». 

De même, un régime de sanctions plus allégées était imaginé pour les abonnés acceptant une transaction où ils se seraient engagés « à ne pas réitérer le manquement constaté à l'obligation » de sécurisation ou « à prévenir son renouvellement ». La suspension était alors de un à trois mois, non de deux mois à un an.

Dernière précision, cette suspension aurait concerné uniquement « l'accès à des services de communication au public en ligne et de communications électroniques ». Ainsi, lorsque l’abonnement est proposé en triple play, avec téléphonie et TV à la clef, « les décisions de suspension ne s'appliquent pas à ces services ». Une suspension sélective à la mise en œuvre complexe, comme l’avait remarqué le président de la CNIL d’alors, Alex Türk, dans un courrier révélé dans nos colonnes (après CADA).

La pelle du 10 juin 

Le 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel censurait l’édifice, avec ce « considérant » gravé dans les mémoires, relatif à la liberté d’expression et de communication : « en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d'accéder à ces services ».

Conclusion : impossible pour le législateur de confier le prononcé de pareilles sanctions à une autorité administrative, même « dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d'auteur et de droits voisins ». 

Au passage, les neuf Sages détectaient un régime de présomption de culpabilité dès lors que l’abonné aurait pu éviter la sanction en démontrant la « fraude » d’un tiers. Un véritable renversement de la charge de la preuve défendue par le ministère de la Culture, heureusement dégommé Rue de Montpensier.  

En quelques lignes, mais au fil d'une décision historique, le « CC » faisait tomber le cœur du dispositif, obligeant le gouvernement à revenir à la charge quelques mois plus tard avec la loi Hadopi 2, laquelle a connu meilleure fortune mais au prix d'un système beaucoup moins ambitieux. La suite d'une histoire racontée dans nos colonnes avec un luxe de détails. 

Vous n'avez pas encore de notification

Page d'accueil
Options d'affichage
Abonné
Actualités
Abonné
Des thèmes sont disponibles :
Thème de baseThème de baseThème sombreThème sombreThème yinyang clairThème yinyang clairThème yinyang sombreThème yinyang sombreThème orange mécanique clairThème orange mécanique clairThème orange mécanique sombreThème orange mécanique sombreThème rose clairThème rose clairThème rose sombreThème rose sombre

Vous n'êtes pas encore INpactien ?

Inscrivez-vous !