L’examen des projets de loi organique et ordinaire sur la transparence de la vie publique se poursuit toute cette semaine. L’ambition est belle, « rénover le cadre de la lutte contre les conflits d’intérêts dans la vie publique », mais les moyens mis en œuvre sont jonchés d’embuches. Les craintes se concentrent maintenant dans la réutilisation des données et spécialement la future attitude de la CNIL.
Ces lois ont été programmées par le Chef de l’État suite au scandale de l’affaire Cahuzac. François Hollande a promis de « s’attaquer à la racine de la défiance de l’opinion, qui demande des garanties sur l’intégrité de ceux qui exercent des responsabilités politiques, et une plus grande efficacité dans la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale. »
L’article, objet de toutes les attentions, est le premier de la loi organique. Il prévoit que les députés et les sénateurs soient soumis à l’obligation de déclarer leur situation patrimoniale à une « Haute autorité de la transparence de la vie publique ». Ils devront également lui faire connaitre leurs déclarations publiques d’intérêts.
Dans ce grand fichier, on trouvera, les immeubles, valeurs mobilières, assurance vie, comptes bancaires, véhicule, activités donnant lieu à rémunération, les activités de consultant, les participations détenues dans les hautes sphères privées, les activités professionnelles des membres de la famille, les activités bénévoles, « les autres liens susceptibles de faire naître des conflits d’intérêts » outre les noms des collaborateurs parlementaires… Bref, tout un panel, de données qui permettent de savoir si tel rapporteur est fin amateur des pressages de telle maison de disques, etc.
Ces déclarations publiques d'intérêts (DPI) fusionneront avec « la déclaration d’activités » déjà existante et prévue par le Code électoral (déclaration sur l'honneur de la liste des activités professionnelles ou d'intérêt général, qu’un parlementaire envisage de conserver).
Le projet de loi veut ainsi muscler le dispositif en obligeant les parlementaires à tenir ces données plus souvent à jour tout en prévoyant des peines renforcées en cas de manquement. Une omission sur une partie importante du patrimoine ? 3 ans d’emprisonnement, 45 000 euros d’amende et une inéligibilité pouvant être définitive. Autrefois, les resquilleurs ne risquaient « que » 30 000 euros d’amende et de l’interdiction des droits civiques. La Haute autorité se verra armée d’un pouvoir d’injonction en cas de déclaration erronée ou incomplète.
La CADA repoussée
Problème, le texte examiné après la commission des lois prévoit aussi que la Haute autorité soit exclue des demandes CADA (voir cet amendement, rejeté). Regards Citoyens, qui milite pour la transparence, fustige ce choix : si elle est confirmée, « cette exclusion rendrait inaccessibles aux journalistes, citoyens ou chercheurs des documents démocratiques essentiels sur la HAT : budget, marchés publics attribués, avis donnés en amont de prises de décisions règlementaires, recommandations générales sur les conflits d’intérêts ou le lobbying... ». L’initiative le regrette amèrement alors qu’« à l’heure actuelle, aucune autorité ou administration n’est entièrement exclue de la loi CADA. Si le texte était adopté en l’état, la Haute Autorité de la Transparence s’avèrerait l’administration la moins transparente de France, un comble ! »
Des déclarations publiques privées de publicité ?
Autre chose, le projet de loi prévoit des peines pour quiconque révèlerait le contenu de ces déclarations. Selon nos informations cela ne concernerait que les déclarations patrimoniales, non les déclarations publiques d’intérêts qui devraient pouvoir être publiées. Mais le souci est aussi de savoir si ces éléments seront réutilisables.
Or, l’expérience récente montre que la CNIL a tout mis en œuvre pour empêcher cela. Lors de la gestation du décret Sunshine sur les liens entre laboratoires et les médecins, ou même lors de la publication des déclarations publiques d’intérêts des hauts fonctionnaires du secteur, la Commission a réclamé la mise en place d’une série de verrous pour éviter la réutilisation ou l’indexation par les moteurs de ces informations. Captcha, Robots.txt., etc. Ces contraintes justifiées par la CNIL par le respect de la vie privée empêchent surtout le retraitement de ces informations. C’est pourtant une nécessité absolue pour quiconque veut contrôler les architectes de la loi, mesurer les liens plus ou moins intimes avec tel secteur (ayant droit, acteurs de l’internet, santé, etc.). On se souvient à ce titre les difficultés qu'avaient eu PC INpact pour obtenir les déclarations publiques d'intérêts des membres de la Hadopi.
À ce jour, le projet loi renvoie à un décret « en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés » le soin de définir « le modèle et le contenu des déclarations et fixe leurs conditions de mise à jour et de conservation. » Cette intervention de la CNIL est logique s’agissant d’information personnelle, mais on peut craindre une nouvelle levée de boucliers de l’autorité.
Des amendements anti verrous
Des contreamendements tentent de déminer terrain comme celui présenté par Isabelle Attard veut préciser que les informations contenues dans les DPI « sont réutilisables au sens de l’article 10 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 » sur l’accès aux documents administratifs. Dans son exposé des motifs, les signataires écologistes mettent spécifiquement en cause la CNIL : « La délibération n° 2013-067 de la CNIL sur le décret « Sunshine », a vidé de son sens l’objectif de transparence de ce décret portant sur les liens entre médecins et les laboratoires pharmaceutiques. En demandant que les informations ne soient pas indexables sur les moteurs de recherche et en imposant la mise en place de « captchas », la CNIL a mis un frein important à l’objectif de transparence voulu pourtant par l’objet même de ce décret. Cela sans apporter aucune garantie dans la protection de la vie privée, favorisant ainsi les laboratoires pharmaceutiques. Ce projet de loi portant sur la transparence, il importe que les informations contenues dans les déclarations d’intérêts le soient avec un format ouvert et réutilisables ».
Les députés Decool, Hetzel ou encore Fasquelle ont programmé d’autres amendements dans le même sens. Ils veulent ainsi que « les données publiées respectent « le référentiel général d’accessibilité pour les administrations », ce qui permettra de consulter et réutiliser l’information publique.
Le texte sera examiné toute la semaine, avec une dernière séance à l’Assemblée programmée le 25 juin 2013. On pourra suivre le flux streaming sur ce lien.