Le tribunal correctionnel de Narbonne a condamné la semaine dernière trois personnes suite à la mise en ligne d’une vidéo au cours de laquelle un adolescent se faisait violenter et humilier. Un homme de 46 ans a écopé d’un an de prison dont deux mois fermes, un second prévenu de 19 ans a été condamné à 6 mois d’emprisonnement avec sursis. Enfin, une jeune femme ayant filmé la scène a quant à elle été punie à 150 heures de travaux d’intérêt général.
Les faits sont relatés par Le Midi Libre : en novembre 2012, une vidéo intitulée « Gogol ramasse » est publiée sur YouTube. On y voit un adolescent de 16 ans subir des violences et humiliations dans une boulangerie dans laquelle il travaillait depuis peu. « Visage hagard et suppliant qu’on le laisse tranquille, le malheureux est aspergé de farine, d’œufs, de colorants alimentaires... Puis jeté dans une poubelle qui est remplie d’eau et dont le couvercle est refermé, avec un des individus sautant dessus pour l’empêcher de sortir », racontent nos confrères.
C’est d’ailleurs la mise en ligne de ce film d’une durée d’un peu plus de deux minutes qui décide la victime, présentée comme un jeune homme réservé, à porter plainte. Car la vidéo en question a été prise trois mois plus tôt, à la mi-août, depuis un téléphone portable. Au total, ce sont cinq personnes qui étaient ici mises en cause : deux mineurs, qui ont écopé en mars dernier de mesures éducatives, et trois majeurs. Patrice, 46 ans, Thomas, 19 ans et Nadia, 18 ans, comparaissaient ainsi jeudi dernier devant le tribunal correctionnel de Narbonne.
Trois adultes devant le tribunal correctionnel de Narbonne
Ce qui leur était reproché ? Des faits de violence en réunion pour les deux premiers, et l'enregistrement ainsi que « la diffusion de l'enregistrement d'images relatives à la commission d'une atteinte volontaire à l'intégrité d'une personne » pour la troisième, Nadia. Mais si cette dernière a reconnu devant les juges avoir filmé la scène, elle a nié en avoir eu l’idée, comme le rapporte L’indépendant. Les trois prévenus se sont d’ailleurs renvoyés la balle à ce sujet selon nos confrères, ceux-ci assurant vouloir conserver le film au sein d’un cercle restreint.
Le Parquet a quant à lui focalisé son attention sur Patrice, référent de la victime dans le cadre de son apprentissage. « C'est vous qui avez voulu cette vidéo, d'abord de portable à portable. Puis ensuite postée sur Internet », lancera ainsi Fabien Tourette, procureur de la République. Au passage, quand ce dernier demande au plus âgé des prévenus pourquoi il a publié cette vidéo sur deux réseaux sociaux avec comme titre « Gogol ramasse », Patrice répond : « Si j'avais su que ça déboucherait sur une garde à vue, je n'aurais pas posté la vidéo ». Conclusion du président du tribunal: « Donc dans le cas contraire, vous auriez posté la vidéo »...
Dans sa décision, rendue le 13 juin dernier, le tribunal correctionnel de Narbonne a condamné Patrice a 12 mois de prison : 2 mois fermes et 10 mois avec sursis. Thomas a écopé de 6 mois de prison avec sursis et Nadia de 150 heures de travaux d’intérêt général. Le ministère public avait requis 12 mois de prison assortis de 9 mois de sursis simple pour Patrice, 6 mois avec sursis pour Thomas mais aussi pour Nadia. Maître Élodie Couturier, l’avocate de la jeune fille, a expliqué à PC INpact que sa cliente ne ferait pas appel, dans la mesure où elle considérait cette décision comme « juste ».
Happy Slapping, une intervention utile du législateur ?
Cette décision permet de rappeler que la mode dite du « happy slapping » (« Joyeuses baffes » ou vidéolynchage), est punie spécifiquement depuis une loi adoptée en 2007. En effet, au travers d’un nouvel article du Code pénal, le 222-33-3, il est dorénavant prévu que « le fait d'enregistrer sciemment, par quelque moyen que ce soit, sur tout support que ce soit, des images relatives à la commission de ces infractions [des atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, ndlr] » est constitutif d'un acte de complicité de telles infractions. Et en tant que complice, la personne filmant ces infractions devient ainsi éligible aux mêmes peines que leurs auteurs directs. Cet article du Code pénal prévoit en outre que le fait de diffuser l'enregistrement de telles images est puni de cinq ans de prison et de 75 000 euros d'amende. Autrement dit, celui qui filme risque au final (et sur le papier) plus que les auteurs des violences, même si cette affaire rappelle que la justice reste souveraine dans son interprétation du droit.
On retiendra enfin que peu de décisions ont été rendues à notre connaissance s’agissant de ce type d’affaires. Seul un jugement datant de septembre 2007 (et disponible sur Legalis) consacre la condamnation d’un lycéen à un an de prison, dont six mois avec sursis, pour avoir filmé une de ses professeures en train de se faire violenter par un autre élève durant un cours. Le tribunal de grande instance de Versailles n’avait cependant pas pu motiver sa décision sur le nouvel article 222-33-3 du Code pénal, dans la mesure où les faits étaient antérieurs à la loi de 2007. Cela n'avait néanmoins pas empêché les juges d'enjoindre le garçon à verser 5 000 euros de dommages et intérêts à la victime, plus 2 000 euros au titre des frais de justice.
Pour ceux que cette thématique intéresserait, Alexandre Andujar, co-président de l'Association de lutte contre le bizutage, nous a expliqué ce week-end comment les vidéos d'actes humiliants mises en ligne sur des plateformes telles que YouTube ou Dailymotion aidaient à lutter contre ce phénomène : voir notre article.