EncroChat : le Conseil constitutionnel valide le secret défense sur les outils de captation

EncroChat : le Conseil constitutionnel valide le secret défense sur les outils de captation

James Bond 1958

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Marc Rees

Publié dans

Droit

08/04/2022 6 minutes
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EncroChat : le Conseil constitutionnel valide le secret défense sur les outils de captation

Les autorités françaises ont pu pirater les terminaux EncroChat en s’appuyant sur des outils de surveillance numérique protégés par le secret défense. Voilà ce qu’a jugé ce matin le Conseil constitutionnel.

Le 29 mars dernier, plusieurs avocats se succédaient à la barre du Conseil constitutionnel pour adresser un déluge de critiques à l’encontre d’un article du Code de procédure pénale bien peu respectueux, à leurs yeux, des libertés et droits fondamentaux.

Cette disposition avait permis à la gendarmerie française d’intercepter, analyser et décrypter une myriade de messages chiffrés sur les terminaux Encrochat. S'ensuivaient de nombreuses saisies de drogues, d’avoirs et d’arrestations, et déjà de premières condamnations

Cette intervention avait été rendue possible grâce à l'article 706-102-1 du Code de procédure pénale, qui autorise le procureur de la République ou le juge d'instruction à avoir recours aux moyens de l'État « soumis au secret de la défense nationale ». Une véritable passerelle entre le judiciaire et le renseignement pour utiliser des outils couverts par le secret défense.

Cette particularité avait concentré toutes les critiques. Me Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, représentant également la Ligue des droits de l’Homme et l’Association des avocats pénalistes, avait été jusqu’à dénoncer une « barbouzerie James-Bondesque » disproportionnée.

« L’enjeu n’est pas d’interdire ou d’empêcher le recours à des moyens technologiques qui permettent à des enquêteurs de casser le cryptage qui servirait à la dissimulation d’information. L’enjeu n’est pas de désarmer l’État », indiquait-il devant les neuf Sages :

« L’enjeu est que le recours à ces moyens hors du commun soit suffisamment encadré et organisé par le législateur pour que puissent s’exercer les droits qui sont normalement dévolus à toute personne mise en cause dans une enquête pénale. Or pour le moment, en l’état de ces textes, il n’en est rien ».

Avec le secret défense, embrayait Me Robin Binsard, avocat de Saïd Z., l’une des personnes tombées dans les filets de cette opération, « concrètement cela veut dire qu’on vous attribue des messages, des données, des enregistrements vocaux, des contenus, mais qu’il vous est impossible de savoir d’où viennent ces données, si elles sont authentiques, comment elles ont été collectées, et dans quel contexte ». Les garanties procédurales ? « Du vide, du vent, vous n’avez aucune garantie procédurale. Il n’y a pas de critère, il n’y a pas de recours ».

Atteinte aux droits de la défense, aux principes de l'égalité des armes et du contradictoire, au droit à un recours juridictionnel effectif, au droit au respect de la vie privée, au droit à la protection des données personnelles, au secret des correspondances et au final à la liberté d'expression. En somme, une boucherie constitutionnelle, que les avocats ont lourdement condamnée.

Le secret défense pour ne pas fragiliser le renseignement

L’analyse n’a pas été partagée par le Conseil constitutionnel, qui rappelle que le législateur se doit d’assurer la conciliation entre ces différents droits et, sur l’autre plateau, « l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions et les exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, dont participe le secret de la défense nationale ».

Dans son examen de proportionnalité, il relève que les outils, et eux seuls, sont couverts par le secret de la défense nationale. Et ces informations purement techniques sont effectivement évincées du « débat contradictoire ».

Cependant, l’objectif poursuivi par le législateur est de « permettre aux autorités en charge des investigations de bénéficier de moyens efficaces de captation et de mise au clair des données, sans pour autant fragiliser l'action des services de renseignement en divulguant les techniques qu'ils utilisent ».

Dit autrement, obliger la levée du secret sur ces outils mettrait à mal la capacité des services du renseignement, comme alertait d’ailleurs le gouvernement à l’audience. Et pour le Conseil constitutionnel, contrairement aux affirmations des avocats, il existe bien plusieurs niveaux de protection et de contrôle sur cette procédure.

Un mille-feuille de contrôles

L’usage de ces outils doit être autorisé « par le juge des libertés et de la détention ou par le juge d'instruction », dans le seul cadre de procédures visant « certains crimes et délits d'une particulière gravité et complexité ».

Le Conseil rappelle de même que la mise en œuvre de cette technique se fait sous le contrôle du magistrat, « qui peut ordonner à tout moment son interruption ». En outre, les données captées « sont placées sous scellés ».

En troisième lieu, si la technique est couverte par le secret de la défense nationale, le dossier de procédure reste suffisamment garni. On y trouve mentionnées… :

  • « l'infraction qui motive le recours à ce dispositif »,
  • « la localisation exacte ou la description détaillée des systèmes de traitement automatisé de données concernés »,
  • « la durée pendant laquelle cette opération est autorisée ».
  • « Le procès-verbal de mise en place du dispositif, qui mentionne notamment la date et l'heure auxquelles l'opération a commencé et s'est terminée ».
  • La description et la transcription des données enregistrées « jugées utiles à la manifestation de la vérité ».

Enfin, « l'ensemble des éléments obtenus à l'issue des opérations de mise au clair font l'objet d'un procès-verbal de réception versé au dossier de la procédure et sont accompagnés d'une attestation visée par le responsable de l'organisme technique certifiant la sincérité des résultats transmis ».

Et le Conseil de rappeler que « la juridiction peut demander la déclassification et la communication des informations soumises au secret de la défense nationale ».

Ces mesures et contrôles assurent « une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles », juge le Conseil, qui n’a donc pas détecté d’atteintes disproportionnées au droit à un recours juridictionnel effectif, au droit au respect de la vie privée, à la liberté d'expression, « ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ».

Écrit par Marc Rees

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Le secret défense pour ne pas fragiliser le renseignement

Un mille-feuille de contrôles

Le brief de ce matin n'est pas encore là

Partez acheter vos croissants
Et faites chauffer votre bouilloire,
Le brief arrive dans un instant,
Tout frais du matin, gardez espoir.

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Commentaires (6)


Humm alors comment vérifier que les données du PV ne sont pas corrompues si les données de bases et les logiciels sont Secrets ?


Ce que je comprends c’est que le CC rappelle que le juge peut demander la levée de ce secret. Charge aux avocats de la défense de le convaincre.



(reply:2065612:the_frogkiller) Surtout qu’il n’est absolument jamais arrivé que les forces de l’ordre commettent des faux en écriture publique pour couvrir des bavures, jamais…




Soriatane a dit:




L’important c’est “peut demander” mais pas forcément “avoir”. Aucunes contre expertise sera possible


Comme pour les fichés S qui ne savent pas pourquoi ils le sont et qui n’ont pas accès aux notes des RGs qui sont données au juge en cas de procès. Donc en fait, vous êtes à la merci de ce que l’analyste a écrit dans ces notes, que ce soit vrai ou faux. Il ne reste qu’à espérer qu’il n’a rien bu avant d’écrire et qu’éventuellement, il ne soit pas raciste / antisémite.



Vu la masse de fichés S pour rien, et vu la tendance que suit la république en terme de restrictions arbitraires… on enviera bientôt la corée du nord.


Puisqu’on va faire barrage au second tour, qu’est-ce qui pourrait bien aller mal ?