Edward Snowden, à l’origine des révélations faites sur le programme secret de surveillance PRISM de la NSA, était hier invité par The Guardian à une séance de questions/réponses avec les lecteurs du journal. De nombreuses interrogations concernaient des compléments sur des propos déjà tenus, des clarifications sur certains doutes, ainsi que la manière dont il considère le futur, notamment les répercussions de ses actes.
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Aucun regret
Edward Snowden est un ancien technicien de la CIA (entre autres). À l’origine du scandale du programme de surveillance PRISM, il se cache depuis plusieurs semaines dans un hôtel à Hong-Kong. De là-bas, il continue à faire des révélations, notamment sur l’intrusion de la NSA dans les routeurs chinois, ainsi que la surveillance par les renseignements britanniques des membres du G20, lors des réunions d’avril et septembre 2009.
Le Guardian, qui a révélé les premières informations transmises par Snowden, garde une relation privilégiée avec le lanceur d’alerte. Le journal a ainsi pu organiser une session de questions/réponses avec ses lecteurs. Les questions retenues ont été envoyées à Snowden qui a par la suite publié ses réponses directement dans les commentaires.
Âgé de 29 ans, Snowden a eu ici l’occasion d’en dire davantage sur les raisons qui ont l’ont poussé à cet exil. Interrogé sur les révélations autour des routeurs chinois, il explique que jamais il n’a donné des informations sur des « cibles militaires légitimes », mais uniquement sur des infrastructures civiles « telles que des universités, des hôpitaux et des entreprises privées ». Il ajoute que ces opérations sont des « actes criminels, quelle que soit la cible » et qu’elles peuvent avoir de graves conséquences, car une erreur peut entraîner le crash de machines critiques. En outre, ces opérations reviennent le plus souvent à obtenir illégalement des informations dans des pays alliés.
« Être appelé traître par Dick Cheney est le plus grand des honneurs »
Sa détermination semble en outre inaltérée : « Tout ce que je peux dire maintenant est que le gouvernement américain ne sera capable de masquer tout ça en me mettant en prison ou en m’assassinant. La vérité arrive, et elle ne peut pas être stoppée ». Sa vision de lui-même est clairement celle d’un patriote, et confronté aux accusations de « traître », notamment par Dick Cheney (ancien vice-président des États-Unis et très impliqué dans la guerre en Irak), il assène : « Être appelé traître par Dick Cheney est le plus grand honneur que vous puissiez faire à un Américain », en expliquant que c’est le même Cheney qui a procédé à de nombreux espionnages sans autorisation et qui a littéralement « conçu » le conflit en Irak.
Interrogé sur le futur des sonneurs d’alerte, Snowden donne une réponse intéressante, qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler le phénomène du piratage sur Internet. Ainsi, des sonneurs tels qu’Ellsberg ou Manning ont pavé la route, et même si les agences concernées renforcent leur protection, cela ne change que le niveau technique requis pour de futures fuites. Pour Snowden, Obama est en fait piégé : plus les actions contre lui seront dures, plus la réponse du public le sera également. Se disant très déçu par les promesses brisées du président actuel, il estime qu’il s’agit ici d’une opportunité de retour à un fonctionnement plus sain : « Il a encore le temps de s’inscrire dans l’histoire comme le président qui a regardé dans l’abysse et a reculé ».
L’ancien agent du renseignement a également fait face à une question reflétant une inquiétude grandissante : celle qu’il aurait pu être en fait un agent-double travaillant pour la Chine. Une hypothèse qu’il réfute en expliquant qu’il n’a « aucun contact avec le gouvernement chinois » et qu’il ne « travaille qu’avec des journalistes ». Il se dit dans tous les cas « prêt à mourir » pour ce qu’il a fait.
Les révélations ne sont pas terminées
À ceux qui se demandent si Snowden a encore des révélations potentielles, la réponse est oui. Questionné sur les fameux accès directs, il explique : « Des détails supplémentaires sur les accès directs de la NSA vont venir, mais en général, ça se passe ainsi : si un analyste de la NSA, du FBI, de CIA ou de la DIA a la capacité de faire des requêtes dans les bases de données du renseignement, ils peuvent entrer et obtenir les résultats qu’ils veulent. Numéro de téléphone, email, identifiant utilisateur, IMEI et ainsi de suite, c’est la même chose ».
Pour Snowden, le véritable problème réside dans la protection de ces bases de données : elle n’est pas technique mais uniquement basée sur une politique de confidentialité. Non seulement cette politique peut changer à tout moment, mais elle peut être aisément contournée car elle est sujette à interprétation. Il juge également les audits inutiles : « ils sont vite faits, incomplets et aisément trompés par de fausses justifications ». Dans le cas de la surveillance du G20 par le GCHQ anglais, il indique par exemple que les requêtes ayant vraiment l’objet d’un audit ne représentent que 5 %.
La NSA peut tout obtenir
Mais concrètement, les analystes peuvent-ils accéder au contenu des appels intérieurs sans autorisation ? Dans la pratique, c’est bien le cas répond Snowden. Il explique ainsi que les collectes de données sont réalisées par des analystes via des autorisations qui n’ont rien à voir avec celles, beaucoup plus classiques, demandées par la police. Les agents du renseignement remplissent ainsi des formulaires qu’ils envoient à des juges « fiables » mais en fin de compte, « quelqu’un de la NSA a toujours le contenu de vos communications ». Cela inclut aussi bien le contenu qu’un enregistrement de cette communication : « Adresses IP, données brutes, contenu, en-têtes, pièces jointes, tout. Et tout ceci reste sauvegardé pour une très longue période qui peut être étendue avec des dispenses plutôt que des autorisations ».
Enfin, interrogé sur ses propos concernant la surveillance possible de n’importe quel Américain, y compris le président lui-même, il confirme et insiste : « Plus fondamentalement, la protection des « personnes américaines » est une distraction pour le pouvoir et un danger de ce système. La surveillance sans preuves ne devient pas Ok simplement parce qu’elle ne fait que 95 % de victimes au lieu de 100 % », faisant référence à des « points d’entrée » de la surveillance si larges qu’ils ne filtrent pratiquement rien.