L’Europe se trouve dans une bien délicate situation dans le spatial. Le retard d’Ariane 6 (et de Vega-C) combiné à la fin des lancements sur les fusées russes Soyouz obligent à revoir les plans à court et moyen termes. Les solutions sont peu nombreuses… et c’est finalement SpaceX qui en profite le plus.
La guerre en Ukraine a des répercussions très importantes au niveau mondial, dans tous les secteurs d’activité. Depuis l’invasion militaire russe, des sanctions économiques et commerciales ont rapidement été mises en place contre le pays de Vladimir Poutine, qui a rétorqué en faisant de même.
Dans le domaine spatial, cela donne le retrait des Russes de la base de lancement de Kourou en Guyane et l'arrêt de l’utilisation des lanceurs russes Soyouz. L’ESA et Roscosmos avaient en effet signé en 2011 un (ex- ?) partenariat. C’est un problème pour l’Europe qui dispose pour rappel de trois familles de fusées, chacune avec sa spécificité.
Soyouz : un des triptyques spatiaux de l’Europe
Ariane 5 – et ses différentes déclinaisons – est le lanceur lourd… qui attend depuis des années de partir à la retraite pour laisser sa place à Ariane 6. Cette dernière sera beaucoup plus compétitive et devrait permettre à l’Europe de mieux se positionner dans le New Space, notamment face à SpaceX.
Vient ensuite Soyouz, un lanceur intermédiaire utilisé par les Russes et Arianespace depuis 2011. Il permet notamment d’emmener des équipages sur la Station spatiale internationale (qui peuvent désormais voyager sur Crew Dragon de SpaceX), lancer les vaisseaux cargo Progress pour ravitailler l’ISS et mettre sur orbite des satellites russes ou européens. Enfin Vega est un lanceur léger, qui attend lui aussi sa relève avec Vega-C.
Depuis l’arrêt des opérations de Soyouz pour les partenaires internationaux, ces derniers doivent trouver des alternatives pour envoyer leurs satellites en orbite, surtout quand ils sont prêts et que des lancements étaient prévus à court terme.
OneWeb signe avec SpaceX, un lancement dès 2022
OneWeb (racheté par le Royaume-Uni et l’indien Bharti Global en 2020) est dans cette situation, mais la société a trouvé une solution de repli du côté américain : « la société et SpaceX ont conclu un accord qui permettra à OneWeb de reprendre les lancements de satellites ». L’annonce a fait l’effet d’une petite bombe dans le milieu.
Et le moins que l’on puisse dire c’est que le calendrier est serré : « Le premier lancement avec SpaceX est prévu en 2022 et s’ajoutera à la constellation totale en orbite de OneWeb qui s’élève actuellement à 428 satellites, soit 66 % de la flotte. Le réseau de OneWeb offrira une connectivité mondiale à haut débit et à faible latence ».
Une aubaine pour SpaceX, qui devrait encore augmenter la cadence de ses lancements après une année 2021 de tous les records. Peu importe si OneWeb concurrence Starlink, la constellation basse altitude de SpaceX distribuant Internet. Nous n’avons par contre pas plus de détails sur les termes de l’accord qui sont confidentiels, précise OneWeb. Aucune date ni montant ne sont ainsi indiqués.
Depuis octobre 2021, le capital de OneWeb est pour rappel détenu à 30,0 % par l’indien Bharti, puis à 22,9 % par le français Eutelsat, qui est donc le deuxième actionnaire devant l’État britannique. Au milieu de cette cacophonie souveraine, Eutelsat et OneWeb continuent leur petit bonhomme de chemin et viennent d’annoncer la signature d’un « partenariat global de distribution ».
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OHB militerait pour envoyer Galileo sur SpaceX
Une autre histoire agite les médias ces derniers jours : Galileo. Le système de positionnement par satellite, concurrent du GPS américain, devait envoyer de nouveaux satellites à bord d’une fusée Soyouz en attendant qu’Ariane 6 soit opérationnelle. Si 12 satellites ont été envoyés en orbite via Ariane 5 dans le passé (2016 à 2018), c’était avec la version 5ES qui n’est aujourd’hui plus commercialisée. Soyouz avait repris le flambeau fin 2021 après trois ans de pause.
« Sans Soyouz, nous sommes sans solution de rechange pour l’instant », nous expliquait Arnaud Saint-Martin, sociologue et chargé de recherche au CNRS. Entre la préretraite d’Ariane 5, le retard d’Ariane 6 et l’impossibilité d’utiliser Vega pour ce genre de lancement, « l’exercice de notre souveraineté (française, européenne) est menacé [… ] On imagine mal l’Union européenne, l’ESA ou des agences d’États européens s’attacher les services d’un lanceur commercial états-unien aussi agressif sur le marché que SpaceX… », ajoutait-il.
Et pourtant… Selon Challenge, « le constructeur de satellites allemand OHB, actionnaire minoritaire d’Arianespace, fait campagne en coulisses pour que les prochains satellites Galileo soient lancés par des Falcon 9 de SpaceX, plutôt que par Ariane 6 ». Un des problèmes étant certainement le délai d’attente pour qu’Ariane 6 soit opérationnelle. Et tout le monde ne pourra pas être présent sur les premiers lancements, le temps d’attente risque d’être important.
OHB souhaiterait que Bruxelles passe par des fusées Falcon 9 pour trois lancements de satellites Galileo, puis « la Commission s’engagerait ensuite à effectuer d’autres tirs sur RFA One, le mini-lanceur de RFA (Rocket Factory Augsburg), filiale d’OHB, à partir de 2024 ». OHB en profite donc pour se placer en alternative aux lanceurs européens.
Aucune des parties concernées n’a pour le moment souhaité faire de commentaire sur le sujet. Pour de nombreux observateurs, la situation est grave : « Ce n’est pas qu’un coup dur, c’est une défaite totale », explique par exemple l’ingénieur et spécialiste de la conquête spatiale François Leproux.
L’ESA en quête de licornes… d’alternatives
Alors que l’idée d’un « buy european act » dans le domaine spatial faisait son chemin depuis plusieurs années, la réalité du terrain est pour le moment plus compliquée. D’autant qu’il est impossible pour l’instant de prévoir quand la guerre s’arrêtera et si cela signifiera la fin des sanctions internationales et le retour à la coopération dans le domaine spatial.
Pour l’Europe, les conséquences sont importantes avec la suspension d’ExoMars (qui accumule aussi les retards) et de « toutes les missions dont le lancement était prévu par Soyouz », Euclid, EarthCare ainsi qu’un lancement institutionnel supplémentaire en plus des satellites Galileo.
L’Agence spatiale européenne a demandé à son directeur général d’entamer « une évaluation sur d’éventuels services de lancement alternatifs pour ces missions ». Il est évidemment question d’Ariane 6, mais la fusée n’a même pas encore effectué son vol d’essai… Pour le reste, les choix sont limités.
SpaceX aux anges, Starship en mai ?
Que ce soit avec ou sans les lancements de Galileo, la situation actuelle remet certainement un peu de beurre dans les épinards de SpaceX. La société enchaine les succès sur les lancements et récupère à tour de bras ses premiers étages pour les réutiliser jusqu’à une dizaine de fois. L’année 2022 promet d’être chargée.
SpaceX avance sur plusieurs fronts à la fois et espère envoyer en orbite son futur lanceur Starship au mois de mai… une annonce à prendre avec les pincettes habituelles, tant la société d’Elon Musk est habituée aux retards à répétitions.
La société prévoit d’avoir 39 moteurs « en état de vol » d’ici le mois d’avril. Il faudra alors compter encore un mois pour les intégrer, explique Elon Musk.