Devant la justice européenne, RT France dénonce une atteinte à la liberté d’expression

Durax lex, CEDH lex
Droit 5 min
Devant la justice européenne, RT France dénonce une atteinte à la liberté d’expression
Crédits : LegART/iStock

Le 8 mars dernier, Russia Today a contesté devant la justice européenne son bannissement audiovisuel et numérique, suite à la publication d'un règlement du Conseil une semaine plus tôt. Next INpact a pu s’entretenir avec Me Piwnica, qui défend les intérêts de RT France.

Le règlement, pris dans le contexte de l’invasion militaire russe en Ukraine, impose en substance un bannissement de Sputnik et RT, leurs chaines éponymes, sites et comptes sur les réseaux sociaux.

Chez les FAI, c’est la cacophonie en Europe, faute de précision apportée par les instances européennes sur la liste des domaines à bloquer. Une lacune qui a obligé chaque intermédiaire à décider seul du contenu de la liste noire. 

Sur les réseaux sociaux, la Commission européenne a précisé que « si un autre média prétend informer ses lecteurs ou spectateurs, mais en réalité diffuse le contenu de Russia Today ou Sputnik (…), il enfreindra l'interdiction énoncée dans le règlement ».

Et l'institution d’assumer une « tension » avec l’interdiction de la surveillance généralisée, inscrite dans la directive de 2000 dite « commerce électronique ». Si les intermédiaires doivent supprimer les contenus labellisés « RT » ou « Sputnik », la mesure les oblige en effet à surveiller tous les flux les dupliquant.

Dans un courrier adressé à Twitter le 4 mars, la même Commission a pris la peine de fournir la liste des comptes que Twitter a dû depuis restreindre : @rtuknews, @Rt_com, @rt_russian, @rtenfrancais, @actualidadrt, @RTarabic, @RTarabic_Bn, @RTSportNews, @RT_Doc, @rtd_rus, @Infrarotmedien, @De_rt_com, @RTultimahora, @CartasmesaTV, @sputnik_tr, @sputnikmundo, @sputnikInt, @sputnik_ar, @sputnik_fr, @sputnik_brasil, @sputnik_jp, @rs_sputnik, @Sputnik_pashto, @Sputniknewskz.

Face à cette fermeture généralisée, la réaction juridictionnelle était attendue. Russia Today France a décidé de porter le débat devant le Tribunal, défendue par l’avocat Emmanuel Piwnica. À la Cour de justice de l’Union européenne, c’est la juridiction compétente pour statuer sur les recours en annulation introduits par des particuliers ou des entreprises.

« On a tout de même un petit souci »

« Cette décision est choquante », réagit le juriste, doigt sur le règlement. Interrogé par Next INpact, il concentre ses critiques « essentiellement sous le visa de la liberté d’expression et de la liberté de la presse ».

« On ne peut reprocher à un organe de presse que ce qu’il a dit, parce qu’il a manqué à ses obligations, non ce qu’il est ». Or, pour Me Emmanuel Piwnica, « la commission reproche à RT France ce qu’elle est, en un mot les liens qu’elle peut avoir, son actionnariat, ses relations, etc. », mais pas ce qu’elle a dit :

« Si la commission commence à décider, dans les organes de presse, qui sont les bons, qui sont les mauvais, qui a le droit de parler, qui n’a pas le droit de parler, on a tout de même un petit souci ».

Ces mesures de restriction sont peut-être avant tout des mesures de rétorsion face à l’invasion militaire russe en Ukraine, cependant, rétorque l’avocat, « qu’on prenne des mesures de rétorsion face à la menace, qu’on ferme, etc., c’est une chose, mais qu’on puisse prendre de telles mesures à l’égard d’un organe de presse consistant en réalité à porter atteinte à une liberté fondamentale, la liberté d’expression, il y a un sujet ! »

Selon lui, « le sujet est de savoir si on a quelque chose à reprocher à un organe de presse qui ne ferait pas son métier selon les principes classiques en matière de journaux, en respectant la déontologie des journalistes... mais ce n’est pas le cas ici ».

Arcom et SNJ

Il relève que la convention passée entre RT France et l’ARCOM (ex-CSA) « n’a pas été remise en cause » par l'autorité, et rappelle l’hostilité du Syndicat national des journalistes (SNJ).

Dans une résolution publiée le 19 mars, le SNJ a fait part de ses inquiétudes quant à « la montée de la censure dans le monde, dans le sillage de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui est aussi une guerre de l’information et de la propagande ». 

En Ukraine, « la sécurité des centaines de journalistes nationaux et internationaux est préoccupante ». En Russie, « la nouvelle loi sur la presse interdit la liberté d’informer des journalistes des médias russes, comme des correspondants des médias étrangers ».

Le SNJ estime enfin que l’Union européenne a pris « une décision arbitraire et inédite, en interdisant à certains médias, dont Russia Today France d’émettre dans toute l’Europe ». « Au-delà des débats sur les choix éditoriaux des médias en question, cet épisode constitue pour le SNJ un précédent dangereux pour la liberté de la presse en Europe ». Et le syndicat de renouveler « son soutien aux journalistes de RT France, privés de travail ».

« Que la situation soit grave et gravissime, croyez-moi, je ne suis pas le dernier à le penser. Qu’elle justifie cette mesure, certainement pas », insiste encore Emmanuel Piwnica :

« En Europe, l’un des fondements même, c’est la liberté d’expression. Il y a une jolie formule de la Cour européenne des droits de l’homme : cette liberté ne protège pas seulement les idées reçues ou communes, mais aussi celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population ».

Le Tribunal n’a pu nous fournir aucun calendrier pour le dossier en cours (la page officielle de la procédure). Pour sa part, le Conseil tient à jour une liste chronologique des mesures de restriction mises en oeuvre.

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