Twitter France et son directeur général Damien Viel ont donc été relaxés hier par le tribunal correctionnel de Versailles. Une décision naturelle, normale, évidente, dès lors qu’une assignation vient frapper à la mauvaise porte, celle de l’antenne commerciale française du service en ligne.
Les faits remontent à 2021. En plein couvre-feu, un tweet de @Prefet78 informe d’un contrôle de gendarmerie à la gare de péage de Saint Arnoult en présence du secrétaire général de la préfecture des Yvelines, Étienne Desplanques.
Les esprits s’échauffent en ligne. Un internaute, sous pseudonyme, poste ce commentaire: « il faudra penser à le pendre aussi quand la France sera libérée. J'en ai marre de ces nazis qui nous gouvernent et qui pensent avoir le droit de contrôler notre quotidien ! ». Un autre, toujours sous pseudonyme, ajoute sa pierre avec une photo de la police de Pétain bras droit en l’air, accompagnée de ce commentaire « Toutes nos félicitations à notre zélé Secrétaire Général ! ».
Le secrétaire général dépose plainte fin mars, dénonçant une possible diffamation, devenue par la suite injure aggravée. Le procureur de la République adjoint fait adresser deux réquisitions à Twitter inc. afin d’identifier ces deux internautes. Depuis San Francisco, Twitter répond que ces demandes doivent être faites conformément au traité d’entraide judiciaire (ou « MLAT »), via les tribunaux irlandais ou américains ou par commission rogatoire.
Après cet échec américain, la procédure se recentre sur… la France, avec la convocation le 7 juin 2021 de Damien Viel, directeur général de Twitter France, devant la DRPJ (Direction Régionale de la Police Judiciaire). Il explique patiemment que Twitter France s’occupe du marketing (« conseil en relations publiques et communication », dixit le Registre du commerce et des sociétés). Et que pour identifier les personnes derrière un pseudonyme, il faut s’adresser à l’entité irlandaise de Twitter (Twitter international), seule à détenir ces informations s’agissant des utilisateurs européens.
Les termes de Twitter expliquent tout aussi clairement que cet accord est noué entre les internautes européens et Twitter International Company, « société irlandaise dont le siège social est sis à One Cumberland Place, Fenian Street Dublin 2, D02 AX07 Irlande ».
En somme Twitter France ne dispose pas des données détenues par Twitter International. Damien Viel n’est qu’un salarié de l’entreprise et ne dispose pas davantage de ces informations… tout comme, pourrait-on dire, qu'une société A ne dispose pas davantage des données d’identification d’un utilisateur d'une société B.
Twitter France au dessus des lois ?
Malgré cette patiente pédagogie, les multiples alertes adressées aux autorités, Twitter France est poursuivie pour avoir « refusé malgré réquisitions de communiquer les données d’identification ». La presse s’en empare, dont l’émission Quotidien qui résume : « Twitter qui fait obstruction à une enquête policière, c’est pour cela que le responsable français se retrouve dans la case "prévenu" ».
« Est-ce que Twitter se croit au-dessus des lois, ou pas ? » interroge Azzeddine Ahmed-Chaouch, micro tendu vers Damien Viel, à la porte de la salle d’audience.
La jurisprudence récente était pourtant pour le moins bavarde sur le sujet.
Une pluie de jurisprudences
Dans un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 17 mai 2019, il avait été jugé qu’ « en communiquant son extrait Kbis et les conditions d’utilisation de Twitter, la société Twitter France justifie qu’elle a pour seule activité principale la commercialisation et la monétisation du réseau d’informations Twitter et que c’est la société Twitter International Company qui est hébergeur et qui est seule responsable du traitement des données ».
Le 25 juin 2020, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence jugeait à son tour que c’est bien « la société Twitter International Company, entité irlandaise, qui collecte, gère, conserve et traite les données ». La structure « est l’hébergeur et l’administrateur des données s’agissant des publications et contenus dénoncés (…) comme étant diffamatoires et injurieux ».
En juillet 2021, au civil, la justice avait tout autant mis hors de cause Twitter France, déjà défendue par Me Karim Beylouni, au motif qu’« il ressort de l’extrait Kbis et des conditions d’utilisation de Twitter, que la société Twitter France a pour activité exclusive la commercialisation et la monétisation du réseau d’informations Twitter ».
Le marteau versaillais, l’enclume RGPDienne
Twitter France se retrouvait en outre entre le marteau versaillais et l’enclume RGPDienne, puisqu’au regard des conditions générales d’utilisation acceptées par les personnes concernées, elle ne pouvait ni conserver ni communiquer leurs données à caractère personnel, sauf à se retrouver en indélicatesse avec le règlement européen du 25 mai 2018. Au surplus, une communication indue de données à caractère personnel aurait pu être pénalement sanctionnée.
En 2013, la Cour de cassation avait déjà relevé que les « officiers de police judiciaire n'ont, en principe, compétence que dans les limites territoriales où ils exercent leurs fonctions habituelles ».
Certes, « il ne leur est pas interdit de recueillir, notamment par un moyen de communication électronique, des renseignements en dehors de leur circonscription, fût-ce en adressant directement une demande à une personne domiciliée à l'étranger ». Mais la haute juridiction avait précisé que dans un tel cas, l’entité étrangère est « libre de ne pas y répondre ».
Hier, le tribunal correctionnel a naturellement prononcé la relaxe sur la base des moyens de défense. On ne sait pas encore s’il y aura appel. Le jugement sera disponible dans plusieurs jours seulement.
Au final, Twitter France n’a pas refusé de collaborer avec les autorités, comme elle n’a pas refusé de fournir ces données d’identification : elle ne pouvait tout simplement pas les détenir.