LOPMI : la « révolution numérique » du ministère de l'Intérieur

LOPMI : la « révolution numérique » du ministère de l’Intérieur

LOPMI, please LOPMI

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Marc Rees

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Droit

18/03/2022 11 minutes
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LOPMI : la « révolution numérique » du ministère de l'Intérieur

Un projet de loi d’orientation et de programmation pour dessiner la trajectoire du ministère de l’Intérieur jusqu’en 2027. Voilà LOPMI. Une « loi de transformation numérique qui saisit toutes les opportunités offertes par les nouvelles technologies pour améliorer le service rendu au citoyen », dixit la place Beauvau. Résumé des principales dispositions.

« Transformation numérique, efficacité et proximité permettront au ministère de l’Intérieur de mieux faire face aux crises et menaces d’aujourd’hui et de demain, au cœur d’une société rendue plus résiliente ». Le rapport annexé au projet de loi, déposé le 16 mars à l’Assemblée nationale, annonce tout de go la couleur. Le texte défendu par Gérald Darmanin entend ainsi impulser un « élan numérique à horizon 2030 » dans le « cœur de l’activité du ministère de l’intérieur ». Rien de moins.

Un « 17 cyber »

Au menu de cette transformation numérique, un « 17 cyber ». Ce numéro d’urgence, équivalent numérique du « 17 », veut permettre à chaque citoyen de signaler « en direct […] une attaque cyber ».

L’attaqué ou le témoin sera « mis immédiatement en relation avec un opérateur spécialisé ». Le dispositif s’appuiera à cette fin « sur les outils existants », notamment via la plateforme numérique d’assistance aux victimes (cybermalveillance.gouv.fr) qui met en relation des victimes avec des prestataires d’accompagnement, mais aussi par le biais « des centres de réponse à incidents régionaux, en cours de création, des dispositifs PHAROS et Perceval ainsi que de l’ANSSI ».

Cyber-patrouilleurs, identité numérique

1 500 nouveaux cyber-patrouilleurs seront formés et déployés. « Ils pourront notamment être recrutés parmi les réservistes » indique le ministère. Cet objectif gouvernemental est également signalé dans le programme du candidat Macron. 

L’identité numérique sera étoffée, à l’instar de la dématérialisation de la procuration de vote, « qui permettra de supprimer le nécessaire passage devant une autorité habilitée ». Pour répondre aux critiques de la Défenseure des droits, il est promis en parallèle des mesures d’accompagnement pour les oubliés du numérique. Le réseau des points d’accueil numérique des préfectures et sous-préfectures sera à cette fin consolidé, assure le rapport.

Textiles intelligents, exosquelette… Des policiers « augmentés »

Les forces de sécurité seront dotées « d’un équipement à la pointe du numérique », claironne encore l’Intérieur. L’emprise du numérique devrait s’accélérer « tout en tenant compte du risque que l’addition de l’ensemble des matériels et systèmes se fasse sans cohérence, multipliant à la fois le poids et les interactions homme-machine ». Le policier, gendarme ou pompier devient « augmenté ».

« La mise à disposition de ces nouvelles technologies a déjà largement été initiée depuis 2017, avec notamment le déploiement des caméras piétons » avance timidement le rapport, sans revenir sur les bugs épinglés notamment en 2019 avec ces batteries qui tenaient mal la charge…

Pour ces policiers augmentés, « la protection pourra être optimisée et assurée grâce à de nouvelles technologies (textiles intelligents capables de mieux résister et de thermoréguler, casque allégé, bio-capteurs sur l’état physiologique) ». Dans les scénarios futuristes d’e-Darmanin, « les capacités pourront être "augmentées" grâce à un "exosquelette" ou répartiteur de charge, interconnectées avec les moyens numériques présents et à venir (moyens radio, NEO, PC Storm, caméra piéton etc.) et grâce à l’emport d’une capacité d’énergie ».

Mais nous n’en sommes pas encore cette France Robocopisée, puisque les acquisitions à venir dans ce domaine sont plus modestes. Elles porteront « sur la généralisation annoncée des nouvelles caméras-piétons et l’équipement dès 2023 des véhicules des forces de sécurité intérieure en caméras embarquées, ainsi que les postes mobiles (par exemple pour la prise de plainte à domicile actuellement expérimentée), les terminaux numériques type Néo et le réseau radio de pointe (RRF) ».

Une certitude, la politique d’achat sera davantage « orientée vers l’innovation », en favorisant « l’émergence d’un réseau de partenaires extérieurs, dans le respect des règles de la commande publique ».

Le Réseau radio du futur (RRF)

Autre annonce, au sein du programme Réseau radio du futur (RRF), l’objectif sera de doter « les forces d’un unique équipement individuel de communication, multifonctions ». Quelles caractéristiques pour remplacer les réseaux radio actuels en bas débit ? 4G puis 5G, multimédia, interopérable, prioritaire, résilient et sécurisé. « Il constituera le continuum de sécurité et de secours ».

Dans le projet de loi associé, le gouvernement demande à être habilité à gérer ces questions par voie d’ordonnance, dans un délai de douze mois. L’ordonnance déterminera « les obligations des opérateurs privés de téléphonie mobile visant à garantir en toutes circonstances aux usagers de ce réseau l’acheminement à très haut débit et la continuité des communications électroniques émises, transmises ou reçues par la voie de ce réseau, ainsi que, en cas de congestion, leur résilience, et définir les modalités de leur compensation ».

L’agence du numérique des forces de sécurité intérieure accompagnera ce mouvement. « Elle sera chargée de faire converger les visions du numérique entre les deux directions générales [police et gendarmerie, ndlr] et d’étudier systématiquement, pour chaque nouveau projet mené par l’une ou l’autre des directions générales, la possibilité d’en faire un projet commun ».

« Toutes les opportunités offertes par le numérique ne sont pas pleinement exploitées au ministère de l’Intérieur, alors que celles-ci pourraient faciliter considérablement l’exercice de ses missions : analyse de données, open data, intelligence artificielle, ou encore blockchains ».

À cette fin, « des fonctionnaires et contractuels de haut niveau seront recrutés pour ré-internaliser les compétences techniques nécessaires à la conduite de projets ». Les chiffres évoquent 300 équivalents temps plein (ETP) en sus de plus de 100 ETP pour l’agence du numérique.

Drones et anti-drones

Question matériels, « un programme d’acquisition de drones sera lancé afin d’équiper les forces de sécurité et de secours. Ces matériels seront adaptés aux missions différentes qu’ils seront amenés à remplir, mais feront l’objet d’un achat puis d’une maintenance et d’une formation des pilotes mutualisées entre les différentes forces du ministère - police, gendarmerie, sapeurs-pompiers ».

Dans la perspective des JO de 2024 et de la coupe du monde de rugby de 2023, l’Intérieur promet « des moyens de lutte anti-drones pour Paris (cérémonie d’ouverture et épreuves) et les villes accueillant des épreuves ». Ces équipements permettront « la détection, le brouillage et la neutralisation des drones malveillants »

Nouveaux pouvoirs pour les enquêteurs sous pseudonyme 

Au-delà du rapport, le projet de loi comprend un titre dédié aux « dispositions relatives à la révolution numérique du ministère ».

Pour lutter contre la cybercriminalité, le régime des enquêtes sous pseudonyme (ESP) est aiguisé. Le texte veut autoriser « les enquêteurs à "porter assistance" aux délinquants afin que ce dernier commette les infractions entrant dans le champ d’application de l’ESP, sans voir leur responsabilité pénale engagée ». Dans un tel cadre, « les actes réalisés dans le cadre de l’enquête sous pseudonymes ne constituent pas une incitation à commettre des infractions. ».

« La stratégie d’une enquête sous pseudonyme doit viser la levée d'anonymat afin d’interpeller les auteurs de l’infraction. À titre d’exemple, de nombreux biens dérobés durant des cambriolages, sur la voie publique (vol de deux roues, vol de véhicule, etc.) ou à l’occasion de vols à la roulotte (notamment de l’outillage professionnel dans les véhicules de professionnels), sont régulièrement mis en vente sur des plateformes de vente en ligne. Les enquêteurs sont ensuite susceptibles de contacter les vendeurs, en se faisant passer pour des acheteurs, pour organiser une réunion " physique" afin de procéder à leur interpellation en flagrant délit de recel. Les écritures proposées tendent à permettre aux enquêteurs de pouvoir endosser un rôle de complice, dans le même but d’identification de l’auteur des faits, sans risquer de voir leur responsabilité pénale engagée ».

Ils pourront ainsi mettre à la disposition des personnes se livrant à ces infractions, « des moyens de caractère juridique ou financier ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d’hébergement, de conservation et de télécommunication ».

Le projet de loi étend aussi la technique dite des coups d'achat « à l'ensemble des crimes et délits punis d'une peine d'emprisonnement commis par la voie des communications électroniques », commente Matthieu Audibert, officier de gendarmerie et doctorant en droit privé et sciences criminelles.

« L’extension de la possibilité de recourir à une enquête sous pseudonyme pour toute infraction commise sur les réseaux de communication électronique tire les conséquences, pour la recherche des auteurs d’infractions, du développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi que de l’importance prise par ces services dans la vie économique et sociale », complète l’étude d’impact.

Saisie d’actifs numériques 

Autre nouveauté. Les officiers de police judiciaire, sur autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, pourront réaliser « des saisies d’actifs numériques », comme les bitcoins.  Ces « actifs numériques sont massivement utilisés dans le cadre d’extorsion par rançongiciel pour les demandes de rançon ou encore dans le cadre d’échanges ayant pour but le financement d’activités terroristes ».

Encadrement du remboursement des rançongiciels par les assurances

Cet article est motivé par un constat : « Beaucoup de personnes morales et même de particuliers renoncent à faire valoir leur droit de victime, craignant de reconnaitre leur vulnérabilité et que cette démarche ne porte atteinte à leur image ». Elles payent, mais sans que les autorités n’aient d’éléments pour poursuivre les enquêtes.  

Cet état de fait « prive les investigations d’indices de compromission, que seule la victime peut fournir (la date précise de l’attaque, le préjudice, la rançon, le paiement, la structure informatique touchée), alors qu’un rançongiciel frappe très rarement une seule victime et que le recoupement de plaintes et donc d’indices permettrait de faire avancer les enquêtes. »

Pour y répondre, l’article 5 du projet de loi indique que le versement d’une somme par une assurance sera subordonné à la justification du dépôt d’une plainte de la victime dans les 48 heures après le paiement de la rançon. L’objectif est ainsi de permettre « à l’autorité judiciaire d’investiguer rapidement et d’éviter la réitération de cyber attaques ».

L’étude d’impact reconnait néanmoins que lorsque les entreprises déposeront plaintes, cela les obligera finalement à révéler « qu’elles ont été victimes d’une cyber attaque, nuisant ainsi à leur réputation ».

Un calendrier épinglé par le Conseil d'État

Dans son avis, le Conseil d’État relève que « cette disposition porte une atteinte, au demeurant très limitée, à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle, garanties par l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ». Il estime cette limitation justifiée « par le respect de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions et n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ».

Toujours dans son opinion, le Conseil d’État relève néanmoins qu’il a dû examiner un projet de loi « à la veille d’échéances politiques majeures, soit dans un calendrier pour le moins inhabituel, plus particulièrement pour ses dispositions de programmation budgétaire, très volontaristes, qui enjambent l’année en cours et s’inscrivent dans le cadre de la prochaine législature ».

Écrit par Marc Rees

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Sommaire de l'article

Introduction

Un « 17 cyber »

Cyber-patrouilleurs, identité numérique

Textiles intelligents, exosquelette… Des policiers « augmentés »

Le Réseau radio du futur (RRF)

Drones et anti-drones

Nouveaux pouvoirs pour les enquêteurs sous pseudonyme 

Saisie d’actifs numériques 

Encadrement du remboursement des rançongiciels par les assurances

Un calendrier épinglé par le Conseil d'État

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Commentaires (10)


hate de voir comment ils vont réussir à saisir des bitcoins sans récupérer les mots de passe/clés des wallets…



Pour ces policiers augmentés, « la protection pourra être optimisée et assurée grâce à de nouvelles technologies (textiles intelligents capables de mieux résister et de thermoréguler, casque allégé, bio-capteurs sur l’état physiologique) ». Dans les scénarios futuristes d’e-Darmanin, « les capacités pourront être “augmentées” grâce à un “exosquelette” ou répartiteur de charge, interconnectées avec les moyens numériques présents et à venir (moyens radio, NEO, PC Storm, caméra piéton etc.) et grâce à l’emport d’une capacité d’énergie ».




:mdr2: :mdr2: :mdr2:



Quand on voit comment c’est la galère rien qu’avec de simples caméras piéton.
On est pas prêt de les voir ces policiers augmentés :mdr:.


En lisant cet article je pense tout de suite … À un poisson d’avril
La question est : mais qui est l’auteur de cette blague ?!



Dans les scénarios futuristes d’e-Darmanin, « les capacités pourront être “augmentées” grâce à un “exosquelette” ou répartiteur de charge, interconnectées avec les moyens numériques présents et à venir (moyens radio, NEO, PC Storm, caméra piéton etc.) et grâce à l’emport d’une capacité d’énergie ».




Il manque donc le bouclier bêtavoltaïque pour traiter les sursauts irradiants . :ouioui:


Personnellement, je ne trouve pas ça drôle. Il y a une intention derrière tout cela et cela pèsera surement sur la vie démocratique des citoyens.
Je rappelle que c’est ce gvmt qui a réussi à imposer l’usage des drones comme moyen de surveillance des manifestations qui filmera donc 100% des manifestants et pas seulement des casseurs potentiels.
De là à penser que des citoyens par peur d’être fichés manifesteront moins, il n’y a qu’un pas que j’assume de franchir.


Surtout quand on voit que le gouvernement demande à pouvoir légiférer sur ordonnance sur ce sujet !


numerid

Surtout quand on voit que le gouvernement demande à pouvoir légiférer sur ordonnance sur ce sujet !


Attention on va être accusé de “complotisme”.. ;)


Pour moi le plus dangereux dans tout ça, c’est :




Pour lutter contre la cybercriminalité, le régime des enquêtes sous pseudonyme (ESP) est aiguisé. Le texte veut autoriser « les enquêteurs à “porter assistance” aux délinquants afin que ce dernier commette les infractions entrant dans le champ d’application de l’ESP, sans voir leur responsabilité pénale engagée ».




Comme toujours, ça part d’une bonne intention, et ça sera sûrement assez efficace au début tant que ce sera cadré vraiment de près. Mais ce sera étendu, le cadre sera relâché et hop, la boîte de Pandore s’ouvrira vraiment.


Le ministère en campagne pour son candidat auprès de la police (et des flippés), propose un scénario de SF pour gérer le « futur » de la police alors qu’ils se barrent dans un mois 🤪
Elle a quand même de sacrés effets de bords notre démocratie …


À cette fin, « des fonctionnaires et contractuels de haut niveau seront recrutés pour ré-internaliser les compétences techniques nécessaires à la conduite de projets »



Peut-être la seule bonne nouvelle de cette histoire. Le reste sur l’homme augmenté, sur la détection des drones malveillants (comment on détecte les bienveillants?) et autres choses d’affichage, on va attendre l’après élection pour voir ce qui passe vraiment.