Le courrier de la Commission européenne exigeant le bannissement numérique de RT et Sputnik

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Droit 6 min
Le courrier de la Commission européenne exigeant le bannissement numérique de RT et Sputnik
Crédits : iStock/ThinkStock

Le bannissement numérique des deux médias russes se poursuit en Europe. Sputnik et RT ont désormais disparu des principaux moteurs et des réseaux sociaux suite à la publication du règlement du Conseil la semaine dernière. Le 4 mars, la Commission a adressé un courrier aux moteurs et aux réseaux sociaux. Next INpact le diffuse.

En France, une rapide recherche sur Google, Bing, Yahoo ou Qwant montre que les volets français de ces deux sites (francais.rt.com et fr.sputniknews.com) n’apparaissent plus. À tout le moins, sur Bing, lorsqu’on cherche par exemple « sputniknews.com », le moteur Microsoft ne fait qu’apparaitre « sputniknews.gr », volet grec du site éponyme.

La mesure s’inscrit dans le sillage du vaste blocage exigé par le Conseil la semaine dernière, dans le contexte de l’invasion militaire de l’Ukraine. L’objectif ? Couper le robinet à la propagande russe, sur fond de défense de l'ordre public. 

De fait, la Commission européenne s’est empressée pour sa part d’adresser une demande de déréférencement aux moteurs pas plus tard que le 4 mars 2022, comme le montre cette capture visant Google LLC :

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La demande de déréférencement de RT et Sputnik adressée par la Commission Européenne

Elle a exigé l’effacement de « rt.com » et « sputniknews.com » des résultats, deux jours après la publication du règlement du Conseil organisant ce bannissement numérique à l’échelle de l’Union européenne.

Elle a adossé à cette demande une lettre aussi bien aux moteurs qu’aux réseaux sociaux, dont le contenu témoigne de la volonté d'une purge numérique globale.

Une purge numérique globale

Le règlement publié mercredi dernier interdit en effet à tous les opérateurs européens de « diffuser » les contenus de RT et Sputnik, que ce soit par transmissions ou diffusions, par câble, satellite, IP-TV, FAI, services en ligne, plateforme vidéo ou apps. 

Côté FAI, cette prohibition a provoqué un important trouble interne puisque le règlement, après un rapide exposé des motivations, n’a pas mentionné les adresses des sites à bloquer. Résultat ? En attente de consignes claires, ces opérateurs ont adopté une politique de blocage pour le moins cacophonique

Les moteurs ont reçu de la Commission des consignes un peu plus précises. Dans le règlement, « le législateur a l'intention d'établir une interdiction très large et complète. Les services de recherche sur Internet sont fournis par des "opérateurs" au sens du règlement » écrit l’instance bruxelloise dans le courrier adressé notamment à Google.

Pur justifier la vidange des résultats, elle rappelle que « l'activité des moteurs de recherche joue un rôle déterminant dans la diffusion d'un contenu en ce qu'ils rendent celui-ci accessible à tous les internautes effectuant une recherche (…) y compris à ceux qui, autrement, n'auraient pas trouvé la page Web sur laquelle ce contenu est publié ».

Par conséquent, « si les moteurs de recherche, tel que Google, ne suppriment pas RT et Sputnik, ils faciliteraient l'accès du public à leurs contenus ou contribueraient à cet accès ».

Conclusion : « En vertu du règlement, les fournisseurs de services de recherche sur Internet doivent s'assurer que 1) tout lien vers les sites Internet de RT et de Sputnik et 2) tout contenu de RT et Sputnik, y compris les courtes descriptions textuelles, les éléments visuels et des liens vers les sites Web correspondants, n'apparaissent pas dans les résultats de recherche fournis aux utilisateurs situés dans l'UE ».

En somme, la Commission n’exige pas seulement la désindexation des deux sites, mais également de tous les liens qui mènent à leurs contenus. Une décision inédite dans le droit des nouvelles technologies, qu'il soit en vigueur ou en préparation avec le Digital Services Act

Les réseaux sociaux également appelés à nettoyer

Dans sa foulée, la lettre prévient que les réseaux sociaux doivent également assurer un tel nettoyage à la javel : ils « doivent empêcher les utilisateurs de diffuser (lato sensu) tout contenu de RT et Spoutnik ». Et ce, peu importe que le compte en cause soit ou non rattaché à RT et Spoutnik.

Les demandes de la Commission sont d’autant plus vastes que l'institution réclame l’interdiction des messages reproduisant un contenu venant de ces deux médias russes. « Ces messages ne seront pas publiés et s’ils le sont, ils doivent être supprimés ».

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Une surveillance généralisée assumée

La Commission européenne reconnait certes que « les réseaux sociaux sont mis à rude épreuve » et que les obligations nées du règlement sont effectivement « en tension » avec l’article 15 de la directive e-commerce de 2000.

L’article 15 ? Cet article prévient qu’il est prohibé de faire peser sur des intermédiaires comme YouTube ou Facebook et Twitter une obligation de surveillance généralisée. Or, contraindre ces mêmes acteurs à supprimer tous les contenus (textes, images, vidéo, sons) venus de RT et Sputnik, quels que soient les comptes, tend à obliger ces hébergeurs à disposer d’une base indexant l’ensemble de ces informations et à surveiller tous les flux afin d’interdire ceux « matchant » avec cette base.

« La décision de s'écarter totalement, dans le présent règlement, de la directive sur le commerce électronique a été consciente et justifiée par la situation et son caractère temporaire » assume sans rougir la Commission, qui laisse encore une fois aux intermédiaires le soin de mettre en place ce tri sélectif. Et donc à se débrouiller. 

Haro sur les stratégies de contournement

L'obligation est d’autant plus vertigineuse que la Commission rappelle que le règlement publié la semaine dernière est venu s’ajouter à un premier texte publié le 31 juillet 2014 par le Conseil, concernant déjà des mesures de restriction en réponse à des actions de la Russie en Ukraine. 

L’article 12 du dispositif de 2014, toujours en vigueur, « interdit de participer sciemment et volontairement à des activités ayant pour objet ou pour effet de contourner les interdictions énoncées ». Et cette mesure vaut aujourd'hui à l’encontre des « substitut » des entités épinglées, à savoir RT et Sputnik.

La Commission rappelle que « conformément à la liberté d'expression, les médias ont le droit de rendre compte objectivement de l'actualité et de se forger une opinion là-dessus ». Par effet miroir, cela implique également « que les utilisateurs ont le droit de recevoir des informations objectives sur l'actualité ».

Seulement, ce droit, insiste-t-elle, ne peut être utilisé « pour contourner le règlement ». Par conséquent, déduit-elle, « si un autre média prétend informer ses lecteurs ou spectateurs, mais en réalité diffuse le contenu de Russia Today ou Sputink (…), il enfreindra l'interdiction énoncée dans le règlement ».

La surveillance exigée des réseaux sociaux s’étend donc aux contenus des deux sociétés financées par Moscou, même quand ils sont diffusés par d’autres médias, non visés nommément par cette prohibition numérique.

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