Les fabricants de disques durs se livrent à une course à la densité depuis des années. Le graphène vient s’ajouter à l’équation et, combiné à la technologie HAMR, il pourrait faire exploser la densité. Encore faut-il que cela aille plus loin que les effets d’annonces et autres démonstrations.
Le graphène est une révolution en marche depuis une dizaine d’années ; c’est d’ailleurs l'une des découvertes majeures de ces vingt dernières années, dont les travaux « révolutionnaires » ont été récompensés par un prix Nobel de Physique en 2010 pour Andre Geim et Kostya Novoselov.
Graphène partout… en théorie
Selon certains spécialistes, notamment Bernard Plaçais (laboratoire Pierre-Aigrain de l’École normale supérieure) il pourrait révolutionner « les applications sans fil, les télécommunications, le numérique haut débit, les communications satellites, les radars courte et longues portées et, enfin, le domaine térahertz avec, par exemple, la photodétection pour l’astrophysique »… excusez du peu !
Le graphène a néanmoins un problème majeur : « Aujourd’hui, la fabrication de tous ces nouveaux matériaux bidimensionnels ressemble plutôt à de la haute couture. On n’est pas encore capable de les produire ni de les manipuler sur de grandes surfaces, un impératif pour qu’ils puissent trouver un jour des applications en électronique », expliquait Annick Loiseau, directrice de recherche au Centre français de recherche aérospatiale.
Lors des salons comme le CES de Las Vegas et le MWC de Barcelone, cela n’empêche pas des universités d’exposer régulièrement leurs travaux et de promettre parfois monts et merveilles. Problème, la concrétisation se fait bien souvent attendre. Il y a toujours un monde entre le travail académique et son application pratique.
Il faut donc prendre ce genre d’annonces avec des pincettes de rigueur. Notamment lorsque l’université de Cambridge revient sur une publication scientifique parue dans Nature il y a quelques semaines. La promesse est alléchante sur le papier : « Les disques durs ultra-haute densité fabriqués avec du graphène stockent dix fois plus de données ».
Mais attention aux détails…
Des couches de graphène pour protéger les plateaux
L’université rappelle que les disques durs (HDD) contiennent deux principaux composants : les plateaux et les têtes. Les premiers stockent les données sous forme magnétique, les secondes se chargent des opérations de lecture et d’écriture. Les plateaux sont protégés par un revêtement généralement à base de carbone.
L’espace entre les plateaux et les têtes se réduit régulièrement afin de placer davantage de plateaux dans un espace contraint (2,5" ou 3,5") et ainsi augmenter la densité globale des disques durs.
Ce petit espace est passé de 12,5 à 3 nm ces dernières années, affirme l’université. On peut atteindre des densités de l’ordre du To par pouce carré, mais « aujourd'hui, le graphène a permis aux chercheurs de le multiplier par dix » cette valeur ajoute-t-elle… oubliant de préciser que ce n’est pas le graphène seul qui permet d'y parvenir.
Les chercheurs de Cambridge ont ainsi remplacé la couche de protection à base de carbone par une en graphène, plus ou moins épaisse (de 1 à 4 couches). Ils ont ensuite testé la friction, l'usure, la corrosion, la stabilité thermique et la compatibilité des lubrifiants. Les résultats seraient à la hauteur : « Au-delà de sa finesse imbattable, le graphène remplit toutes les propriétés idéales d'un revêtement de protection ».
Mais cela ne suffit pas à multiplier par dix la densité. Les chercheurs ont utilisé ces plateaux dans des disques durs exploitant la technologie HAMR (Heat-assisted magnetic recording). C’est en combinant ces deux solutions que la densité est ainsi « supérieure à 10 To par pouce carré ».
Haute température du HAMR et graphène font bon ménage
Le principe de fonctionnement du HAMR est d’utiliser la chaleur – plus particulièrement un faisceau laser – qui permet d'atteindre localement une température de plusieurs centaines de degrés Celsius. Il est ainsi possible de polariser de manière stable un grain magnétique sur la surface du plateau.
Les revêtements actuels à base de carbone « ne fonctionnent pas à ces températures élevées, contrairement au graphène », affirme l’université de Cambridge. Mais les fabricants n’ont pas attendu le graphène pour trouver une solution puisque Seagate par exemple dispose déjà de disques durs HAMR fonctionnels depuis des années.
HAMR+, HDMR : la suite est déjà en préparation
Avec ou sans graphène, les fabricants de disques durs ont déjà prévu d’arriver à une telle densité. L’ASTC (Advanced Storage Technology Consortium) l’indique d’ailleurs depuis longtemps dans l'une de ses feuilles de route : il s’attend à 6 To par pouce carré en 2025 avec le HAMR+ (HAMR avec TDMR et/ou SMR).
Il est ensuite question de plus de 10 To par pouce carré avec le HDMR (Heated-Dot Magnetic Recording). Cette technologie sera un mélange entre le HAMR et le BPMR (Bit-Patterned Magnetic Recording) qui introduit une modification au niveau des plateaux grâce à un nouveau procédé lithographique.