La FEVAD, fédération des ventes à distance, vient de publier une note complète sur une importante décision du TGI de Paris en date du 15 juin 2012. Face aux « incohérences » du régime français, elle estime justifiée la suspension des paiements. Du moins « tant qu’une refondation de l’ensemble ne sera pas entreprise ».
L’ordonnance en question, en date du 15 juin 2012 a déjà été évoquée dans nos colonnes. Mais la note de la FEVAD témoigne de l’intérêt de toute la profession pour cette décision dont on attend confirmation en appel et au fond. Pour résumer, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a considéré que le fabricant Imation Europe pouvait légitimement retenir le paiement des montants de copie privée « compte tenu des incertitudes du dispositif français actuel ». L’information a été diffusée à tous les membres de la fédération, via sa newsletter.
Cette note rappelle que depuis 1985, en France, la rémunération pour copie privée est instituée au profit des auteurs, artistes et producteurs pour la réalisation d’une copie privée de leur œuvre. Cependant la loi était très généreuse puisque faute de précision, les flux étaient indistinctement prélevés sur les particuliers comme les entreprises.
B2C mais pas B2B
La directive du 22 mai 2001 change les règles avec l’objectif d’harmonisation. La copie privée compense désormais un préjudice et « ne devrait être due que par l’auteur du préjudice (et par lui seul) à la victime du préjudice (et à elle seule) », résume la FEVAD. Le texte européen pose même deux critères pour identifier le redevable : c’est « la personne physique (critère de qualité de la personne) achetant un support à des fins de copie privée (critère d’usage privé). » A contrario : « les « personnes morales » (notamment toute société) ou les personnes qui achètent un support à une fin professionnelle (les professions libérales) ne doivent pas avoir à assumer un surcoût de copie privée en achetant un support vierge d’enregistrement. »
En clair, en Europe, un État qui fait payer aussi bien les particuliers que les entreprises aurait dû laisser inappliqué son système. L’Espagne a ainsi mis un coup de pied dans sa fourmilière devenue incompatible avec le droit européen. La France, elle, n’a pas fait ce choix. Elle a laissé inappliquée la directive qui devait pourtant impérativement être transposée fin 2002. Poussé dans ses retranchements, après un passage devant le Conseil d’Etat, Paris a fini par voter une loi en urgence, pour sauver l’apparence.
Un jeu de coulisse
La FEVAD, qui compte parmi ses membres Amazon.fr, Fnac.com, Cdiscount.com, Rueducommerce ou eBay.fr, résume ainsi cette petite épopée juridique :
« En droit communautaire, ce qui est jugé par la Cour de Justice à Luxembourg devrait prévaloir à Barcelone, comme à Paris. Tel n’a pas encore été le cas. Premier interrogé quant aux effets de la décision Padawan sur le système français, le Conseil d’État rendit certes une décision de condamnation le 17 juin 2011, mais seulement concentrée sur le second critère textuel, celui de l’« usage professionnel ».
En outre, par une « entorse » au droit communautaire ouvertement avouée par le rapporteur de l’arrêt, le Conseil d’État dispensa au final les sociétés de gestion collective des conséquences financières de la nullité prononcée, en limitant les effets de celle-ci à l’avenir …. ce qui est une manière de leur épargner un remboursement des sommes indument perçues jusqu’là.
Les sociétés de gestion collective ne s’en contentèrent toutefois pas. Dans un jeu de coulisse, elles obtinrent du ministère de la Culture le dépôt d’un projet de loi destiné à neutraliser au moins en partie l’interdiction de paiement indistinct. C’est la raison d’être de la loi du 20 décembre 2011.
La loi maintient l’obligation de principe de paiement d’une indemnisation de copie privée à la charge de tout acheteur de support vierge, qu’il s’agisse d’une personne physique (B to C) ou d’une personne morale (B to B). Dans les formes, la personne morale est supposée ne payer qu’à titre provisoire, une faculté de remboursement lui étant ouverte à la condition de justifier d’un usage exclusivement professionnel du produit, ce qu’un arrêté du 20 décembre 2011 complexifie à l’excès (en ensevelissant sous un amas d’exigences l’obligation cardinale d’exemption) »
Perturbations sur les marchés
De fait, en France, les entreprises ont toujours l’obligation de payer la copie privée, mais elles peuvent désormais se faire rembourser (en principe, non en réalité car les sommes sont bloquées entre les mains des ayants droit). Cela signifie de facto que les circuits de distribution français sont plombés par rapport à leurs voisins étrangers.
C’est dans ce contexte qu'Imation Europe a décidé de suspendre le reversement de la copie privée à Copie France, l’organisme collecteur. Une logique implacable : le fabricant estime avoir reversé indument de la copie privée prélevée sur son canal commercial (B to B). Il a donc décidé d’arrêter les versements appelés au titre de son canal consommateur (B to C) du moins tant que la dette de Copie France ne sera pas compensée.
En détail, sur les 71 millions versés, le fabricant évalue que 40 millions ont été prélevés à tort. Il a donc cessé d'abreuver les caisses de Copie France tant que cette somme ne sera pas compensée.
Première victoire en première manche
L’organisme collecteur de la SACD, de la SACEM, du SNEP, etc. n'a pas apprécié cette fermeture du robinet. Il a assigné Imation Europe en référé. Et le fabricant a justement déroulé des arguments liés au défaut d’harmonisation. Avec succès. « Le Tribunal de grande instance retient l’existence de doutes sérieux sur la légalité du système français, doutes justifiant qu’un importateur, tel qu’Imation Europe, suspende ses paiements. Ces doutes sont de deux ordres : doute, d’une part, sur la possibilité qu’avait le Conseil d’État de reporter l’effectivité de la condamnation d’un système de paiement indistinct, contrairement à la rétroactivité retenue par la Cour de Justice. Doute, d’autre part, sur l’opposabilité de la loi française qui fait payer, et continue à faire payer un acquéreur personne morale, en apparence contre la lettre de la directive. »
Sans attendre la fin de la procédure, la FEVAD s’interroge : « Qu’attend le système français pour se conformer au cadre de la directive d’effet obligatoire depuis 10 ans… Par définition, le préjudice subi par un acte de copie privée d’un album de Madonna devrait être comparable que l’acte de copie soit réalisé à Strasbourg, à Bruxelles ou à Berlin ». Par là, la fédération de la vente à distance pointe les différences de montant parfois importantes (de un au sextuple) de copie privée entre la France et ses voisins. Un problème dénoncé par des dizaines de parlementaires.
La FEVAD estime désormais justifiée la suspension des paiements car « Il n’y a aucune raison que la réponse des pouvoirs publics à des réclamations de financements d’intérêts catégoriels se traduise quasi-systématiquement par des prélèvements obligatoires à effet territoriaux limités qui sacrifient toujours la compétitivité des acteurs français ».
Vers une refonte du système français ?
Que faire alors ? La plateforme cherecopieprivee.org, dont sont membres la FEVAD mais aussi l’UFC Que Choisir et plusieurs syndicats de l’informatique, a profité du lancement de l’acte II pour émettre ses vœux. Elle demande ainsi à Pierre Lescure de lancer la réforme du système de la copie privée « en confiant la détermination du préjudice à une institution totalement indépendante sur la base d’une méthodologie robuste et transparente ». Elle réclame également un audit du financement de la Culture. « Il serait inacceptable de créer de nouvelles sources de financement sans connaître au préalable l’ensemble des revenus de la culture (leurs provenances et leurs affectations), mais aussi les besoins réels du secteur. »