Lorsqu'il a annoncé qu'il se lançait sur le marché des GPU à l'arrivée de Raja Koduri, Intel avait été assez vague sur les marchés qu'il viserait en priorité, et dans quel ordre. Alors que la première intégration de Xe arrive au sein de Tiger Lake, l'entreprise en dit un peu plus sur ses plans. Le marché du « gaming » sera finalement visé en priorité.
Aux débuts du projet Xe, nous n'étions guère optimistes. Raja Koduri avait bouclé chez AMD une génération Vega qui restera sans doute l'un des pires souvenirs de l'entreprise. Les plans annoncés étaient flous et la communication avait la patte de Chris Hook, recruté lui aussi chez AMD et parti depuis : surjouée.
On avait donc droit à des concours de fond d'écran, des lancers de t-shirts lors d'évènement « Odyssey » et des annonces de bêtas de pilotes. Le tout sans trop de cohérence ni feuille de route précise. Depuis, l'équipe a été moins « vocale » et s'est sans doute plus concentrée sur ses échanges avec les développeurs et les partenaires, entre deux photos de puces publiées sur le compte Twitter de Koduri.
Xe : de la folie des débuts au travail de fond
L'enjeu est de taille pour Intel, et va bien au-delà de la simple conception d'une puce : il faut repenser la stratégie globale en y intégrant le GPU, les pilotes qui ne doivent plus se limiter à des parties graphiques intégrées, les rapports avec les éditeurs et studios, le couche logicielle avec oneAPI pour les professionnels, etc.
Tout un travail qui va désormais commencer à payer, même si la plupart des annonces visent 2021, notamment pour ce qui touche au marché du jeu vidéo, que l'on parle de cartes graphiques haut de gamme ou de serveurs dédiés au Cloud gaming. Car oui, Intel va rapidement viser ces marchés.
De quoi inciter AMD et NVIDIA à ne pas se reposer sur leurs lauriers. Cela tombe bien, de nouvelles GeForce et Radeon devraient être dévoilées d'ici peu. Autant dire que la guerre qui opposera notre trio dans les mois à venir s'annonce passionnante à suivre.
Xe SG1 : la porte des nuages de jeu
Jusqu'à maintenant, Intel avait annoncé que Xe irait « du teraflops au petaflops » avec trois gammes : LP pour l'entrée de gamme, HP pour le haut de gamme et les stations de travail, HPC pour le datacenter.
Comme nous le disions précédemment, tout cela était un peu flou. On apprécie d'autant plus que les plans soient enfin précisés. Commençons d'ailleurs par la gamme LP qui est bien plus large qu'on ne l'imaginait. Outre la partie graphique intégrée aux CPU Tiger Lake et DG1 (nous y reviendrons), il y a le projet SG1 (Server GPU 1).
Il s'agit d'une version prévue pour des serveurs, sous Linux, visant deux usages principalement : le cloud gaming et la compression vidéo. Son atout principal, la densité. Il doit offrir les performances de quatre DGI dans un format compact selon Intel, qui ne s'étend pas plus sur ses caractéristiques.
Il s'agit en réalité d'une carte composée de quatre GPU, chacun pouvant être attaché à une machine virtuelle (VM). Avec ce produit, Intel cherche sans doute à proposer un produit pensé pour ce marché, avec un tarif sans doute plus raisonnable que plusieurs Quadro, offrant des performances milieu de gamme pour chaque VM.
De quoi viser des services plus orientés sur les jeux familiaux et Free 2 Play que ceux voulant la dernière bête de course en date. Mais des acteurs comme Shadow pourraient être intéressés pour une partie de leur gamme. Aucun partenaire n'a pour le moment annoncé de service à venir autour de ce produit, attendu pour fin 2020.
On ne devrait néanmoins pas le voir intégré dans des services avant 2021.
DG1 : Intel s'attaque aux GPU mobiles, vers des PC 100 % Intel
De son côté, DG1 sera le premier GPU grand public du constructeur, prévu pour le jeu mobile. Il doit être mis sur le marché d'ici la fin de l'année. Gravé en 10 nm SuperFin, il visera AMD et NVIDIA là où ça peut faire mal : un marché de masse où Intel est déjà en position de force et peut donc facilement s'étendre si les partenaires le suivent.
Ainsi, en plus de proposer une partie graphique bien plus puissante, limitant l'intérêt d'un GPU dédié sur de nombreux produits, DG1 viendra piquer des parts de marché aux GeForce et Radeon. Avec un pilote unique et une intégration encore plus tout-en-un, Intel proposant désormais des CPU, GPU, SSD, réseau, etc.
C'est un problème pour AMD, qui espérait bien utiliser de tels ressorts pour promouvoir ses propres puces. Mais aussi NVIDIA, qui va se retrouver de plus en plus exclu d'une partie du marché, ses deux concurrents allant vanter leur approche très intégrée. En attendant de proposer des machines Windows 10 on ARM avec SoC et GPU maison ?
Mais l'essentiel reste à découvrir : le niveau de performances et l'efficacité énergétique des différentes solutions sur une gamme de prix donnée. C'est surtout ça qui fera le succès (ou non) de chacun.
HPG : Xe montera en gamme dès 2021
On aurait pu penser qu'Intel s'arrêterait là, mais non. Il promet aussi de revenir dès l'année prochaine avec Xe HPG, visant l'offre haut de gamme pour les joueurs sur PC de bureau et stations de travail, avec ray tracing. Il se veut à la croisée des solutions LP, HP et HPC, profitant des intérêt de chacun, à sa manière.
Pensé pour le jeu vidéo et optimisé en ce sens, il intègrera de la GDDR6. L'occasion pour Raja Koduri d'ironiser sur son passé chez AMD, où il a « par deux fois » tenté de mixer des produits pour joueurs et de la (très coûteuse) High Bandwidth Memory (HBM). Ce qui semble lui avoir définitivement servi de leçon.
Pourquoi ne pas l'avoir annoncé avant ? Sans doute parce qu'il n'était pas avancé ou qu'Intel voulait se garder l'effet de surprise. Peut-être aussi parce que le fondeur attendait de savoir s'il pourrait le produire lui-même. Lors de l'Architecture Day 2020, la réponse a été donnée : c'est non.
La puce sera fabriquée par un tiers, sans que l'on ne sache encore qui ou sur quel procédé. Une situation similaire à la « Tile » en charge des E/S et du calcul de Xe HPC du projet Ponte Vecchio, en partie externalisée. Le reste étant gravé en 10 nm (Enhanced) SuperFin. Ce sera également le cas de Xe HP, comme le montre ce tableau récapitulatif :
L'enjeu logiciel pour les joueurs...
Côté logiciel, les travaux ont été également titanesques. Nous avons déjà évoqué la refonte de l'interface des pilotes sous Windows, mais cela va bien au-delà. Intel a en effet revu ses drivers en profondeur, sous Linux et Windows, mais aussi le compilateur associé pour qu'il soit plus efficace tout en tenant compte des usages type IA.
Des optimisations peuvent également être faites à la volée, permettant une adaptation automatique aux shaders qui sont à exécuter après analyse rapide, avec un résultat mis en cache, réutilisable. L'équipe a aussi retravaillé son Instant Game Tuning qui permet de recevoir (via un push) des optimisations spécifiques pour certains jeux ne nécessitant pas de récupérer et d'installer un pilote complet.
D'autres nouveautés déjà vues chez la concurrence arrivent, comme un filtre de netteté (Game Sharpening) appliquable à l'image. Intel dit utiliser ici un algorithme Perceptual adaptative plutôt que Content adaptative (le fameux CAS chez AMD), qu'il juge plus efficace. Il est activable de manière globale ou par jeu. Il faudra voir si l'on rencontre des limitations à l'activation comme cela avait été le cas chez AMD et NVIDIA.
Intel évoque d'autres éléments qui ne sont pas totalement nouveaux, comme le Variable Rate Shading, introduit avec Ice Lake et qui sera exploitable sur Xe LP, permettant de réduire la précision des calculs sur une partie de l'image. Ou encore sa solution de capture et de streaming intégrée depuis peu à l'interface de ses pilotes.
... et les datacenters
Sur le front des centres de données, c'est bien entendu oneAPI qui est au centre de toutes les attentions. Et là aussi les choses ont bien avancé en deux ans. La dernière fois que nous avions rencontré Intel, DPC++ allait être lancé, le reste n'étant encore qu'à l'état de projet. C'est de moins en moins le cas.
On le voit par exemple avec Blender qui intègre progressivement les technologies maison : Embree et ses optimisations AVX-512, Open Image Denoise. Mais aussi l'intégration progressive des différents éléments d'Intel dans de nombreux frameworks en plus de leur propre évolution. La version 1.0 est attendue pour la fin de l'année.
Intel en profite pour donner des nouvelles de Xe HP, actuellement en cours de conception et fonctionnant en laboratoire. Il sera proposé sous quatre formats, avec 1, 2 ou 4 tuiles. Visant notamment des usages de type compression vidéo haute qualité, il serait déjà capable de « scaler » de 10,6 à 42,3 TFLOPS.