Aurélie Filippetti, qui accueillait il y a un mois bras ouvert le rapport Lescure, risque bien de devoir enterrer l’idée de confier au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) toute la réponse graduée, sanction comprise. La faute notamment à la décision du Conseil constitutionnel sur Hadopi 1, rendu suite à sa saisine par les parlementaires PS d'alors - dont une certaine Filippetti Aurélie.
La procédure de la réponse graduée (document Hadopi)
« L'arbitrage n'est pas encore rendu définitivement, mais, à l'heure actuelle, le ministère envisage plutôt de laisser les amendes dans les mains de la justice, plutôt que de les confier au CSA. C'est pour cela que le CSA a pu déclarer fin mai qu'il ne voulait pas infliger les amendes ». La petite phrase d'origine gouvernementale rapportée par BFMTV.com montre l’impasse dans laquelle se retrouve la Rue de Valois.
Petit retour : le rapport Lescure demande à ce que le CSA prenne en charge toute la réponse graduée, et inflige aux abonnés multi-riposte-gradués une amende administrative de 60 euros (notre actualité). Pour distinguer l’instruction de la sanction, il serait prévu que l’actuelle Commission de protection des droits de la Hadopi lui soit rattachée. Elle continuerait à gérer l’instruction alors que le collège du CSA infligerait la sanction administrative. Pour Lescure, c’est du tout cuit : « Il s’agit d’alléger le dispositif répressif afin de le rendre plus acceptable, tout en conservant un caractère dissuasif indispensable à l’effectivité du droit d’auteur et à la protection des droits des créateurs ». En évitant la case juge, les ayants droit savaient aussi que la future CSADOPI pourrait mitrailler ses sanctions nettement plus facilement. Comparons : dans le dispositif Hadopi, seuls trois jugements ont été rendus. Une relaxe. Une amende de 150 euros et une dispense de peine.
Lescure est certain que l’on peut confier un tel pouvoir de sanction à une autorité administrative. « Le Conseil constitutionnel a rappelé dans sa décision sur la loi Hadopi que le législateur peut confier aux autorités administratives un pouvoir de sanction, à condition de respecter le principe de la légalité des délits et des peines, ainsi que des droits de la défense », affirme-t-il, comme relevé justement par BFM.
Traitement administratif non répressif
Problème : le Conseil constitutionnel, saisi par le PS, n’a pas été aussi généreux que veut bien le croire l’ex-numéro un de Canal+. Si le Conseil accepte qu’une autorité administrative puisse « exercer un pouvoir de sanction » dans le respect des droits de la défense, il a toujours refusé qu’on déconnecte trop facilement le juge.
Explication. Quand les ayants droit envoient des camions d’IP à la Hadopi, celle-ci obtient des FAI l’identité des abonnés. Or, dans la décision Hadopi 1 du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel a refusé que de tels traitements automatisés puissent acquérir un caractère nominatif ailleurs que dans le cadre d'une procédure judiciaire (considérant 27 et 28). Il a donc refusé que la Hadopi sanctionne elle-même : elle doit saisir le juge sous peine de violation le droit au respect de la vie privée.
En 2009, le recours des socialistes, signé notamment par les députés Aurélie Filippetti et Jean-Marc Ayrault, ne disait pas autre chose : « en permettant à ces agents de rendre nominatives les adresses IP en dehors de toute procédure judiciaire, le législateur a supprimé une garantie essentielle du droit au respect de la vie privée et encourt à ce titre une censure conformément à votre jurisprudence (notamment votre décision 86-210 DC) ».
Présomption d'innocence
BFM indique qu’un deuxième point joue les troubles fêtes. Il concerne cette fois la présomption d’innocence un peu trop malmenée dans le cadre de ce système d’amende administrative. Pas de détail ici. Pour notre part, rappelons que le Conseil constitutionnel a déjà expliqué que la présomption de culpabilité est acceptée en matière répressive, seulement si le citoyen peut la renverser et si les faits ne laissent pas de place au doute (considérant 17 de la décision Hadopi 1). En faisant l’impasse sur le juge qui doit à ce jour examiner l’intégralité des pièces transmises par la Hadopi, le ministère risquerait de contrevenir là encore à la Constitution. En effet, avec un abonné flashé trois fois, les amendes administratives tendent à être irréfragables.
Du coup, voilà le ministère de la Culture coincé dans sa logique de répression automatisée, escalade qu’il dénonçait lors des débats parlementaires de 2009. Il affirme maintenant que l’amende administrative n’est qu’« une piste » et qu’il faut « un temps d’expertise nécessaire ». Le message est transmis aux membres de la mission Lescure, dont Jean-Philippe Mochon, chef du Service des affaires juridiques et internationales au Secrétariat général du ministère.
Dans ce vagabondage politique, les scénarios se raréfient maintenant : l’une des pistes privilégiées serait que l’actuelle Commission de protection des droits de la Hadopi soit greffée au CSA, à charge pour elle de transmettre le dossier au juge. Différence avec le système actuel ? Aucune.