Les technologies MAMR de Western Digital et HAMR de Seagate promettent d'augmenter grandement la capacité des disques durs à l'horizon 2023/2025. Sans être des révolutions, il s'agit d'évolutions importantes pour les années à venir. Sur le sujet, Western Digital a répondu à nos questions.
Il y a peu, Western Digital a proposé la démonstration du « premier disque dur au monde » exploitant la technologie MAMR. Un acronyme pour Microwave-Assisted Magnetic Recording ou enregistrement magnétique assisté par micro-ondes. De son côté, Seagate a mis en avant le HAMR (Heat-assisted magnetic recording).
Deux approches qui partagent un même objectif : augmenter la densité des plateaux des disques durs.
HAMR vs MAMR, la guerre est lancée
Le HAMR est évoqué depuis plusieurs années par Seagate, mais son lancement a souvent été repoussé. Dans un billet de blog, le fabricant annonce que cette technologie et les premiers disques durs sont (enfin) prêts. De son côté, le MAMR est beaucoup plus récent, Western Digital venant de publier un communiqué de presse afin de livrer de premières informations techniques.
Le fabricant y explique que « le cœur de cette innovation révolutionnaire de la société est l’"oscillateur à couple de spin", servant à produire un champ d’hyperfréquences qui améliore la capacité d’enregistrement de données à ultra-haute densité, sans compromis sur la fiabilité ».
Vous n'avez pas tout compris ? Nous non plus à la première lecture du communiqué de presse. Mais ce n'est pas grave, nous allons y revenir en douceur. Nous avons d'ailleurs pu en discuter avec Marc Bonnet, ingénieur en chef chez Western Digital. Nous évoquerons également plus en détail le cas du HAMR de Seagate.
Un disque dur, comment ça marche et comment augmenter sa capacité ?
Avant d'entrer dans le vif du sujet, commençons par un (rapide) rappel de l'évolution des disques durs. Il s'agit d'une mémoire de masse utilisant un ou plusieurs supports magnétiques : des plateaux. Chacun dispose de pistes circulaires concentriques, elles-mêmes découpées en secteurs.
Chaque secteur comprend un certain nombre de bits (généralement entre 512 et 4096). Chaque bit est enregistré à l'aide d'un aimant – on parle aussi de grain/point magnétique – pouvant prendre deux « orientations » : l'une correspond au 0, l'autre au 1.

L'ensemble fonctionne en bonne harmonie. Les plateaux sont en rotation à plusieurs milliers de tours par minutes (5 400 et 7 200 tpm sont des valeurs courantes). Les têtes de lecture/écriture se placent juste au-dessus et peuvent se déplacer de pistes en piste, un peu à la manière du bras d'une platine vinyle. Elles peuvent ainsi passer au-dessus de chaque secteur pour lire ou écrire à l'aide d'un champ magnétique.
Afin d'augmenter la capacité d'un disque dur, les constructeurs peuvent donc augmenter le nombre de plateaux et/ou la densité surfacique en réduisant la taille des grains magnétiques (et donc des pistes et des secteurs). Les deux méthodes ont été développées en parallèle durant des années.
La première commence à montrer ses limites en raison de la hauteur limitée des disques durs : les plateaux sont déjà tassés au maximum et l'air ambiant a été remplacé par de l'hélium afin de réduire la consommation et l'échauffement. La seconde méthode a connu de nombreuses évolutions, et les MAMR/HAMR ne sont que les dernières d'une longue série. Petite rétrospective.
Évolution des disques durs : PMR puis SMR plus récemment
Au début, les disques durs utilisaient un procédé d'enregistrement magnétique longitudinal (LMR) : « la magnétisation de chaque bit de données (c'est-à-dire le chiffre binaire 0 ou 1) est alignée horizontalement, parallèlement au disque qui tourne à l'intérieur du disque dur », précise Western Digital
Une première révolution est arrivée avec le PMR (enregistrement magnétique perpendiculaire). Cette fois-ci, la magnétisation de chaque bit « est alignée verticalement par rapport au disque en rotation, ce qui permet de stocker plus de données sur un disque donné que cela n'est possible avec l'enregistrement longitudinal conventionnel ».
Cette technique est utilisée depuis plus de 10 ans déjà :


Crédits : Western Digital
Depuis quelques années, la technologie SMR (Shingled Magnetic Recording) est disponible sur certains disques durs. Il s'agit cette fois de superposer en partie les pistes afin d'augmenter la densité des plateaux. Si cela ne change rien pour la lecture, ce n'est pas le cas de l'écriture : il faut réinscrire les données sur les pistes se chevauchant, entrainant un phénomène d'amplification en écriture.
Le dernier en date est un modèle affichant une capacité de 14 To, contre 12 To pour le moment pour les disques durs PMR traditionnels. Il faut en revanche garder à l'esprit que les disques durs SMR actuels sont « host managed », c'est-à-dire qu'ils nécessitent un hôte compatible (voir cette actualité).
Ce n'est pas une obligation, des disques durs SMR peuvent également être « drive managed » (leur firmware s'occupe de gérer la problématique de l'écriture) ou bien « host aware ». Dans ce dernier cas, l'écriture peut être gérée par le disque dur ou l'hôte selon les cas.
Et voici maintenant la technologie MAMR
PMR et SMR vont toutes dans le même sens : réduire toujours plus les grains magnétiques afin d'augmenter la densité surfacique, et donc la capacité totale du HDD. Avec le MAMR et le HAMR, c'est exactement la même chose.
« La problématique provient de la taille de la matière de plus en plus petite qu'il faut magnétiser de manière stable » nous explique Marc Bonnet. Il faut en effet s'assurer de la fiabilité de l'information dans le temps, faute de quoi la corruption des données arrive rapidement, et ce peu importe la technologie utilisée.
Avec le MAMR, Western Digital « encapsule un oscillateur à côté de la tête d'écriture ». Le procédé de fabrication est proche de celui d'un semi-conducteur nous précise le fabricant. Le but de l'oscillateur est « d'apporter de l'énergie » et d'assister la tête d'écriture avec un phénomène de résonance. Pour simplifier à l'extrême, nous pouvons comparer cet oscillateur à un amplificateur reconnait notre interlocuteur.
Jusqu'à près de 80 Go par cm² d'ici 2025
Il faut en effet un niveau d'énergie suffisant (il est proportionnellement plus important qu'en PMR) et une précision chirurgicale pour changer la polarité d'un seul grain magnétique de plus en plus petit, sans modifier les autres.
Cette problématique n'existe pas en lecture nous précise Western Digital : la tête est parfaitement capable de récupérer la polarité sans avoir besoin d'une assistance supplémentaire. Avec le MAMR, Western Digital « devrait, à terme, permettre de stocker 4 térabits par pouce carré », soit un peu plus de 79 Go par cm².
À titre de comparaison, le disque dur He12 de HGST (12 To, PMR) à une densité surfacique de 0,84 térabit par pouce carré (environ 16 Go par cm²), soit près de cinq fois moins tout de même.
Avec la technologie PMR, le fabricant s'attend à pouvoir grimper jusqu'à près de 1,1 térabit par pouce carré, contre un peu moins de 1,4 térabit par pouce carré grâce au SMR (entre autres). Dans les deux cas, c'est largement en dessous des 4 térabits annoncés du MAMR :
Pas d'incidence sur les coûts ou changement de paradigme sur la gestion des HDD
Toujours selon Western Digital, un des gros avantages du MAMR est que « l'incidence sur les coûts reste marginale », contrairement au HAMR utilisé par Seagate (nous y reviendrons), tout en assurant des performances fiables. De plus, le procédé industriel « permettrait d’augmenter la densité surfacique et de réduire le coût de 15 % par an en moyenne », selon des estimations du fabricant.
Autre bonne nouvelle : un disque dur MAMR pourra être installé dans n'importe quelle machine, sans précaution particulière, à la place d'un disque dur PMR (il faudra bien évidemment que la connectique soit la même). Pour rappel, ce n'est pas le cas des modèles SMR.
Il ne faut pour autant pas s'attendre à avoir des disques durs MAMR dans nos ordinateurs de bureau et/ou portable (2,5 pouces) dès demain. « L'objectif premier est d'adresser le besoin des datacenters » ayant de gros besoins en capacité de stockage indique notre interlocuteur. Et des disques durs MAMR pensés pour les NAS ? C'est possible, mais nous n'aurons pas plus de détails pour l'instant.
Pour les ordinateurs de bureaux et les portables, le fabricant n'y voit pour le moment pas grand intérêt, sans fermer totalement la porte pour autant. Dans tous les cas, la technologie MAMR peut être utilisé avec des disques durs de 3,5 pouces, de 2,5 pouces, en S-ATA, en SAS... il n'y a pas de limitation sur ce point nous précise Western Digital.
Quid des performances ?
Nous avons ensuite voulu savoir ce qu'il en sera des débits. Le constructeur nous indique que « les performances seront complètement induites par la densité » : plus cette dernière est élevée, plus les taux de transferts seront importants. Actuellement, il est possible d'atteindre environ 240 Mo/s sur un disque dur PMR de 12 To. Pour un modèle de 40 To la vitesse sera encore plus grande et pourra certainement atteindre « 350 à 450 Mo/s » par exemple. Il ne s'agit que d'une estimation, à prendre avec les pincettes de rigueur.
De son côté, la latence dépendra de la vitesse de rotation des plateaux : plus ils tourneront vite plus elle sera faible, exactement comme avec les disques durs PMR. Nous n'aurons pas de détails chiffrés pour le moment. Là encore, la technologie MAMR n'impose pas de restriction particulière : des modèles à 4 200, 5 400, 7 200 tpm (ou autres) pourront être proposés par le constructeur.
Les performances finales dépendront donc comme toujours de plusieurs facteurs : vitesse de rotation et capacité du disque dur, mais aussi des autres technologies utilisées. Le MAMR peut en effet être couplé avec du SMR afin d'augmenter encore davantage la densité ; « on pourrait » lâche simplement Marc Bonnet. Il faudra attendre l'annonce du premier disque dur MAMR pour en savoir davantage.
Des disques durs MAMR dès l'année prochaine, la commercialisation prévue pour 2019
Western Digital annonce que les premiers exemplaires de disques durs MAMR seront disponibles pour ses partenaires dès l'année prochaine, avec un lancement commercial prévu pour 2019. Aucun modèle n'est pour le moment annoncé et nous savons simplement qu'il est prévu d'atteindre 40 To d'ici à 2025.
Face au MAMR de Western Digital, Seagate annonce des HDD HAMR pour 2018
Une partie du communiqué de presse et des présentations de Western Digital compare directement le MAMR à l'un de ses concurrents, le HAMR (Heat-assisted magnetic recording). Si la finalité est la même (augmenter la densité surfacique), la méthode est largement différente.
Au lieu d'ajouter un oscillateur/amplificateur, le HAMR utilise la chaleur, et plus particulièrement un faisceau laser. Celui-ci permet d'atteindre localement une température de plusieurs centaines de degrés Celsius afin de polariser de manière stable un grain magnétique sur surface du plateau.
Le HAMR est notamment poussé par Seagate depuis plusieurs années. Malgré de multiples annonces, le constructeur n'avait pas dévoilé officiellement de produits jusqu'à présent. Hasard ou pas du calendrier, Seagate est finalement sorti du bois il y a quelques jours afin de répondre à son concurrent, en espérant d'ailleurs le coiffer au poteau.
Seagate affirme ainsi que ses tests sur la technologie HAMR sont concluants : « les produits sont prêts à l'emploi, fiables et prêts à être livrés pour des tests dès l'année prochaine », 40 000 disques durs HAMR sont d'ores et déjà produits affirme le constructeur. Des livraisons en volumes de disques durs de 20 To et plus sont prévues dès 2019 avec une densité surfacique de 2 térabits par pouce carré (soit près de 40 Go par cm²).
Seagate en profite pour tacler son concurrent au passage en annonçant des disques durs de 40 To pour... 2023, soit deux ans avant Western Digital. Il y va aussi de sa petite projection pour les années à venir, graphique de l'Association of Science à l'appui :
La technologie PMR+ (PMR amélioré SMR et/ou TDMR Two Dimensional Magnetic Recording, soit deux têtes de lecture à la place d'une seule) devrait permettre de grimper jusqu'à 2 térabits par pouce carré en 2021, contre 6 térabits par pouce carré en HAMR+ (HAMR avec TDMR et/ou SMR) d'ici 2025.
C'est donc 50 % de plus que Western Digital qui annonce pour rappel 4 térabits par pouce carré en 2025 avec sa technologie MAMR.
HAMR vs MAMR : deux visions, deux approches, une même finalité
Selon Western Digital, le HAMR de son concurrent présenterait plusieurs défauts : un coût plus important à cause du laser, la nécessité d'utiliser de nouveaux matériaux (support en verre par exemple) et d'adapter la partie logicielle afin de gérer les niveaux d'usure des pistes qui seraient plus importantes qu'avec la technologie MAMR.
De son côté, Seagate avance ses arguments. Le HAMR est transparent pour l'hôte, exactement comme le MAMR, fiable avec plus de 2 Po de transferts par tête (sans préciser s'il s'agit de lecture et d'écriture), et ne consommerait pas beaucoup de courant : 200 mW par tête, pour environ 8 watts au total lors d'une session d'écriture aléatoire sur le disque dur. De plus, ses usines sont prêtes pour exploiter cette nouvelle technologie.
Seagate en profite pour rassurer ceux qui s'inquiéteraient de la chaleur dégagée par le laser : lors de l'écriture, le média est chauffé et refroidi (localement) en une nanoseconde. La technologie HAMR « n'a aucun impact sur la température du disque » promet le constructeur.
Sur la question des tarifs, Seagate reconnait que « les nouveaux composants HAMR ajoutent un certain coût par tête », mais précise que les disques durs HAMR pourraient finalement être proposés à un prix par To inférieur aux modèles PMR. Comme pour Western Digital, il faudra attendre la disponibilité pour en avoir le cœur net.
Sans la citer directement, Seagate s'en prend à la technologie MAMR : « au final, notre architecture HAMR est aujourd'hui plus simple que toute autre approche permettant d'augmenter la densité des données faisant suite au PMR ». De plus, comme le MAMR, le HAMR peut être combiné avec le SMR afin d'augmenter encore la densité surfacique.
Pour résumer, HAMR et MAMR sont de nouvelles manières de construire des têtes permettant de réduire toujours plus l'espace occupé par chaque grain magnétique, augmentant de fait la capacité de stockage des disques durs. Pour le reste, rien ne change : les HDD HAMR et MAMR pourront prendre la place d'un disque dur classique, aussi bien dans un datacenter que dans un ordinateur.
Les prochains mois/années promettent d'être animé entre Seagate et Western Digital. Mais outre la guerre de communication, il faudra comparer les produits tels qu'ils seront proposés sur le marché, afin de voir ce que valent les différentes promesses face au dur concept de réalité.