Les fonctionnalités de la calculatrice open source et open hardware de Numworks sont-elles à la hauteur de ses prétentions ? Les « bugs » et manques ont-ils été corrigés rapidement ? Deux mois après avoir acheté notre exemplaire, voici notre bilan, accompagné de plusieurs témoignages de professionnels du secteur.
Juste avant la rentrée des classes 2017, Numworks dévoilait sa « calculatrice réinventée », développée en France, misant sur l'open hardware (les plans et schémas sont disponibles) et l'open source avec une licence Creative Commons BY-NC-ND. Celle-ci soulève d'ailleurs des débats en raison du « ND » pour NoDerivatives (nous y reviendrons).
Si nous avions à l'époque fait un premier tour théorique du projet, nous avons décidé de passer à la pratique avec une prise en mains sur une longue période afin de suivre les évolutions logicielles d'Epsilon, le système d'exploitation au cœur de cette calculatrice. Et si dans l'ensemble, l'appareil est agréable à prendre en main et à utiliser, nous avons tout de même relevé plusieurs comportements étranges.
Nous en avons profité pour interroger des professionnels du secteur, notamment des professeurs de mathématiques, et avons à nouveau échangé avec Romain Goyet, afin qu'il nous apporte certaines précisions.
Déballage et première prise en main
La calculatrice Numworks est livrée dans une boîte en carton avec un accompagnement plutôt réduit : un guide démarrage rapide, un câble USB/microUSB (jaune), mais pas d'adaptateur secteur. Pour rappel, il faudra penser à la recharger régulièrement puisque l'autonomie annoncée est de 20h en utilisation intensive, contre plusieurs années en veille.
Elle se compose d'un écran LCD (262 144 couleurs, non tactile) de 2,8 pouces avec une définition de 320 x 240 pixels, un processeur ARM v7 à 100 MHz, 1 Mo de ROM et 256 ko de SRAM. Sans sa coque de protection, ses dimensions sont de 160 x 82 x 10 mm pour un poids de 167 grammes, avec sa batterie lithium-polymère de 1 620 mAh.
Numworks a pris le parti d'écrire directement sur les 46 touches de son clavier l'ensemble des fonctions/caractères spéciaux, dont celles accessibles via Shift et Alpha. Une politique différente de Casio et Texas Instruments qui placent les indications secondaires sur la coque. Des avantages et des inconvénients pour les deux approches : difficile de se tromper de touche avec Numworks, mais une police qui semble parfois plus grosse chez la concurrence.
La calculatrice met largement en avant quatre flèches directionnelles, un bouton « Power » noir et un autre « Accueil » jaune pour revenir au menu principal qui est « très pratique » nous indique un professeur de mathématiques. Ce dernier regrette par contre le code couleur de Numworks : « Les lettres du pavé numérique ne sont pas très visibles » avec du jaune sur fond blanc. Sur les concurrentes comme les TI 83 Plus/Premium CE, le fond est plus sombre.
Puisque l'on parle du clavier, une autre professeure s'étonne de ne n'avoir qu'un seul bouton « - » pour la soustraction et le signe moins, même si cela n'est pas spécialement gênant reconnait-elle. En fait le bouton « - » de Numworks permet de faire les deux : 12-3 donnera bien 9, tandis que 12+-3 sera automatiquement transformé en 12+(-3) par la calculatrice.
Une mise à jour qui bloque notre calculatrice
Au premier démarrage, notre calculatrice affichait un message nous demandant de vérifier la présence d'une mise à jour sur le site de Numworks. Nous nous exécutons en créant un compte sur le Workshop du fabricant, comme le veut la procédure. Une fois identifié, un bouton « Mettre à jour mon appareil » est disponible (sous Windows et macOS, pour Linux il faut passer par le SDK).
Il suffit alors de suivre les étapes suivantes : relier la calculatrice à l'ordinateur avec le câble USB et appuyer sur le bouton « Reset » sur son dos. Pour cette opération, une petite pointe métallique est nécessaire, comme on en trouve parfois pour éjecter les lecteurs de cartes SIM. Dommage par contre que cet accessoire ne soit pas livré dans le bundle.
Sous Windows, nous lançons la procédure... mais elle n'aboutira pas pour une raison inconnue. Nous débranchons la calculatrice pour tenter de l'utiliser sans la mettre à jour, mais elle refuse alors catégoriquement de démarrer. Ce premier essai est donc pour nous l'occasion de tester les performances et la réactivité du service client.
Un service client rapide à répondre, un correctif en moins de deux heures
Nous les contactons par email un vendredi à 16h25, avec une première réponse 10 minutes plus tard. Finalement, après plusieurs échanges et un appel téléphonique de Numworks afin d'avoir de plus amples informations, le souci est résolu en moins de 2h avec la mise en place d'une procédure pour forcer la réinstallation du firmware (en utilisant ce lien).
Plus de peur que de mal pour cette première prise en main, avec une très bonne réactivité du service client dans notre cas. Pour rappel, Romain Goyet nous a affirmé lors d'un précédent entretien que « la calculatrice est imbriquable, ça faisait partie du design de l'appareil. Il y a un bootloader en ROM qui est non réinscriptible ».
Maintenant que notre calculatrice est à jour (avec le firmware 1.1.3) et qu'elle fonctionne correctement, passons à la suite.
Premières surprises dans les calculs : des arrondis imposés, des résultats farceurs
L'écran de démarrage comprend huit applications : calculs, fonctions, suites, statistiques, probabilités, régressions, paramètres et Python. Sans surprise, chacune fait évidemment ce que l'on peut attendre d'elle.
Commençons par la partie calculs afin de réaliser quelques manipulations. La première surprise viendra d'une opération relativement simple : 2/3. La calculatrice nous affiche uniquement 0,666667, ce qui est une approximation puisque la bonne réponse est 0,66666666... avec une infinité de six après la virgule.
S'il n'est pas anormal d'avoir un arrondi, six chiffres nous semblent relativement peu, d'autant qu'il n'est pas possible de modifier cette précision dans les paramètres. Néanmoins, plusieurs professeurs de mathématiques de lycée nous ont indiqué que cette précision ne devrait pas poser de soucis aux lycéens, la cible principale de Numworks.
Quoi qu'il en soit, la situation devrait néanmoins changer avec une mise à jour permettant aux utilisateurs de choisir la précision dont ils ont besoin nous indique Romain Goyet, sans en préciser de calendrier.
Sur d'autres calculs simples en apparence, la calculatrice adopte un comportement étrange. Par exemple, l'opération 1-0,8-0,2 ne donne pas 0 comme s'y attendrait n'importe quel élève de lycée (et même de collège)... mais -5,551115e-17 ! Exactement le même résultat avec l'opération 1-0,5-0,3-0,2 et, certainement d'autres combinaisons du genre.
Un choix « perturbant et problématique », mais délibéré selon son concepteur
Romain Goyet nous explique que « c'est en réalité un problème d'arrondi, mais en base 2. De très nombreux langages informatiques (la quasi-totalité à vrai dire) présentent le même type de comportement ».
Pour s'en rendre compte, il nous invite à ouvrir une console JavaScript dans Chrome, Edge ou Firefox (touche F12) et entrer le calcul suivant : 0,1+0,2. Le résultat risque de vous surprendre puisque les trois navigateurs retournent 0,30000000000000004 et pas 0,3 comme attendu.
Concernant la calculatrice Numworks, son concepteur nous explique qu'il s'agit d'un choix réalisé suite à des concertations avec des professeurs de lycée. Il reconnait néanmoins qu'il n'était peut-être pas judicieux et que nous ne sommes pas les premiers à faire un tel retour.
« C'est un comportement souhaité. Perturbant et problématique effectivement, mais souhaité » nous affirme-t-il. « Ce n'est donc pas un "bug" qui aurait pu être trouvé par n'importe quel audit, mais plutôt un problème structurel ». Pour un de nos professeurs de lycée, ce n'est tout simplement « pas possible » d'utiliser une calculatrice affichant ce genre de résultat, quelle qu'en soit la cause.
Un moteur de calcul exact en approche, mais pas de calcul formel
Nous regrettons également l'absence d'un mode fraction permettant d'afficher le résultat d'une opération sous la forme numérateur/dénominateur, plutôt que décimale. Une telle fonction est d'ailleurs demandée par de nombreux utilisateurs sur le forum de Numworks. Elle arrivera dans une prochaine mise à jour affirme le fabricant, là encore sans plus de précisions.
Elle permettra d'ailleurs de régler le problème des arrondis en base 2 que nous venons d'évoquer : « Plutôt que de procéder par approximations successives, nous travaillons sur un moteur de calcul exact qui donnera bien le résultat attendu par les élèves » nous indiquait Romain Goyet fin septembre. Deux mois plus tard, il n'est pas là.
« Nous ne communiquons volontairement aucun délai sur la mise en place des mises à jour car c'est la meilleure façon de décevoir nos utilisateurs », nous explique-t-il cette semaine face à notre déception de ne pas avoir de nouveau firmware. Il nous affirme par contre que ses équipes travaillent « d'arrache-pied » dessus.
« Les appareils que nous concurrençons ont environ 20 ans d'existence derrière eux et n'ont pas énormément évolué sur cette échelle de temps. Nous juger au bout de 2 mois me semble donc pour le moins prématuré » nous indique Romain Goyet lorsque nous lui faisons remarquer que la dernière mise à jour à plus d'un mois.
En plus des professeurs de mathématiques, nous avons également interrogé Bernard Parisse de l'université Joseph-Fourier de Grenoble, développeur du logiciel libre Xcas (une interface basée de Giac pour du calcul formel) et auteur principal du logiciel de calcul formel intégré à certaines calculatrices HP.
Il nous donne son avis sur l'absence de calcul exact dans la calculatrice Numworks : « Le terme calcul exact est un peu vague, en général au lycée, cela signifie calculer avec des fractions ou des racines carrées. Ça peut effectivement pénaliser de ne pas en avoir (par exemple pour vérifier un calcul avec sin(π/3) ou trouver les racines exactes d'un polynôme du second degré a coefficients entiers), mais la différence fondamentale, surtout en vue d'une poursuite d'études, se fera entre les modèles ayant du calcul formel (factorisation, développement, calculs de dérivées, limites, intégrales, résolution exacte d'équations, calcul en fonction de n du n-ieme terme d'une suite récurrente) et ceux qui n'en ont pas : la Numworks est aussi impuissante que les modèles concurrents vendus a moins de 100 euros » nous explique-t-il.
Quatre fonctions et deux suites maximum, sauf à éditer le code source
Quittons la partie calculs pour nous rendre dans les fonctions. Une autre surprise nous attend : il n'est possible d'en saisir que quatre au maximum. Avec les suites récurrentes (d'ordre 1 ou 2), c'est encore pire : vous ne pouvez en entrer que deux. Le concepteur justifie ce choix : « expérimentalement un plus grand nombre de fonctions rendait l'interface plus compliquée à appréhender pour les élèves ».
Il nous précise au passage qu'il est possible d'ajouter plus de fonctions et/ou de suites simplement en modifiant cette ligne dans le code d'Epsilon (le système d'exploitation de la calculatrice)... mais il faut ensuite recompiler le firmware et l'installer sur sa calculatrice ; pas vraiment à la portée de tout le monde. Une option dans les paramètres aurait certainement été plus simple.
Avec les premières versions du firmware (1.1.2 et antérieures), la présentation des tableaux de valeurs n'était pas des plus lisibles puisque les valeurs de x occupaient quasiment la moitié de l'écran (une seule fonction/suite était visible, il fallait faire défiler pour les autres).
La mise à jour 1.1.3 de début octobre corrige cette présentation, comme vous pouvez le voir dans les images ci-dessous. Au niveau des graphiques, quatre couleurs sont utilisées, et elles ne peuvent pas être modifiées : bleu, jaune, rouge et violet. Les deux dernières peuvent facilement être mélangées visuellement, dommage de ne pas en avoir pris une autre comme du vert.
Statistiques, probabilités et régressions avec des graphiques
Les parties statistiques et probabilités semblent relativement complètes. Dans le premier cas nous retrouvons un histogramme, les premier et troisième quartiles ainsi que la médiane dans « une boîte » et enfin des données statistiques : effectif total, minimum, maximum, moyenne, écart type, variance, quartile, écart interquartile, somme et somme des carrés.
Dans le cas des probabilités, plusieurs lois sont de la partie : binomiale, uniforme, exponentielle, normale et Poisson, toutes avec un petit diagramme pour les représenter. Vous avez ensuite la possibilité de définir le ou les paramètres de la suite pour l'afficher visuellement.
Même chose pour le menu régression permettant d'afficher un graphique en fonction des données que vous lui donnez. Il propose également des statistiques comme les sommes (y compris des carrés), les écarts types, les variances, la covariance, etc.
De manière générale, la « calculatrice est très performante » sur ces applications nous indique un professeur de mathématiques, « elle reprend l’ensemble des points du programme [NDLR : pour des terminales S] très facilement ».
Une application Python pour exécuter et éditer du code...
Passons maintenant à l'élément le plus marquant de cette calculatrice : l'application Python permettant de découvrir la programmation. Le programme installé par défaut dessinait une fractale de Mandelbrot avec le firmware 1.1.2.
Il fallait par contre s'armer de patience puisque le résultat mettait près de deux minutes pour s'afficher entièrement à l'écran, pas très vendeur. Numworks propose désormais un calcul sur la suite u(n+1)=2xu(n)-3 avec le firmware 1.1.3, dont le résultat est immédiat.
En plus d'exécuter du Python, nous pouvons éditer le code directement depuis la calculatrice... mais il ne faudra pas lui en demander davantage pour le moment. Numworks ne peut par exemple enregistrer qu'un seul programme à la fois, ce qui n'est pas très pratique.
... mais une ergonomie qui mériterait largement d'être revue
Ce n'est pas tout. Vous ne pouvez pas non plus en transférer un depuis votre ordinateur (avec la calculatrice branchée en USB)... sauf à développer un firmware maison, y glisser votre programme Python, le compiler et l'installer... on a vu plus simple, surtout pour une calculatrice avec un port USB. La situation est la même dans le sens inverse : vous ne pouvez pas sauvegarder un programme de votre calculatrice sur votre ordinateur.
Vous souhaitez l'effacer pour repartir à zéro ? Il faudra supprimer toutes les lignes de code une par une... Il existe néanmoins une « astuce », un peu brutale : passer la calculatrice en mode examen, effaçant ainsi tout ce qui est enregistré dans sa mémoire (fonctions, suites, variables, etc.).
Interrogé sur le sujet, Romain Goyet s'explique : « le transfert de programme Python depuis un ordinateur n'est pas parmi nos priorités ». « Nous avons eu de nombreuses demandes pour pouvoir éditer plusieurs scripts donc nous rajouterons cette fonctionnalité prochainement » ajoute-t-il. Là encore, force est de constater que deux mois après cette annonce rien n'a changé, mais aucune date n'avait été annoncée.
Les plus courageux devront donc passer par un long labeur : saisir des lignes de commande à la main à l'aide d'un clavier qui n'est pas prévu pour. S'il est possible de bloquer la saisie en mode caractères (deux pressions sur la touche alpha), il faut changer de mode d'édition pour ajouter des symboles mathématiques. Bref, prévoyez du temps.
Dernier point, et pas des moindres, certains caractères manquent à l'appel sur le clavier, # par exemple. Le concepteur est conscient de cette problématique, c'est d'ailleurs en partie à cause de cela que l'application Python est encore en bêta : « Au-delà des caractères non présents sur le clavier, nous comptons également rajouter tout un ensemble de raccourcis pour permettre une saisie rapide de code Python ».
Les paramètres, le mode examen
Terminons notre tour du propriétaire avec un passage dans le menu paramètres, il est possible de modifier l'unité d'angle (degré ou radians), le format du résultat (auto ou scientifique), la forme complexe (a+ib ou re^iθ), la luminosité, la langue et enfin de passer en mode examen. Comme nous l'avons déjà expliqué, ce dernier sera obligatoire sur les calculatrices programmables dès l'année prochaine. Il efface la mémoire et active une diode rouge clignotante sur le devant.
Pour désactiver le mode examen, il suffit de brancher la calculatrice à un ordinateur ou un chargeur en USB. La diode s'arrête de clignoter, mais vous ne récupérez pour autant pas toutes vos données, celles-ci ayant été définitivement effacées. Vous aviez un superbe programme Python ? Il faudra donc le saisir de nouveau, ligne par ligne.
Pour rappel, nous avions discuté avec son concepteur de la possibilité de tricher, d'autant plus facilement avec un firmware modifiable par les utilisateurs. « C'est exactement comme sur tous les autres appareils, vous pouvez installer des programmes dédiés à la triche qui vont contourner le mode examen » nous expliquait-il.
Rappelons que tricher au bac est passible de 5 ans d'interdiction de passer un examen, mais constitue également un délit. Son auteur et ses complices encourent une peine de 9 000 euros d'amende, et/ou de 3 ans d'emprisonnement.
Des manques et des limitations, la communauté à la rescousse ?
Plusieurs regrets tout de même. Contrairement à certaines de ses concurrentes, Numworks ne propose pas de calculs ou de conversions d'unités. Néanmoins, « c'est quelque chose que nous souhaiterions rajouter, car c'est très utile. La difficulté sera principalement de trouver la bonne interface utilisateur pour que la fonctionnalité soit facilement accessible aux lycéens » nous indique Romain Goyet.
Les suites imbriquées ne sont pas non plus prises en charge (c'est-à-dire lorsque v(x) dépend de u(x) par exemple). « C'est quelque chose que nous souhaitons rajouter rapidement » nous précisait également son concepteur fin septembre, mais elles ne sont toujours pas là.
En fait, la calculatrice Numworks souffre d'une limitation encore plus importante : les différentes applications (calculs, suites, Python, etc.) sont totalement indépendantes les unes des autres. Ainsi, impossible d'utiliser Python ou une fonction f(x) dans l'application calculs par exemple.
Bernard Parisse, en ajoute une couche : « Il manque une application Solve, une application Tableur et probablement aussi Géométrie. L'application fonction devrait permettre de trouver des valeurs approchées de points d'intersection, ou un calcul d'aire sous la courbe. Il manque des modules fondamentaux pour la programmation : impossible de calculer un sinus par exemple, sans même parler de manipuler des nombres complexes. Le catalogue des commandes de l'application Calculs est particulièrement réduit (une cinquantaine de commandes, contre en général de l'ordre du millier sur les calculatrices concurrentes). J'en oublie sans doute... »
Pour Romain Goyet, le nombre de commandes est une « métrique bien étrange ». « Nous concevons notre appareil pour qu'il réponde le plus simplement possible à tous les besoins des lycéens, pas pour les noyer sous des fonctionnalités inutiles » nous indique-t-il. Numworks se concentre donc sur l'essentiel, plutôt que miser sur le nombre, quitte à en ajouter en cours de route s'il en manque.
Il ne nous précise par contre pas combien de commandes sont disponibles dans la calculatrice, répondant par une autre question à la place : « combien de commandes peut-on décemment demander à un lycéen de maîtriser ? »
Un professeur de mathématiques à qui nous avons prêté la calculatrice pendant quelque temps nous liste des points négatifs de son point de vue pour des élèves de Terminale S : pas d'études de dérivées, de limites, de primitives et de tableaux de variations pour les fonctions.
Plus anecdotique (mais important pour certains) la calculatrice ne prend en compte que la manière classique pour les calculs, pas la notation polonaise inverse (NPI ou RPN). Il faut bien avouer que celle-ci n'est pas vraiment utilisée au lycée (et elle n'est de toute façon pas au programme), mais elle a tout de même sa communauté d'adeptes.
Une option permettant de passer de l'un à l'autre aurait été un plus, et aurait certainement fait faire vibrer la corde nostalgique de ceux qui avaient une HP-48 il y a plusieurs années. Mais l'avantage d'un firmware ouvert c'est que l'on peut compter sur la communauté : un fork est déjà disponible... mais est-il légal ?
Firmware open source, mais une licence qui empêche théoriquement les forks
La question mérite d'être posée. En effet, si Epsilon est open-source, sa licence est assez restrictive : CC BY-NC-ND 4.0. Pour rappel, « BY » signifie attribution, « NC » pas d'utilisation commerciale et enfin « ND » pas de modification. Il est donc possible de récupérer le code source, de le modifier et de l'utiliser pour soi (à condition de citer l'auteur évidemment), mais pas de vendre ou de distribuer un firmware modifié.
Une position qui fait bondir Bernard Parisse : « Il est en effet impossible de publier un firmware modifie avec la licence actuelle, on peut seulement faire des modifications pour son propre usage, ou alors il faut 1/ que Numworks accepte les modifications et 2/ on doit céder les droits de diffusion a Numworks sans contrepartie. Ce n'est pas ce qu'on appelle habituellement de l'open source ».
Le père de Giac/Xcas a déjà adapté son moteur de calcul formel utilisé par les calculatrices HP Prime sur les TI Nspire par exemple, mais il est impossible de faire de même avec Numworks pour l'instant : la licence ne le permet pas. De toute façon, la calculatrice ne dispose pas d'assez de mémoire ajoute-t-il. Néanmoins, certains ont trouvé une parade via une modification matérielle, qui n'est pas à la portée du premier venu.
Une évolution de la licence est prévue, reste à trouver la bonne
Romain Goyet nous explique que Numworks est « conscient des limites de cette licence » et souhaite la faire évoluer « mais là encore, cela prend du temps ». « Un des problèmes de la licence "BY-NC-SA", par opposition au "ND", est qu'il est du coup possible pour un tiers de partager des versions binaires sans publier son code source, ce qui irait complètement à l'opposé de ce que nous souhaitons faire » ajoute-t-il.
Dans tous les cas, un représentant de la société rassure la communauté sur Github : « ne vous inquiétez pas, nous n'agirons pas contre les forks (même s'ils sont techniquement interdits par la licence) [...] nous les encourageons même ». Un discours qui va dans le sens de celui de Romain Goyet qui souhaite « amasser le maximum de contributions ».
Dans tous les cas, la situation énerve Bernard Parisse : « Comme la Numworks ne dispose actuellement pas de kit de connexion, il est impossible d'échanger des données entre des calculatrices, cela rend la Numworks plus fermée que les calculatrices concurrentes ou on peut au moins échanger librement des programmes ».
Il ne s'arrête pas en si bon chemin : « Voir divers articles de presse mettre en avant l'aspect open source me fait donc réagir vivement, d'autant que rien n'a changé depuis plus de 2 mois, il n'y a que de vagues promesses de faire évoluer la licence, pour l'instant cela ressemble plus à de la communication qu'a une réelle volonté d'ouverture ».
Numworks préfère jouer la carte de la prudence : « une fois qu'une licence plus permissive a été choisie, il n'y a pas de retour en arrière. C'est pourquoi nous avons décidé de commencer avec une plutôt restrictive ». Dans tous les cas, le code source est sur Github et n'importe qui peut le récupérer l'analyser, le modifier et l'installer sur sa calculatrice s'il le souhaite.
Au final, que penser de la calculatrice Numworks ?
L'heure du bilan a sonné. Dans l'ensemble, « c'est une calculatrice très agréable à utiliser, son fonctionnement est très intuitif » nous indique un professeur de mathématiques. L'écran couleur est lisible, même lorsqu'on ne se trouve pas juste en face. Il faudra évidemment s'habituer au clavier, finalement comme avec n'importe quelle autre calculatrice.
Seul regret, le port micro-USB nécessite de forcer un peu pour brancher et débrancher le câble, espérons qu'il tienne le coup sur la durée. De par sa conception open hardware, les plans, schémas et liste des composants sont disponibles sur le site du fabricant et permettent de réparer la calculatrice en cas de problème. C'est plutôt une bonne chose.
Certains se sont même lancés dans des modifications profondes en ajoutant plus de mémoire afin d'augmenter ses capacités. Si les bidouilleurs devraient apprécier le geste, la grande majorité des lycéens n'en a certainement que faire.
Les professeurs de lycée que nous avons interrogés pensent dans l'ensemble que la calculatrice Numworks pourrait être une bonne alternative aux Casio, TI et autres HP (du moins lorsque le calcul exact sera disponible), bien qu'elle soit un peu chère pour certains. La situation pourrait donc s'améliorer pour Numworks en fonction des mises à jour, mais il faudra par contre être patient.
Les professeurs s'accordent sur un autre point : la calculatrice sera rapidement limitée pour un élève continuant ses études (scientifiques) après le bac. Bernard Parisse en rajoute une couche : « Le principal reproche que je fais à cette calculatrice peut se résumer en ce qu'elle ne donne pas de piste de découverte a un élève doué, elle semble plutôt conçue comme un outil presse-bouton pour qu'un élève puisse récupérer quelques points au bac sur un sujet stéréotype même s'il n'a rien compris. C'est d'ailleurs peut-être assumé (la communication de Numworks se moquant ouvertement des guides d'utilisation des autres constructeurs) ». Un avis rejoint par l'un de nos professeurs : « pour des élèves qui cherchent à vérifier certains points de leur raisonnement, elle est un peu limite » car il manque certaines fonctionnalités.
Dans tous les cas, Numworks a encore plusieurs mois devant lui afin de peaufiner sa calculatrice pour la rentrée 2018-2019. La société mise beaucoup sur les professeurs pour être leurs ambassadeurs auprès des élèves. Les enseignants recommandent en effet souvent un modèle de calculatrice en début d'année, de quoi déclencher des ventes.
Une chose est sûre les différents enseignants avec qui nous avons discuté montrent un certain intérêt pour Numworks et plusieurs devraient suivre l'évolution du projet. La balle est maintenant dans le camp du fabricant.
Pour rappel, la calculatrice de Numworks est en vente pour 79,99 euros. Si vous souhaitez vous faire votre propre idée avant de sauter le pas, sachez qu'un simulateur complet (et fidèle) est disponible en ligne.